Mort d'Alain Senderens : "Un grand monsieur de la gastronomie française du XXe siècle s'en va"
Après la mort du chef Alain Senderens, le journaliste et critique gastronomique François-Régis Gaudry garde l'image d'un "grand monsieur de la gastronomie française du XXe siècle".
Le journaliste et critique gastronomique François-Régis Gaudry rend hommage, mardi 27 juin, sur franceinfo, au chef cuisinier Alain Senderens, mort samedi à l'âge de 77 ans, estimant que c'est "un grand monsieur de la gastronomie française du XXe siècle qui s'en va aujourd'hui."
franceinfo : Que représente Alain Senderens, selon vous, pour la gastronomie ?
François-Régis Gaudry : C'est tout simplement un grand monsieur de la gastronomie française du XXe siècle qui s'en va aujourd'hui. Je l'avais eu au téléphone il y a quelques semaines (…), je l'avais trouvé évidemment fatigué. On le savait, que, après une très grande carrière qui l'avait éprouvé, laminé, mais il restait très enthousiaste à l'idée de transmettre sa passion, son travail. Il m'avait parlé de ce bon plat, le canard Apicius qu'il avait créé dans les années 1990, c'était un remarquable canard, peut-être bien l'une des recettes les plus brillantes du répertoire de ces dernières décennies : un canard rôti entier, avec, puisque c'était quelqu'un de très érudit, qui avait une grande culture culinaire, des influences héritées de l'antiquité romaine. Donc, il avait utilisé, pour laquer des canards, un peu à la chinoise, un miel aux épices, il y a avait de l'anis étoilé, c'était un canard remarquable que les clients lui réclamaient lors de ses dernières années dans son restaurant Senderens.
Un canard qu'il fallait manger avec un vin particulier, ce qui paraît normal aujourd'hui, mais c'est lui qui a réinventé les accords entre les mets et les vins ?
Absolument. Dans la gastronomie française rares sont les chefs qui s'intéressent aux accords vin et gastronomie, tout simplement parce que les chefs n'ont pas tellement le temps de s'intéresser au vin, et parce que c'est un autre métier, mais, à la suite d'une rencontre dans les années 1980 avec Jacques Puiset qui était un grand œnologue de l'époque, Alain Senderens avait été contaminé par la passion du vin, et avait développé une démarche extrêmement intéressante d'accords entre ses plats et le vin. Il me disait, il y encore quelque temps, au téléphone : 'Un accord aujourd'hui entre des fromages de chèvre frais, par exemple, et du blanc, l'idée d'associer un vin blanc avec du fromage était, dans les années 1980, 1990, totalement incongrue'. Aujourd'hui, c'est un accord qui fait une absolue autorité. Preuve qu'Alain Senderens, a aussi fait avancer les choses dans le domaine des accords mets-vins.
Alain Senderens était aussi le premier à rendre ses étoiles au Michelin...
Il avait été un peu embêté par cette ambiguïté, parce que je crois que son geste avait été assez mal interprété. En 2005, Alain Senderens est détenteur de trois étoiles au guide Michelin, il est un peu fatigué après une carrière harassante, il a tout simplement envie de se tourner vers une cuisine un peu plus décontractée. Il a aussi envie de rendre cette cuisine plus démocratique. Il me disait que l'addition coûtait 380 euros, il avait envie de la diviser par trois pour permettre aux jeunes gourmets de Paris, de région, mais également de l'étranger, de venir goûter sa cuisine, et il avait demandé, un peu comme un général en désertion, de lui retirer ses trois étoiles. Son geste avait été interprêté comme un acte de rébellion, alors que, lui, c'était juste une volonté de rendre un peu les armes et sortir un peu de la compétition extrêmement épuisante pour les nerfs qu'est la course aux étoiles dans le guide Michelin. Et donc, effectivement, il avait voulu faire, à sa manière, avec panache, une cuisine plus décontractée. Le guide Michelin avait, comme une espèce de pied-de-nez, refusé de lui enlever totalement ses étoiles, mais lui en avait donné deux, et non trois, l'année d'après, quand il a changé son restaurant.
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