Au son des bandas et du souffle des toros, "Le Sud est une fête", un livre qui célèbre les ferias
C'est une coutume, un mystérieux rituel, un simple rendez-vous ou bien une institution... ces fêtes qui débutent au printemps et finissent quand se pointe l'automne ont aussi leur littérature. Dans Le Sud est une fête, en tête de défilé, Francis Marmande, bayonnais et écrivain, donne la mesure : "J'aime les fêtes. Elles ne me laissent pas tranquille. Elles posent plein de questions qui sont des questions d'aujourd'hui."
Au-delà des témoignages de ces amateurs de fêtes, des illustrations démontrant l'énergie et la joie des foules, les questions éparpillées dans cet ouvrage touchent au profane, au taurin, au religieux ou parfois à l'ivresse ou aux chants qui noient l'air chaud. Questions hautement existentielles ou discussions embrumées au coin du comptoir des bodegas, elles racontent aussi les liens du vivre ensemble, comme ils disent aujourd'hui. Pour comprendre ces folies organisées, la lecture de ce recueil de pensées festives vous donnera les clés de ce curieux et joyeux mode de vie.
"Il faut profiter de la vie" : l'injonction de la San Fermin
S'il fallait n'en garder qu'une parmi les dizaines de ferias, parmi Séville, Nîmes, Mont-de-Marsan ou Céret, ce serait Pampelune et sa San Fermin qui résisterait. Pampelune et ses lâchers de taureaux dans les ruelles de la ville. Ces encierros, courus par jeunes et vieux (pas trop quand même), courageux ou prudents devançant à des centaines de mètres l'animal cornus, basques ou américains sont sa signature. "Où on revient chaque matin à ce toro qui piste les veines fémorales, applique les plans de la mort, de la violence et du malheur."
Chapu Apaolaza, journaliste et justement fameux coureur d'encierro a trouvé la sainte parole de la feria. Il raconte que ce matin-là, il aperçut "ce petit bonhomme sortant du bar (...) un verre de patxaran à la main et qui a poussé son cri de guerre, hay que vivir" [Il faut profiter de la vie]." Cette injonction, cette exhortation à l'existence, tous ceux qui se rendent comme en pèlerinage début juillet aux fêtes de Pampelune la connaisse. "Avec son bruit et sa joie, elles s'opposent à tout ce qui pourrait laisser croire que notre vie est vaine.".
Jean Le Gall, éditeur au Cherche Midi le résume autrement : "La fête, aussi vide de raisons soit elle (...) rompt avec la monotonie surpuissante de l'existence, avec le bâillement universel, avec l'univers légal, où tout est prévu, ajusté."
Parmi les auteurs, un sportif. Il est un grand troisième ligne de rugby. Quatre fois champion de France avec le Stade Toulousain, le montois Régis Sonnes connait le métronome des fêtes depuis l'enfance. Et il a ce joli rappel des calendriers des familles des Suds. "Faut terminer les travaux de la maison avant les fêtes. On ne peut pas se marier à cette date, ce sont les fêtes ou c'est un bébé des fêtes, celui-ci". Ce tempo est aussi celui des rendez-vous annuels, on s'y retrouve, amis éloignés et famille éparpillée, "ce rituel existe depuis la nuit des temps".
Un autre artificier du temps qui passe, Yves Harté, écrivain et journaliste. Et il penche vers la nostalgie des fêtes achevées. "À la fin d'un de ces jours de fêtes dont on n'aurait jamais voulu qu'ils finissent, reste une douce mélancolie, légère comme une amande et qui fait espérer en d'autres matins."
Pas de fêtes sans corrida. Parmi les plumes, la parole est donnée à Julien Lescarret, matador de toros. Pour lui, le planning de la journée avant de rentrer sur le sable des arènes n'est pas celui des amoureux de la nuit festive. "Me voilà au milieu de ce qui ressemble à un gigantesque décalage horaire. La légèreté s'est envolée pour quelques heures.". Avant les 18 heures du paséo, sa journée ne ressemble en rien à celle des aficionados qui vont l'applaudir ou l'ignorer après son combat dans les arènes.
Musique, religion et annés 1950
De page en page, on voyage vers l'Andalousie avec Cécile Mesplede, française installée à Séville qui raconte sa feria entre "dévotion religieuse et allégresse profane, la fête dans le sud de l'Espagne n'a rien d'une frivolité joyeuse et bruyante". Puis, on déguste tard le soir ou au petit matin, l'omelette aux piments doux des Landes du chef cuisinier Julien Duboué, pour ensuite faire le Rocio avec la reine de la tauromachie à cheval, Léa Vicens. Du Rocio, ce pèlerinage du sud de l'Espagne, elle se souvient de : "Je chevauche aux côtés de Don Rafael, le merveilleux curé de la Puebla. Sa soutane l'oblige à monter en amazone. L'image me fait penser à un film des années 1950."
En Camargue, c'est une autre femme, Charlotte Yonnet qui écrit : "En Camargue, la fête se crée autour du taureau et du cheval". Charlotte Yonnet en sait quelque chose, elle qui élève chevaux et taureaux de corridas dans le delta de ce grand fleuve qu'est le Rhône entre sel, terre et mer. Un détour par Mont-de-Marsan, l'autre sud, où Jean Le Gall se rend, chaque mois de juillet, en prétextant à ses collègues de bureau, "un repos en famille". En fait, dit-il, "vers 1 ou 2 heures du matin, on me retrouvera en train de toréer les voitures, les passants et les passantes. Je serai ivre". Souvenir d'Antoine Blondin et ivre de fête.
Mais ce voyage sur les terres des fêtes ne serait rien sans la musique. Celles des bandas, marathoniens des mélodies qui de 9 heures du matin aux tréfonds de la nuit parcourent rues et bodegas. Les voir, les écouter aux derniers jours des fêtes, exténués mais vaillants, est un hommage aux musiciens des rues avec leurs fandangos, jotas ou pasacalles.
Mot de la fin par Laurent Debèze "Tiotio", chef de lidia des bandas : "Qui n'a jamais entendu de chorale basque, béarnaise ou bigourdane improviser au coin d'une buvette ne connait pas véritablement le sens et les valeurs du Sud-Ouest."
Cela dit, il doit être l'heure des arénes et le moment de filer vers une de ces fêtes, il y en a tout l'été, dès que vous êtes dans les Suds. Calendrier en dernières pages de l'ouvrage.
Extraits :
"Pas besoin de faire-part, d'invitation ou de convocation : on sait d'avance que l'on va se
revoir, même pour un court moment." Régis Sonnes
"Le Sud conserve le son des cuivres et des tambours. C'est une permanence olfactive qui convoque l'odeur des pétards et celles des fauves du toril, une mémoire de passe parfaite et de percée rectiligne sur la pelouse de Tournoi. Le Sud n'est qu'un désir d'enfance prodigieusement renouvelé." Yves Harté
"Le Sud est une fête. Pour tous les amoureux des ferias"
Sous la direction de Benjamin Ferret. 192 pages. 30 euros.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.