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Vous avez l'impression que toutes les affiches de films se ressemblent ? C'est normal, elles sont faites pour ça

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Un montage, issu du blog de Christophe Courtois, distributeur chez SND, et réalisé en 2011, illustre les ressemblances, voulues, entre les affiches. Ici, les personnes mis dos-à-dos pour évoquer l'opposition, puis la complicité. (CHRISTOPHE COURTOIS)

Du bleu et jaune pour les comédies, des héros accompagnés par leurs amis devant une explosion pour les films d'action... Les affiches de cinéma ont souvent un air de déjà-vu et ce n'est pas qu'une question de paresse comme le pense Vincent Cassel. 

Vincent Cassel, en costume, regard d'acier, plonge ses yeux dans les vôtres, arme à la main. A ses côtés, une multitude d'acteurs détourés, parmi lesquels on reconnaît Fabrice Luchini ou Olga Kurylenko. Par un habile fondu, on devine Notre-Dame de Paris, et un duel entre deux hommes. Plus bas, un titre en lettres dorées : L'Empereur de Paris. La star française joue Vidocq dans ce film réalisé par Jean-François Richet qui sort mercredi 19 décembre. Une affiche que vous avez sûrement déjà vue sur un bus, une colonne Morris, ou dans vos cinémas.

L'affiche de "L'Empereur de Paris", un film de Jean-François Richet qui sort le 19 décembre 2018. (GAUMONT DISTRIBUTION)

Elle vous semble familière ? Normal, elle reprend les codes des films "en costume", pointe Quentin Durand, alias le stagiaire des affiches, sur son site, où il s'amuse à se moquer de ces supports. Ironie de l'histoire, jeudi 15 novembre, Vincent Cassel lui-même dénonçait sur Instagram (le post a été supprimé depuis), par un montage réunissant plusieurs affiches de comédies, "le formatage, le manque d’invention, la flemme et le nivellement par le bas des distributeurs".

Les distributeurs ont-ils vraiment "la flemme" de proposer des affiches différentes ? Les acteurs du secteur contactés, qui pour la plupart préfèrent rester anonymes, apportent des éléments de réponse.

"C'est une carte d'identité"

Pour comprendre ce phénomène, il faut se pencher sur le rôle du producteur, sans qui un film ne peut exister. Une fois le tournage terminé, il devient le maître des opérations et prépare la sortie. "Il a un rôle marketing, il est celui qui va mettre le film sur le marché", détaille un ancien distributeur, devenu producteur. Le distributeur pense, à l'aide de son service marketing, la bande-annonce, la promotion, l'affiche, et doit faire en sorte que le film rencontre son public.

"Pour créer la notoriété d'un film, l'affiche est essentielle, assure cet ancien distributeur. Les gens vont la voir dans la rue, dans le métro ou dans leur salle de cinéma." Sa règle d'or ? "Elle doit être visible à tout prix et doit attirer les regards", précise-t-il. Sans oublier qu'elle doit envoyer le bon message, "pour que les bonnes personnes voient le bon film", ajoute David Honnorat, cofondateur de Vodkaster et auteur de l'ouvrage Movieland"C'est une carte d'identité du long-métrage", résume un directeur d'une grande société de distribution française contacté par franceinfo.

Si elle est pensée par le distributeur et son équipe marketing, l'affiche d'un film est conçue par un graphiste, qui se base sur un cahier des charges précis et des photos prises sur le tournage ou sur des images extraites du long-métrage. "Souvent, le distributeur a déjà une idée de ce qu'il veut", indique un graphiste expérimenté. La marge de création est donc réduite, ce qui ne le choque pas. "Je n'ai pas de prétention artistique, l'affiche doit avant tout être le support du film", lance-t-il. Un avis corroboré par David Honnorat.

Juger l'esthétique d'une affiche n'a pas de sens. Elle ne doit pas être belle, elle doit faire venir le spectateur. C'est un élément marketing, comme une publicité.

