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"L'âme de la Banquise": un voyage authentique avec les chasseurs du Groenland

Pendant plusieurs années, les photographes Nathalie et Alain Antognelli sont partis à la découverte de l'ouest du Groenland. En kayak d'abord, puis en hivernant au sein de deux petites communautés du grand nord. De cette expérience unique avec les derniers chasseurs d'ours sont nés un très beau livre et un film,"L'âme de la banquise". Une plongée captivante dans un univers aujourd'hui menacé.
Article rédigé par Marie Herenstein
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
  (Nathalie et Alain Antognelli)

Pendant l'hiver, nombreux sont ceux, dans notre hémisphère, qui aspirent à la chaleur et aux journées qui s'éternisent. Nathalie et Alain Antognelli, eux, ne craignent ni le froid ni la nuit polaire. Ils reviennent tout juste du Groenland où, pendant plus d'un mois et demi, ils ont partagé le quotidien de leurs amis de Nuussuaq, sur la côte ouest de l'île, et vécu à leurs côtés les fêtes de fin d'année.

"Noël au Groenland c'est un moment particulièrement festif raconte Alain. On est très loin du marasme que l'on ressent en France et de la pression commerciale. Il y a plein de petits événements qui s'étalent sur près d'un mois."

Ces amis très chers, leur seconde famille, ils les ont rencontrés voilà quelques années, alors que débutait un incroyable périple dont ils ont tiré un livre (en auto-édition) paru fin 2015 et un film superbes: "L'âme de la banquise" (diffusé sur Planète Thalassa, TV5 monde et dans de nombreux festivals l'an dernier).

 
L'histoire sous ces hautes latitudes commence en 2009, lorsque ce couple de photographes professionnels monégasques tombe sous le charme du Kalaallit Nunaat (nom local du Groenland) qu'il décide d'arpenter en kayak. Infatigables voyageurs depuis plus de 20 ans, d'abord dans la chaleur de l'Afrique australe, ils n'en sont pas à leur coup d'essai avec un mode de transport qui s'est imposé pour parcourir la région.

Le relief, la glace, le climat et l'éloignement des villages ne facilitent pas les déplacements. Pour eux ce sera donc des milliers de kilomètres à pagayer pour découvrir des paysages grandioses mais aussi, et surtout, des habitants particulièrement attachants.

"Au départ, on voulait faire une partie du tour du Groenland mais on s'est vite aperçu que pour comprendre ce pays, il fallait y passer l'hiver" raconte Alain. "L'hiver, c'est le moment où les gens se posent et ce qui nous intéresse, c'est l'humain." 
  (Nathalie et Alain Antognelli)

"Ca va être froid..."

Après trois étés successifs à longer les rives occidentales, Nathalie et Alain se décident donc pour un premier hivernage. Encore faut-il déterminer l'endroit.  "Avant de se poser dans un village, il y a tout un cheminement. Il faut faire connaissance avec les gens, apprendre quelques mots, comprendre leur façon de fonctionner."

