Mort de Bernard Pivot : des légendes de la littérature, des clashs et des mises au point... Quelques moments inoubliables d'"Apostrophes"

De 1975 à 1990, sur Antenne 2, il a reçu des centaines d'écrivains. Les Français étaient des millions devant leur poste de télévision pour ce rendez-vous incontournable pour les amoureux des livres chaque vendredi soir. Retour sur quelques séquences légendaires de l'émission.
Article rédigé par franceinfo Culture
France Télévisions - Rédaction Culture
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Le 28 septembre, Bernard Pivot reçoit Marguerite Duras (CHARLES PLATIAU / AFP)

En 724 émissions, nombreux furent les rendez-vous d'anthologie. Bernard Pivot, mort lundi 6 mai à l'âge de 89 ans, a invité les plus grands écrivains du 20e siècle, avec parfois des clashs ou des mises au point.

Franceinfo Culture en a sélectionné quelques-uns.

Bukowski ivre sur le plateau (1978)

Sur le plateau d’Apostrophes en septembre 1978, Bernard Pivot a du mal à tenir son plateau dont les invités sont particulièrement dissipés, et surtout l’écrivain Charles Bukowski, qui marmonne en permanence, complètement ivre. "Ciao, finalement il tient pas vraiment la bouteille cet écrivain américain", lance Bernard Pivot en le renvoyant du plateau. Une séquence culte.

Serge Gainsbourg traite Guy Béart de "blaireau" (1986)

"J’en ai appris des choses sur vous." C’est ce que lançait Bernard Pivot à Serge Gainsbourg à propos de son nouveau livre, le 26 décembre 1986. Lorsque Gainsbourg parle de son premier amour avec la peinture, un art qu’il considère comme "majeur", contrairement à la musique qu’il considère comme un art "mineur", Guy Béart s’insurge. Gainsbarre finit par traiter Béart de "blaireau" en lui expliquant : "Tu n’as pas besoin d’initiation pour la chanson."

Alexandre Soljenitsyne, entretien avec un dissident russe (1983)

Bernard Pivot, qui fut le premier en Occident à recevoir l'écrivain russe et Prix Nobel de littérature après son expulsion d'Union soviétique en avril 1975, consacre en décembre 1983 une émission spéciale à Alexandre Soljenitsyne. L'illustre dissident du régime soviétique accueille l’émission chez lui aux États-Unis, où il s’est exilé avec son épouse et ses trois fils. À l’époque, l’auteur de L’Archipel du Goulag (1973), célébrissime chronique du système de répression politique en Union Soviétique, vient alors de publier La Roue rouge, premier tome d’une histoire romancée de la Russie, et Nos pluralistes, un pamphlet politique en réponse aux critiques que lui font les émigrés russes. Dans cet entretien rare, il est beaucoup question de littérature, un choix de Bernard Pivot alors que l’écrivain reproche aux journalistes de ne s’intéresser à lui que sous l’angle politique. Soljenitsyne, qui espère ici qu’il pourra revenir vivant dans son pays, sera interviewé une nouvelle fois par Bernard Pivot en 1998, de retour chez lui à Moscou, dans l’émission Bouillon de Culture.

Marguerite Duras "ne sait pas" écrire (1984)

Le 28 septembre 1984, Bernard Pivot accueillait pour une émission spéciale l’écrivaine Marguerite Duras. Venant tout juste de publier son livre à succès L’Amant, pour lequel elle a remporté le prix Goncourt, elle se livrait sur son écriture et y parlait de son métier d’écrivain. "Je sais pas ce que c’est écrire", déclarait-elle. "Vous savez toujours pas ?", relançait Bernard Pivot complètement désarçonné par la distance presque désinvolte de Marguerite Duras. "Le style, je m’en occupe pas."

La "clarification" de Nabokov sur "Lolita" (1975)

Bernard Pivot reçoit l’écrivain russe Vladimir Nabokov, l’auteur de Lolita, qui a accepté, fait exceptionnel, de lui accorder un entretien. Dans un document, qui revient sur les grands moments de son émission Apostrophes, Pivot raconte qu'il rencontre l'auteur à Montreux, en Suisse, où il accepte de faire l'émission à condition que le présentateur lui envoie les questions. En faisant fi de ses principes de journaliste, Bernard Pivot accepte les conditions du romancier. Ce qu'il n'a jamais regretté. L'échange télévisuel, dont les questions et les réponses sont connues d'avance par le présentateur et l'invité, reste inédit. D'autant qu'il permet de détruire un archétype littéraire, qui prévaut depuis deux décennies.

Dans la séquence, Pivot demande au romancier s’il n’est pas "agacé" par le succès de son œuvre et par le fait que l’on risque de penser qu’il est "le père d’une seule petite fille un peu perverse". Outre le fait de ne pas être contrarié par ce succès, Vladimir Nabokov a ainsi l’occasion d'apporter une clarification majeure. "C’est l’imagination du triste satyre qui fait une créature magique de cette petite écolière américaine aussi banale et normale dans son genre que le poète manqué Humbert est dans le sien. En dehors du regard maniaque de M. Humbert, il n’y a pas de nymphette, Lolita la nymphette n’existe qu’à travers la hantise qui détruit Humbert. Et voici un aspect essentiel d’un livre singulier qui a été faussé par une popularité factice."

L'accident Matzneff (1990)

"La littérature ne peut pas servir d’alibi", s’étrangle, en mars 1990, l’écrivaine canadienne Denise Bombardier sur le plateau d’Apostrophes. De tous les invités, elle était la seule à s’indigner et à affronter frontalement Gabriel Matzneff qui se gargarisait de ses "amours adolescentes". La complicité entre l’animateur Bernard Pivot et l’écrivain Gabriel Matzneff ne passerait pas aujourd’hui et demeure un passage télévisuel violent, trente-quatre ans après l’émission. L’autrice avait été très affectée, par la suite, par le soutien que l’intelligentsia parisienne apporta à Gabriel Matzneff et à la campagne de dénigrement qu’elle a subie.

Menace de suicide en direct sur le plateau de "Bouillon de culture" (1992)

Le 15 mars 1992, un jeune homme surgit en plein direct de l'émission Bouillon de culture, l'autre grande émission animée le vendredi soir par Bernard Pivot après Apostrophes. Sortant un couteau et menaçant de se trancher la gorge, il déclare : "Je suis venu parler du problème étudiant." Alors que Bernard Pivot garde son sang-froid, le jeune homme explique vouloir dénoncer un projet de Lionel Jospin, alors ministre de l'Éducation nationale. S'ensuit un échange surréaliste entre l'animateur et l'intrus, ce dernier s'exprimant avec correction - malgré sa nervosité. Affichant son respect pour Bernard Pivot, il se dit "désolé de cette intrusion" et revendique "le droit du citoyen de s'exprimer librement". L'animateur ne se laisse pas intimider et parvient, avec autorité, à persuader l'intrus de se retirer...

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