David Honnorat, auteur du livre "Movieland"

à franceinfo

Dans un univers hyper concurrentiel, où plus de 300 films sont proposés chaque année aux spectateurs, la prise de risque est limitée. "Huit films sur dix se plantent", assure un graphiste travaillant pour une grande agence artistique parisienne. Du coup, les distributeurs n'ont plus qu'un seul mot en tête : rassurer le public. "Notre marge de manœuvre n'est pas forcément réduite au départ, indique le graphiste, fort de dix ans de métier. Mais il faut rassurer pour que les gens comprennent ce qu'ils vont voir." Et ce n'est pas forcément une marque de mépris envers les spectateurs, assure le directeur de la distribution contacté.

Ce principe est vieux comme le cinéma, résume Christophe Courtois, distributeur chez SND, qui tient un blog sur le sujet. "La communication cinématographique a toujours été standardisée, écrit-il dans un post datant de 2014(...) L'industrie du cinéma étant une industrie de films prototypes uniques, la codification de sa communication répond tout simplement à cet objectif. Suggérer on ne peut plus clairement de quels autres films plus anciens, de quel genre, de quelle famille ce 'nouvel objet cinématographique' se rapproche. Depuis un siècle."

De temps en temps, un film "disruptif, pour employer un terme à la mode", précise le directeur de la distribution, s'offre une affiche qui casse les codes. "Le dernier exemple en date, avance-t-il, c'est Irréversible (Gaspar Noé, 2002), mais parce que le film est déjà un objet en soi."

L'affiche du film "Irréversible", de Gaspar Noé, avec Vincent Cassel, Monica Bellucci et Albert Dupontel. (Copyright Mars Distribution)

Respecter des codes bien établis

Dans la jungle du septième art, où le spectateur est abreuvé d'images, de bandes-annonces, de pré-affiches, de "concept-art" ou d'affiches officielles, l'œil doit être aiguillé. D'où la nécessité de respecter des codes bien établis. Les couleurs claires et flashy (bleu, jaune, blanc, rouge ou rose) sont régulièrement utilisées pour les comédies. Les affiches de films d'horreur favorisent des tons sombres, barrés parfois par un rayon lumineux, comme le décrit Le Monde, ou accompagnés par un œil en très gros plan. Pour un film d'action, on retrouve une arme et le personnage principal en train de courir. Le fond jaune "à la Little Miss Sunshine", dixit l'ancien distributeur, est souvent synonyme de film américain indépendant. Ces codes se doublent parfois de phénomènes de mode. 

Un montage, issu du blog du distributeur de chez SND, Christophe Courtois, qui rassemble différentes affiches de films indépendants. (CHRISTOPHE COURTOIS)

Un montage, issu du blog du distributeur chez SND, Christophe Courtois, qui rassemble toutes les affiches avec un œil en gros plan.  (CHRISTOPHE COURTOIS)

"Le post de Vincent Cassel est légitime, le combo fond bleu et typo jaune est actuellement prisé pour les comédies, note le graphiste d'une grande société parisienne. C'est notamment dû au triomphe de 'Bienvenue chez les Ch'tis' en 2008. Mais dans les années 90, on était plutôt sur du fond blanc et une typo rouge." A la fin du XXe siècle, le pape de la comédie made in France s'appelle Francis Veber. Le succès de son Dîner de cons entraîne une floppée d'affiches de comédies avec typo rouge sur fond blanc.

Pourquoi ces couleurs (bleu, blanc, rouge, jaune) reviennent-elles régulièrement dès qu'on confectionne une affiche pour une comédie ? L'historien Michel Pastoureau, spécialiste de la symbolique des couleurs, a théorisé l'usage du bleu dans son ouvrage Bleu, histoire d'une couleur : "Le bleu est la couleur la moins souvent 'détestée' dans les enquêtes d'opinion. Le bleu n'agresse pas, il ne transgresse rien. Il sécurise et rassemble." Le blanc lui exprime "la légèreté, la gaieté ", rappelle l'agence créative Troïka. Quand le blanc est associé avec un titre qui vire au rose, comme dans Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?, "on se doute que ça va parler mariage", affine David Honnorat. Le rouge pour les roses et le cœur, et le blanc pour la référence à la robe. 

