Réouverture du Musée Picasso: trois beaux livres éclairent le monumental artiste
Devenu légende de son vivant, Picasso a fait l'objet, très tôt, et souvent avec sa complicité, d'une littérature copieuse et diverse, notes, articles, livres savants ou témoignages. La réouverture du Musée Picasso, le 25 octobre 2014, après cinq ans de travaux, s'accompagne de la publication de trois beaux livres, qui offrent, chacun à sa manière, un éclairage sur cet artiste monstre.
UN CATALOGUE
Un nouveau catalogue inaugure le musée restauré. "Il manquait un livre à la hauteur des trésors que recèle le Musée Picasso", c'est l'ambition affichée de ce catalogue, un choix de 400 reproductions d'œuvres choisies parmi les 4500 que comptent les collections. À la fois compact, graphique et didactique, le catalogue présente l'œuvre chronologiquement, les différentes époques de la création de Picasso, des premières œuvres alors qu'il n'a que 14 ans, à la sulfureuse dernière période, en passant par la période rose, "Les Demoiselles d'Avignon" et la naissance du cubisme, chaque chapitre introduit par une citation du peintre et un court texte de présentation.
Textes transversaux
Cette somme montre aussi toute la diversité de son œuvre : peinture, mais aussi céramique, sculpture, photographie, illustrations, collages, poésies… Le catalogue laisse toute la place aux reproductions des œuvres, le texte rassemblé dans une seule tranche colorée, glissée au milieu de l'ouvrage. Des textes transversaux, selon les disciplines, sculpture, peinture, sont rédigés par les conservateurs et documentalistes du Musée, sous la direction d'Anne Baldassari, conservateur général du Patrimoine, qui signe également l'introduction, et une chronologie très détaillée qui clôt le catalogue. Un bel objet avec le choix entre trois couleurs, contenant la substantifique moelle du riche musée, pour un prix tout à fait raisonnable (35 euros). Une version luxe est également disponible.
UN CAHIER DE L'HERNE
Les éditions de l'Herne consacrent pour la première fois l'un de leurs cahiers à un artiste plasticien (sauf Dubuffet, mais il était aussi écrivain), et l'on ne s'en plaindra pas. Sur le modèle habituel, une somme de textes et d'iconographies soigneusement choisies, ce cahier a pour objectif de dresser un portrait de Picasso dégagé de l'image iconique qu'il a lui-même participé à construire avec ses amis, les artistes, photographes, écrivains ou poètes de son temps.
Construction d'un mythe
Les textes qui composent ce cahier sont rédigés par des chercheurs d'aujourd'hui, et nourris par ceux de l'époque, et également des textes aussi de Picasso, poèmes, proses ou correspondances. Pari réussi : en choisissant d'aborder l'œuvre de cet artiste devenu légende par le prisme de l'écrit, c'est une autre image qui se dessine de l'artiste, de biais, qui éclaire d'une manière inédite ce monumental artiste.
"Picasso s'était taillé en personne un mythe à sa mesure, celui de géant de l'art moderne", note Brigitte Leal, et il avait une parfaite conscience du "rôle de la bibliographie dans l'édification du mythe", ajoute la chercheuse. Cette bibliographie est immense, et multiple. L'œuvre de Picasso a fait l'objet d'un large travail scientifique, donnant lieu à de nombreux travaux de référence. Mais la vie et l'œuvre de Picasso ont aussi été copieusement commentées par Breton, Gertrude Stein, Tzara, Reverdy Prévert Eluard, Cocteau… Bref, les plus grands artistes de son temps et aussi ses "meilleurs biographes", agents de la construction du mythe, aidés en cela par la photographie, que l'artiste met aussi au service de l'édification d'une "figure de légende". L'artiste en a pleinement conscience et ne s'en cache pas. "Je peins comme d'autres écrivent leur biographie", dit-il. On se régalera avec l'analyse psychanalytique de Jung, qui prédisait en 1932 une fin de démence pour cet artiste dont "l'inconscient vagabondait sur les chemins de l'enfer".
