Miquel Barcelò, de la peinture à la terre, deux beaux livres chez Actes Sud
La critique d’art américaine Dore Ashton suit depuis longtemps le travail de Miquel Barcelò et l’a, semble-t-il, rencontré à de nombreuses reprises.
Elle retrace tout le parcours de l’artiste catalan, depuis ses années d’enfance dans son village de Felanitx, à Majorque, jusqu’au milieu des années 2000 environ, et s’interroge sur les influences qui marquent son travail, des influences artistiques aux références littéraires.
L’enfance de Barcelò, né en 1957, a été bercée par la nature, par la mer et aussi par la terre et les grottes, nombreuses dans son île natale. Si depuis, il a beaucoup voyagé et vécu ailleurs, se partageant entre plusieurs lieux et plusieurs ateliers, il revient toujours à Majorque.
Un succès fulgurant
L’auteur évoque ses années de formation, à Barcelone, son premier voyage à Paris, où il aime aussi revenir et où il a un atelier. Dès le début, le succès est fulgurant. Barcelò a sa première exposition personnelle à 19 ans, dans un musée de Majorque. En 1982, il n’a que 25 ans, il est invité à la Documenta de Kassel, où il rencontre Jean Michel Basquiat.
S’il s’intéresse à Pollock, voyage à New York, Barcelò reste marqué par les anciens, le Titien et Pontormo, le Caravage ou Ribera, sans oublier une certaine fascination pour les peintres des cavernes. Plus récents, Dore Ashton cite Picasso ou le Majorquin Miro, Fautrier et ses empâtements, Fontana et ses toiles lacérées au nombre des influences du jeune artiste.
Un peintre avant tout
Barcelò est avant tout un peintre, et l’auteur raconte ses dons de "bricoleur", son plaisir à fabriquer lui-même ses pigments et ses pinceaux. Se définissant comme un "peintre de la matière", il aime manipuler la pâte, travaille en épaisseur.
Ce qui l’amène à créer des volumes. C’est lors de ses séjours en pays Dogon (son expérience africaine, à partir de 1988, est essentielle) qu’il apprend le travail de la terre avec un potier malien, avant de se perfectionner à Majorque. Il y a dans ce travail toute une dimension faite de hasards, d’imperfections et d’accidents qui lui plait et qu’il intègre dans son oeuvre.
Au Mali, il se sert aussi des dégradations par la poussière et les termites sur ses dessins et ses peintures.
La céramique, de la cathédrale de Majorque à Paso Doble
C’est en terre cuite qu’il décore une chapelle de la cathédrale de Majorque, sur le thème du miracle de la multiplication des pains et des poissons, mêlant réel et magique.
Ce travail de la terre, il le pousse à l’extrême avec "Paso Doble", le spectacle qu’il crée à Avignon en 2006 avec le chorégraphe Josef Nadj, qui souhaitait "entrer" dans l’œuvre de Barcelò. Pendant une heure, les deux artistes improvisent avec un sol et un mur d’argile, une expérience intense et quasi animale.
L’ouvrage de Dore Ashton est extrêmement documenté et érudit, truffé de citations d’artistes et d’auteurs divers, partant quelquefois dans des digressions qu’on regrette un peu. Puisqu’elle l’a beaucoup rencontré, on aurait aimé qu’elle donne davantage la parole à Miquel Barcelò, au lieu de phrases comme : "Je suis certaine que…". Sur un personnage aussi présent et fort, on aurait aimé quelque chose de plus vivant.
"Terra Ignis" à Céret
A l’inverse, dans le catalogue de l’exposition du musée de Céret ("Terra Ignis"), publié aussi par Actes Sud, Miquel Barcelò explique son rapport avec la terre, comme il entend "faire corps avec l’argile – faire corps avec l’oeuvre".
"La céramique est une forme de peinture" dit-il. Ses œuvres d’ailleurs, qu’elles soient en peinture ou en argile, "sont pleines de fissures et d’accidents", fait-il remarquer. Il parle de Fontana et de Miro, de son expérience de la terre au Mali. D’un vase céladon vu en Asie et d’un potier espagnol, rencontré quand il avait vingt ans, qui faisait des vases comme au Néolithique.
Barcelò évoque encore la mémoire de la terre et des traces qu’elle garde. Travaillant dans une ancienne fabrique de Majorque, il déforme des briques, avec lesquelles il crée un mur pour rappeler les constructions de pierre sèche de son île.
Des briques et des jarres déformées, détournées
Il détourne des vases et des amphores qui rappellent des jarres trouées, donc inutilisables, et pleines d’excroissances en forme de coquille, de rose ou d’hippocampe qui se faisaient chez lui, les "gerretes felanitxeres".
Il leur creuse des yeux, les enfonce, les perce, les renverse, en fait une guitare ou les décore de roses et d’animaux…
Les très belles images des céramiques de Miquel Barcelò, prises dans sa briqueterie, sont accompagnées d’une nouvelle de l’écrivain irlandais Colm Tòibìn, "L’arrivée de la lumière".
Terra Ignis, Miquel Barcelò, photographies de François Halard et Agusti Torres (Actes Sud, 36 €)
Miquel Barcelò, en chemin, Dore Ashton, photographies de Xavier Forcioli, (Actes Sud, 35€)
Miquel Barcelò, Terra Ignis, au Musée de Céret, du 29 juin au 12 novembre 2013
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