"Zero Dark Thirty" : Kathryn Bigelow filme la traque de Ben Laden
De Kathryn Bigelow (Etats-Unis), avec : Jessica Chastain, Jason Clarke, Joel Edgerton, Jennifer Ehle, Mark Strong, Edgar Ramírez, Kyle Chandler - 2h29 - Sortie : 23 janvier
Synopsis : Le récit de la traque d'Oussama Ben Laden par une unité des forces spéciales américaines. Sur plus de dix ans et avec deux présidents, la mission fut au final menée par une petite équipe d'agents de la CIA, depuis le quartier général de l'Agence à Langley (Virginie), jusqu'au Pakistan, en passant par l'Afghanistan, dans laquelle une jeune recrue, Maya, pisteuse sur le terrain, joua un rôle essentiel. PertinenceSymptomatique d’un cinéma américain très réactif à l’actualité, « Zero Dark Thirty » sort sur les écrans moins de deux ans après la mort d’Oussama ben Laden, tué par un commando américain. Le titre, énigmatique renvoie à l’heure où les troupes spéciales des Navy Seals débarquèrent dans le camp retranché du leader islamiste à Abbottabad (banlieue d’Islamabad), au Pakistan, le 2 mai 2011 à 00h30. Au plus proche de la réalité des faits rassemblés par le journaliste Mark Boal, avec lequel Kathryn Bigelow avait déjà travaillé sur « Démineurs », leur dernier opus inspire des sentiments partagés.
Contrairement à son film précédent qui évoquait une unité de déminage durant la guerre d’Irak sur le mode d’une pure fiction, « Zero Dark Thirty », également directement relié au contexte de « guerre contre le terrorisme » instauré par l’administration Bush Jr., se réclame d’une exactitude maximale des événements décrits, tel que le cinéma est capable d’en rendre compte. De fait, difficile de mettre à plat dix ans de traque en 2h39. C’est pourtant ce que réussit le film, tout comme la mise en scène et en images naturalistes bluffantes, en phase avec le sujet. Dramaturgie lacunaire
Cinéaste de l’action, Kathryn Bigelow et son scénariste laissent de côté toute dimension psychologique de leur personnage, se focalisant minutieusement sur les étapes ayant conduit les protagonistes à la réussite de leur mission, jusqu’à la reconstitution quasi-maniaque de l’assassinat de ben Laden en temps réel. Une gageure et le meilleur du film. Ce dernier n’en est pas moins très bavard, pour exposer les embuches et la complexité d’une telle opération. Le personnage de Maya (Jessica Chastain), au centre de l’intrigue, est volontairement traité de façon très énigmatique, dans ses motivations. Un parti pris justifiable, mais moins pertinent concernant la décision de l’administration de confier à une jeune recrue des responsabilités aussi grandes pour une telle mission. Pourquoi elle ? Mystère.
Tant et si bien que « Zero Dark Thirty » manque singulièrement de dramaturgie, par une profusion de personnages sans épaisseur, et l’exposé d’enjeux techniques surabondants en rupture avec l’émotion. L’on a enfin beaucoup parlé des scènes de torture du film que d’aucuns, au sein de l’administration américaine, ont dénoncées. Elles sont pourtant bien « soft » dans le film en comparaison de ce qui a été rapporté des exactions survenues dans la prison d’Abou Ghraib en Irak ou à Guantanamo. Il est toutefois reconnu que ce ne sont pas ces interrogatoires musclées qui auraient conduit à la mort du leader d’Al-qaïda, mais les recoupements effectués par les agents de la CIA et la surveillance satellitaire, au premier chef.
Au bout du compte, la reconstitution cinématographique de la traque de ben Laden ne constitue-t-elle pas une fausse bonne idée ? Un documentaire, tel qu’il en fut présenté un au dernier festival de Sundance n’est-il pas plus approprié ? Les auteurs revendiquent d’avoir voulu avec « Zero Dark Thirty » coller à la forme du nouveau journalisme américain des années 60-70 consistant à imbriquer des éléments d’information, d’actualité, avec une forme littéraire, ici cinématographique. C’est ce que réussissait Alan J. Pakula dans « Les Hommes du président » (1976), voire plus récemment David Fincher avec « Zodiac » (2007) ou « The Social Network » (2010). Ici le résultat est plus mitigé, même s’il ne démérite pas, loin sans faut. Mais un peu plus d’implication du spectateur dans le processus à l’œuvre n’aurait pas fait grief, bien au contraire.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.