Le philosophe Alain Finkielkraut entre à l'Académie française
Alain Finkielkraut a été élu avec 16 voix pour et 8 contre. Son entrée dans cette célèbre institution a suscité la polémique.
Le philosophe Alain Finkielkraut a été élu à l'Académie française, jeudi 10 avril. Il a obtenu 16 voix, tandis que 8 voix se sont opposées à son entrée, selon Le Point et Le Figaro. L'intellectuel bénéficiait de nombreux soutiens avant l'élection, parmi lesquels Pierre Nora, Jean d'Ormesson ou Max Gallo. Il avait même remporté le prix de l'essai de l'Académie 2010 pour Un cœur intelligent.
Pourtant, la révolte grondait parmi les 38 immortels. L'un d'eux, furieux, aurait même lâché : "Le Front national ne doit pas entrer sous la coupole", selon des propos rapportés par Le Figaro. Un autre aurait ajouté : "Dis donc, ils sont remontés contre Finkielkraut, ça ne va pas être une promenade de santé…"
Certains le disent réac. Francetv info dresse le portrait de l'un des intellectuels français les plus controversés.
Mai 68 : "La langue était une langue de bois"
"Mes parents sont nés en Pologne, j'ai été naturalisé en même temps qu'eux en 1950 à l'âge d'un an, ce qui veut dire que je suis aussi français que le général de Gaulle mais que je ne suis pas tout à fait français comme lui", témoigne Alain Finkielkraut dans Le Figaro. Une enfance passée rue Jean-Pierre Timbaud, à Paris, dans une famille juive de tradition plutôt que de religion.
Alain Finkielkraut est admis en khâgne au prestigieux lycée Henri-IV. Lorsqu'éclate Mai 1968, il est en train de potasser le concours de Normale sup, en Sologne. Il décide de monter à Paris. "La parole était merveilleusement libre, mais, sauf exception, la langue était une langue de bois, raille-t-il dans une interview à Philosophie magazine. Je suis donc devenu gauchiste en un tour de main, et plus précisément mao. N’avoir personne à sa gauche, c’était le bonheur de pouvoir intimider tout le monde." Sans grande conviction, au fond. Admis à Normale sup, il décroche l'agrégation de lettres modernes.
1985 : "Répliques", micro des intellectuels
La modernité ? Parlons-en. En 1977, Alain Finkielkraut dénonce le "mythe" de la révolution sexuelle dans Le Nouveau Désordre amoureux, coécrit avec Pascal Bruckner. Avec lui, il récidive deux ans plus tard avec Au coin de la rue, l'aventure. Son maoïsme de façade n'a pas fait pas long feu.
Dans son Journal daté du 30 décembre 1980, l'écrivain Matthieu Galey dit sa surprise de déjeuner avec un homme à l'allure de "bon élève de Sciences Po" plutôt qu'un "intello en blouson râpé". Il décrit un "passéiste modéré, très pessimiste sur l'avenir d'Israël qui risque d'être détruit un jour par une guerre civile entre juifs (...), qui n'a jamais été en carte nulle part." Alain Finkielkraut compte d'autant plus qu'il crée en 1985 l'émission "Répliques", où se succèdent encore aujourd'hui les intellectuels, tous les samedis sur France Culture.
A cette époque, il peaufine également ses thèmes de prédilection. Son ouvrage La Défaite de la pensée (1987) l'inscrit dans une critique du modernisme doublée d'un certain pessimisme, ainsi que dans la défense de valeurs universelles héritées des Lumières. Il combat le relativisme ambiant, "né du combat pour l'émancipation des peuples".
1989, l'affaire du voile à l'école
Cette lutte contre le relativisme culturel va trouver à s'exprimer une nouvelle fois lors de "l'affaire du foulard islamique". Le 6 octobre 1989, le principal d'un collège de Creil (Oise) refuse l'entrée en classe de trois élèves musulmanes voilées. Ulcéré par la gestion de l'incident par Lionel Jospin, alors ministre de l'Education, Alain Finkielkraut cosigne, avec notamment Elisabeth Badinter et Régis Debray, une tribune (PDF) dans Le Nouvel Observateur qui dénonce un "Munich de l'école républicaine". "Tolérer le foulard islamique, ce n'est pas accueillir un être libre (en l'occurrence une jeune fille), c'est ouvrir la porte à ceux qui ont décidé, une fois pour toutes et sans discussion, de lui faire plier l'échine", affirment les signataires.
1995 : "L'imposture Kusturica"
Mais Alain Finkielkraut prend également parti sur la scène internationale. Lors du conflit yougoslave, il publie en 1992 Comment peut-on être croate ? (Gallimard), un pamphlet dans lequel il prend la défense de Zagreb, ainsi que des articles dans la revue Le Messager européen. Son sang ne fait qu'un tour en 1995, quand le festival de Cannes décerne la Palme d'or au film Underground d'Emir Kusturica, au lendemain du massacre de civils bosniaques par l'armée serbe à Tuzla.
