Thierry Frémaux : après Lumière, "le cinéma va se figer"
Thierry Frémaux, délégué général du festival de Cannes, remonte pour son premier film aux origines du cinéma avec "Lumière !, l'aventure commence", hommage à l'œuvre des frères Lumière.
Thierry Frémaux signe son premier film et c'est un hommage amoureux aux frères Lumière. Le délégué général du festival de Cannes propose Lumière ! L'aventure commence, 108 films de 50 secondes signés des pionniers du cinéma, choisis et commentés avec passion par Frémaux. Un film déroutant qui donne à voir une histoire du cinéma. Et de cinéastes qui inventent littéralement la mise en scène, les travellings, les trucages.
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franceinfo : En proposant ce film, vous remontez aux origines mêmes du cinéma.
Thierry Frémaux: Le cinéma des frères Lumière, c’est le cinéma des premiers gestes, celui d’une certaine innocence, voire d’une certaine pureté dans le filmage. Aujourd’hui les images ne sont pas pures, on ne sait pas d‘où elles viennent, elles sont traficotées, elles sont numérisées. Là, c’est 50 secondes, 17 mètres de pellicule et, en effet, on peut raconter des histoires. L’arroseur arrosé, premier film de fiction, tourné en juin 1895, donc l’un des premiers, est un film qui repose complètement sur un scénario. Ce qui, d’ailleurs, bat en brèche l’idée que Lumière ne faisait que du documentaire, et l’autre cliché qui veut que Lumière soit une sorte de Monsieur Jourdain du cinéma qui en faisait sans s’en rendre compte.
franceinfo : Louis Lumière est un artiste ? Vous en êtes convaincu ?
Oui, il est au bout de la chaîne des inventeurs, il est au début de celle des cinéastes. Et les questions qu’il s’est posées – comment je raconte une histoire, où est-ce que je mets la caméra –, ce sont les questions que les cinéastes à sa suite se sont posées. C’est pour ça que, de Martin Scorsese à Michel Hazanavicius, les cinéastes d’aujourd’hui, et à l’époque Elia Kazan ou Joseph Mankiewicz, sont très frappés. D’abord, il y a un petit côté retour à la maison. Moi, je vais même plus loin, je pense qu'au moment où la grotte Chauvet est ouverte au public, moment le plus ancien où les hommes se sont représentés en peinture rupestre, le film Lumière! sort, et c’est un événement tout aussi considérable.
C’est-à-dire que techniquement il avait déjà compris ce qu’était une perspective, un traveling ?
Oui, mais il n'y a pas de trace, pas d’archive, pas de documentation. Par exemple, on ne sait pas quel était le degré de culture de l’homme Louis Lumière. Et il y a des similitudes très troublantes, alors il s'est peut-être dit : "Je vais imiter, je vais faire comme Cézanne, quand il fait Les joueurs de cartes". Il y a un film de Lumière qui ressemble tout à fait au tableau de Cézanne, donc soit il s’est inspiré, et c’est formidable, soit il ignorait tout ça, et alors il a eu les mêmes inspirations. Du coup c’est encore plus passionnant.
Quelle est son influence sur les débuts de la fiction au cinéma ? Quand on prend par exemple le petit film sur les pêcheurs de baleines et qu’on voit au premier plan ce rameur sur la barque qui va vers le gros bateau, on pense à Eisenstein. C’est impressionnant de voir les prémices de beaucoup de choses qui vont suivre...
On ne va pas dire qu’Eisenstein connaissait les films Lumière et qu’il s’est dit, "Tiens, avec ce film là, j’ai une idée, je vais moi aussi faire un film sur les marins". Mais il est clair que Lumière n‘est pas en-dessous, surtout que c’est trente ans avant. C’est sur qu’un Pialat a dit des choses extraordinaires [Des œuvres de Lumière, Pialat dit : "Tout le cinéma est là, dans ce vol de l’existence, dans cette exorcisation de la mort]. Pour avoir dit ça sur Lumière, il fallait qu’il ait vu les films. Quand on regarde le cinéma de Pialat, de Bresson, de Renoir, de quelqu’un comme Kechiche aujourd’hui, c’est cette tradition que Lumière a ouverte qui est celle de l’enregistrement du monde : je vous montre le monde tel qu’il est. Quand un Méliès, lui, choisit de réinventer le monde – et il ne faut pas les opposer –, c’est Rossellini-Lumière, Fellini-Méliès.
C’est d’autant plus marquant qu’en matière de fiction, à l’époque, le théâtre est très poseur. Toute la modernité de Lumière est déjà là.
Oui, parce qu’après lui, le cinéma va se figer. Les cinéastes vont poser une caméra et le cadre sera celui de la scène. Alors que Lumière fait comme les impressionnistes qui sortent de chez eux, qui arrêtent de peindre les rois et les reines et qui vont peindre des gares, des trains, des pêcheurs le long des fleuve. Il était obligé parce qu’il lui fallait de la lumière, mais en effet il y a quelque chose d’une modernité que le cinéma va retrouver plus tard, d’une certaine façon.
Dans le texte que vous lisez sur ses films, il fallait éviter les superlatifs et, en même temps, raconter cette histoire-là ?
Oui, c’est un montage que j’avais l‘habitude de faire en direct, sur scène, et évidemment, en direct, vous faites un peu le bateleur. Surtout, les films font tellement rire les gens que ça vous pousse à en faire des tonnes. Pour un film qui sort en salles, il fallait en réduire le caractère excentrique et expliquer, aussi. Le commentaire est un peu mélancolique, m’a-t-on dit, mais parce que les films de Lumière sont émouvants, ça alterne entre l’émotion et la drôlerie, il fallait que j’accompagne ça. Mais ce n’est pas un film de moi, c’est un film de Lumière et de ses opérateurs.
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