Picasso poète : un "besoin d'expression totale"
Picasso a produit une somme de textes impressionnante entre 1935 et 1940, période de doute et de crise, de dépression même, où il ralentit considérablement sa production plastique. Passionnante est l'analyse de cette production écrite de Picasso, inventeur de" l'écriture lierre", dans le sillage des surréalistes et de l'écriture automatique : "Picasso chasse dans les environs", dira Breton dans le Manifeste du surréalisme. Et il ajoutera dans "Picasso poète", écrit dès 1936, que s'agissant de l'écriture de Picasso, il ne s'agit pas simplement d'un violon d'Ingres, mais bien de "l'appropriation d'un nouveau langage, résultant d'un besoin d'expression totale".
Proche des surréalistes, le peintre est aussi inventeur d'une forme d'écriture lui appartenant pleinement, plus proche de ce que Tristan Tzara nommait le "rêve expérimental", explique Henri Béhar, spécialiste des avant-gardes, éditeur des œuvres complètes de Roger Vitrac, Tristan Tzara ou Alfred Jarry, auteur d'une biographie de Breton. "C'est un flot verbal où son imagination torrentielle s'accroche à des sensations vécues et sa valeur documentaire s'apparente aux textes surréalistes, note Tristan Tzara dans l'article "Picasso et la poésie", publié en 1953. Il rapproche aussi l'écriture de Picasso de ses collages, "Ces papiers-collés de Picasso que j'ai appelés les proverbes en peinture, peuvent être mis en parallèle avec l'emploi en poésie des lieux communs et des phrases toutes faites…"
Une écriture en mouvement
À contempler aussi, ces lettres de l'alphabet, chiffres, mots, phrases où poèmes posés sur le papier comme autant de gammes musicales, rendus littéralement vivants par la puissance créatrice du peintre.
"En recopiant une phrase onze fois sur onze feuilles de papiers vélin d'Arches, Picasso transforme l'espace scriptural en espace figural. En jouant entre le français (soleil) et l'espagnol (sol) le "o" du nom soleil finit par le figurer plastiquement" (Cahiers de l'Herne N°106 Picasso).
On découvre aussi les correspondances de Picasso, dont ces savoureux extraits de ses lettres datant du début du siècle (alors qu'il navigue encore entre l'Espagne et la France), écrites comme il parle, phonétiquement. "Chere Max, je viens de reçevoir ta carte postale, y trabaille pour fer quelques chose pour le salon mais ye crois que ye ne aurai pas le temps", écrit-il en 1901 à Max Jacob, de Barcelone où il séjourne". Lettres qui nous le font entendre, et qui témoignent aussi de la "détermination opiniâtre du peintre à s'exprimer, imposer sa façon de penser, d'être, d'agir", explique dans le chapitre "Picasso épistolier" Laurence Madeline, ancienne conservatrice du Musée Picasso (2000-2006), où elle avait fait l'inventaire des archives du peintre. Un travail d'Hercule quand on sait que Picasso gardait tout. Les représentants des Archives nationales ayant reçu les 359 cartons d'archives du peintre, ont pu le confirmer, note Laure Collignon, "Picasso ne jette rien. La poussière, comme le reste, vieilles enveloppes, morceaux de papier appartiennent à ses richesses". 120 000 pièces ont été confiées à l'Etat par les héritiers en 1978.
Bref, il faut se plonger dans cette mine passionnante, qui construit une image différente d'une œuvre et d'une vie mille fois observées, commentées, décortiquées.
UN RECUEIL DE CITATIONS
"Je ne cherche pas, je trouve." Pablo Picasso n'a jamais expliqué son œuvre, note Androula Michael, historienne d'art, dans l'introduction de ce recueil de citations du peintre. "Les autres parlent, moi je travaille", disait le peintre. Roi de la petite phrase, de la formule qui fait mouche, Picasso s'exprime "de façon savoureuse, étonnante, incisive, avec tout l'esprit qui le caractérise", affirme l'historienne. "Picasso, Écrits et pensées" reprend ces phrases, 300 citations, révélatrices de la personnalité de Picasso, et éclairantes aussi sur sa vision de l'art. Les citations sont mises en page graphiquement et accompagnées d'illustrations, manuscrits, dessins et photographies.
- Catalogue - La collection du Musée national Picasso, Paris Dirigé par Anne baldassari (Flammarion - 555 pages - 35 euros)
- Picasso - Cahier de l'Herne N°106, dirigé par Laurent Wolf et Androula Michael (Editions de l'Herne - 360 pages - 39 euros)
- "Je ne cherche pas, je trouve" Écrits et pensées - Picasso(Cherche Midi - 156 pages – 22 euros)
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