Cette uniformisation ne touche pas uniquement la France. "Les affiches des films de Tom Cruise se ressemblent, cite Quentin Durand. Celles des films de Marvel aussi." Ce community manager, cinéphile averti, collectionne les affiches depuis qu'il est adolescent. Il regrette que le marketing ait pris le pouvoir et se souvient d'affiches dessinées et plus graphiques, comme celles des artistes John Alvin (Blade Runner) ou Drew Struzan (E.T., L'Extra-terrestre, Retour vers le futur).

L'affiche du film "E.T. L'Extra-terrestre" (1982), réalisé par Steven Spielberg, a été dessinée par l'artiste Drew Struzan. (AMBLIN / UNIVERSAL)

Méfiance toutefois face à cette nostalgie. "Penser que les affiches de l’époque étaient conçues par des artistes libres de toutes contraintes commerciales, et qu’elles n’étaient pas le fruit de commandes (ou de diktats) bien précis des studios est une hérésie", tranche Christophe Courtois dans une interview au blog Cineblogywood en 2013. D'après le distributeur, les affiches de Drew Struzan et Saul Bass (The Shining, Vertigo) correspondaient à une époque. Révolue aujourd'hui.

"Drew Struzan fait encore des affiches à la commande, mais personne ne les lui prend", assure Quentin Durand. Le réalisateur mexicain Guillermo del Toro (La Forme de l'eau, Hellboy) a même gardé chez lui une affiche dessinée par l'artiste, mais refusée, pour son film Le Labyrinthe de Pan. Pour justifier ce refus, voici ce qu'avait déclaré l'un des producteurs lors d'une conférence de presse.

Nous ne l'avons pas utilisée parce que cela ressemble trop à de l'art.

Un des producteurs du film "Le Labyrinthe de Pan"

Le livre "L'art de Drew Struzan" (éditions Akileos, 2013)

Le public a besoin de repères, il peut être "dérouté par des affiches loufoques ou folkloriques, en dépit de grandes qualités artistiques, tout simplement parce qu’il a du mal à rattacher le film à un genre connu, étaye Christophe Courtois. Une affiche n’est pas un tableau." Pourtant, l'échec ou le succès d'un film n'est pas déterminé par son affiche. Dans le pire des cas, "une affiche ratée envoie un mauvais message", précise un ancien distributeur. Cette hypothétique responsabilité fait sourire chez les graphistes. "Entre nous, on a cette phrase, 'quand le film marche, c'est qu'il est bon, quand il se plante, c'est que l'affiche était moche'", s'amuse l'un d'eux.

Pourtant, les graphistes, qui touchent entre 10 000 et 15 000 euros pour leur travail en fonction du film, ne sont pas frileux et proposent généralement "une vingtaine d'affiches plus ou moins originales" à chaque fois, avance un des professionnels contactés. Mais, fataliste, celui-ci comprend qu'à la fin, le distributeur opte pour la solution la moins risquée : "Faire un film coûte cher. L'affiche est une promesse sur laquelle le spectateur pose son regard quelques secondes, il faut qu'il comprenne tout de suite le concept." Un autre graphiste abonde :

On propose toujours des choses originales, en sachant que c'est l'affiche la moins marquée qui va être retenue.

Un graphiste

à franceinfo

Et la révolution des affiches pourrait bien ne jamais avoir lieu. "La créativité est un faux sujet", tranche le directeur d'une grande société de distribution qui trouve "normal" qu'elles se ressemblent toutes. "On doit informer le public sur ce qu'il va voir, car on a besoin que le public vienne dans les salles." 

"En même temps, les scénarios se ressemblent aussi et on retrouve souvent les mêmes acteurs dans tous les films, souffle un graphiste. Tout ne peut pas changer du jour au lendemain."

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