Alain Finkielkraut publie une tribune dans Le Monde, intitulée "L'imposture Kusturica", dans laquelle il accuse le réalisateur de reproduire la propagande serbe. "Ce que Kusturica a mis en musique et en images, c'est le discours même que tiennent les assassins pour convaincre et pour se convaincre qu'ils sont en état de légitime défense." Le réalisateur rappelle à son accusateur qu'il n'a pas vu le film. Peu importe, Alain Finkielkraut persiste et signe dans Libération. Il ne devient toutefois pas un globe-trotter de l'indignation à l'image de Bernard Henri-Lévy.
2002 : les larmes de Juliette Binoche
En mars 2002, Alain Finkielkraut s'exprime au sujet du conflit israélo-palestinien sur le plateau d'Ardisson. A ses côtés, l'actrice Juliette Binoche tente de lui répondre, prône le dialogue entre les peuples, puis fond en larmes. L'intellectuel semble gêné.
"Taisez-vous !" Parfois brusque, il s'emporte sur le plateau de l'émission "Ce soir ou jamais", en octobre 2013, face à un invité qui tente de l'interrompre à plusieurs reprises. Deux mois plus tôt, dans le JDD, son amie la philosophe Elisabeth de Fontenay lui reprochait justement de dialoguer "pour emporter le morceau, mais pas pour changer sa propre pensée".
Omniprésent dans les médias, Alain Finkielkraut se lamente de la place offerte au divertissement. Dans Un cœur intelligent, il écrit : "L'esprit de sérieux a été pulvérisé par la guignolade. Du matin au soir, le public que nous formons est invité à se marrer. Le rire est devenu la bande-son du monde."
2005 : les émeutes, "révolte à caractère ethnico-religieux"
Après l'épisode du voile à l'école, Alain Finkielkraut poursuit sa critique du communautarisme. En 2005, il l'accuse d'être à l'origine des émeutes en banlieue. Dans un entretien au journal israélien Haaretz (en anglais), il qualifie ces événements de "révolte à caractère ethnico-religieux", ajoutant que "la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s'identifient à l'islam", à l'inverse d'autres "émigrants en situation difficile, chinois, vietnamiens, portugais, qui eux ne participent pas aux émeutes". Le tollé est immédiat. Le Mrap menace de porter plainte. En défense, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, déclare qu'Alain Finkielkraut "fait honneur à l'intelligence française".
2010 : les Bleus et leurs "clans et divisions ethniques"
"S’il m’arrive de penser, c’est sous l’effet d’un choc. Ce sont les événements qui font surgir les problèmes", explique Alain Finkielkraut. A lire ses prises de position, il serait donc en choc permanent. L'affaire Leonarda ? "François Hollande a humilié la République." Internet ? "Un immense cloître où les sphincters de la liberté ne cessent de déverser leurs productions innombrables." La débâcle des Bleus à Knysna (Afrique du Sud), en 2010 ? "Si cette équipe ne représente pas la France, hélas, elle la reflète : avec ses clans, ses divisions ethniques, sa persécution du premier de la classe, Yoann Gourcuff."
Depuis toujours : le soutien à Israël
L'auteur du Juif imaginaire (Seuil, 1980) se rend souvent en Israël. Et il est la cible évidente des intellectuels critiques de l'Etat hébreu.
En 2010, l'arraisonnement par l'armée israélienne d'une flottille venue livrer de l'aide humanitaire à Gaza fait neuf morts parmi les militants, provoquant un tollé international. Finkielkraut prend alors la défense d'Israël et estime que "les Israéliens ne voulaient pas de ce bain de sang. Ils sont tombés dans un piège. Ce bain de sang a été délibérément provoqué par les organisateurs", selon des propos rapportés par Le Monde (article abonnés). Il accuse directement la Turquie, "où Mein Kampf est un best seller", de jeter de l'huile sur le feu.
"Il m'arrive d'être pris à partie à cause de mon amour 'viscéral' d'Israël. Je suis pourtant signataire de JCall [European Jewish Call for Reason, un "réseau juif européen pour Israël et pour la paix"] et je soutiens, depuis 1980, l'option des deux Etats", s'étonne-t-il dans le JDD.
2013 : "L'identité malheureuse"
"Finkielkraut appartient-il encore à la gauche ?" se demandait Libération en 2005. Quelques années plus tard, la question semble décalée. Les critiques avaient accueilli favorablement Un cœur intelligent (Stock/Flammarion, 2009). Il en va tout autrement pour son dernier essai, L'Identité malheureuse (Stock, 2013), dont le champ sémantique, entre "autochtones" et "identité", a été critiqué.
Plusieurs commentateurs s'interrogent sur l'empreinte laissée par l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus. Lequel accuse l'immigration d'accomplir un Grand remplacement de la population, du nom d'un ouvrage publié en 2011. "Qu'Alain Finkielkraut précise jusqu'où va sa passion pour un écrivain qui a très officiellement déclaré sa flamme à la présidente du Front national", écrit Le Monde (article abonnés). "Doit-on citer les auteurs cultes de l’extrême droite sans réserve ?" ajoute Slate. "Je ne vais pas voter Marine Le Pen. Je la combattrai, mieux que ses adversaires", répond, dans le JDD, Alain Finkielkraut.
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