Un jour de tempête, alors que des enfants sont venus les aider à remonter leurs kayaks sur la berge, une discussion s'engage. Le couple explique qu'il cherche à s'abriter du froid mais aussi qu'il aimerait rester alors que l'hiver approche. Dans le village, il y a justement une vieille cabane à rénover. On les dissuade d'abord mais quelques contacts plus tard, le propriétaire leur envoie un SMS : "Ca va être froid mais si vous pensez que vous pouvez le faire, c'est d'accord".
  (Nathalie et Alain Antognelli)
Et voilà comment la petite communauté de Nuussuaq, une centaine d'habitants, devient leur premier site d'hivernage. Ils y séjourneront 7 mois avant d'entreprendre la traversée de la baie de Melleville en traineaux à chiens pour rejoindre Savissivik où ils passeront les deux derniers mois d'hiver. C'est à Savissivik et Nuussuaq qu'ils retourneront l'hiver suivant et à Savissivik encore qu'ils vivront leur troisième hiver, cinq mois en 2014, avec la cinquantaine d'habitants qui n'ont d'autre lien avec le monde extérieur que l'hélicoptère, de décembre à juillet. Une proximité qui se traduira très vite par un acte fort de la part d'un de leurs hôtes: ils seront adoptés par Bendt Fredriksen, un chasseur respecté aujourd'hui décédé.
  (Nathalie et Alain Antognelli)
Au cours de ces multiples séjours au long cours, ils découvrent la vie rude et simple de ces petites communautés isolées où l'on entre les uns chez les autres sans frapper, juste pour boire le café, où l'on chasse encore pour se nourrir, pour confectionner des vêtements chauds en peaux, mais aussi où, grâce à Facebook et au téléphone portable, on communique avec les enfants partis faire leurs études loin d'ici, à Nuuk, la capitale, ou au Danemark (auquel est rattaché le Groenland).

Savoir vivre ensemble

Bien sûr il y a des problèmes sociaux, l'alcool en est un, le chômage, le départ des jeunes et les difficultés d'intégration hors du Groenland, mais ce que retiennent Nathalie et Alain, c'est "le savoir vivre ensemble" et "une capacité d'adaptation" étonnante. "Pour eux, c'est important de laisser une place au temps, explique Nathalie. Tout n'est pas planifié en avance. Avec les problèmes de réchauffement climatique, ils constatent qu'il y a des changements mais on ne fait pas débat sur des choses dont on ne connait pas l'issue. Si demain il n'y a plus de glace, ils feront autre chose, ils sont pragmatiques !"

De cette expérience et de leur envie de la partager est donc né "L"âme de la banquise". Cette âme, c'est celle de Bendt, leur père adoptif, qui sert de fil rouge au film de 52 minutes co-réalisé avec Jérôme Espla (disponible en DVD). Pendant près d'un an, ils ont suivi Olennguaq, son neveu, chasseur de phoques, d'ours et de narvals.

Voir sans juger

Témoins d'un mode de vie que l'on sait sur le déclin, Nathalie et Alain Antognelli abordent sans préjugés ni tabous le quotidien de la famille Kristensen avec laquelle ils partagent le matak (peau et graisse de béluga ou de narval). On assiste avec eux à la traque de l'ours ou du phoque et à leur découpe, on prend le temps d'un thé assis sur le traineau face à l'immensité de la banquise, on observe comment tanner une peau, on fête avec les enfants le retour du soleil... On s'émerveille aussi de ces lumières si particulières à l'Arctique, on écoute la glace qui grince au gré des vents et des marées et les chiens qui hurlent. Et l'on achève le voyage avec le sentiment d'avoir appris beaucoup en partageant pleinement et simplement une tranche de vie différente.
  (Nathalie et Alain Antognelli)
Le livre du même nom (en français et en anglais), préfacé par le prince Albert de Monaco, est là pour compléter ce témoignage d'une grande richesse. Photos magnifiques, textes des auteurs et témoignages des Groenlandais (découvrir quelques pages ici) nous apportent une foule de détails sur le périple des kayakistes d'une part mais aussi sur les activités propres à ces terres polaires où les loisirs sont limités, du tournoi de foot sur la banquise à la chasse au béluga, des problèmes de raviatillement à l'éducation des enfants ou aux fêtes religieuses. 

En attendant de repartir vers de nouvelles aventures, en kayak puis en vélo couché vers la Mongolie où ils aimeraient hiverner, Nathalie et Alain Antognelli seront à Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes), le samedi 19 mars, pour le festival du récit de voyage "Au tour du monde". Et on suivra bien volontiers leur conseil: "On ne vit la vie qu'une fois, donc il faut aller là où on se fait plaisir".

Découvrir leur site internet :  http://www.phototeam-nature.com/

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