Cet article date de plus de huit ans.

"Voir du pays", débriefing militaire au retour d'Afghanistan

Projeté à Un certain regard, "Voir du pays" a valu le Prix du scénario aux deux réalisatrices, auteures du script, Delphine et Muriel Coulin qui avaient déjà signé "17 Filles". Le sujet tranche par rapport à ce que sert le cinéma français d’habitude, traitant du débriefing militaire à l’issue d’une mission en Afghanistan. Une matière hors les sentiers battus, où Soko et Arianne Lebed excellent.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Ariane Labed et Soko dans "Voir du pays" de Delphine Coulin et Muriel Coulin
 (Jérôme Prébois - Archipel 35)

Sas de décompression

Contrairement aux Etats-Unis, le cinéma français n’a pas coutume d’aborder les sujets qui fâchent, encore moins sous les feux de l’actualité, préférant se réfugier dans des sujets plus intimes, la comédie et le polar. "Voir du pays" sort du lot en traitant de la participation militaire française au conflit afghan, dans le cadre de la coalition internationale, depuis la fin 2001 jusqu’en 2013.  L’angle choisi par Delphine et Muriel Coulin est celui d’un débriefing après mission, vécu par deux jeunes femmes engagées au milieu d’un contingent à dominante masculine. Si la différence de sexe demeure dans la promiscuité militaire, elle se nivelle sur le terrain.

Lieu secret s’il en est, comme il se doit de la part de la "grande muette", le débriefing après mission est ici ausculté au plus près, dans un style quasi-documentaire. L’on voit tant les militaires au repos, au réfectoire, à la piscine, dans la boîte de nuit de l’hôtel… que lors de leurs témoignages destinés à les débarrasser d’éventuels traumatismes psychologiques. Le processus fait appel à des reconstitutions virtuelles qui font remonter les souvenirs, avec des ressentis différents selon les protagonistes, parfois source de conflits. Des rendez-vous quotidiens et collectifs, au cœur de ce que l'on nomme un "sas de décompression", effectué dans un hôtel cinq étoiles chypriote au milieu des touristes, pour faciliter un retour à la normale.

Ariane Labed dans "Voir du pays" de Delphine Coulin et Muriel Coulin
 (Jérôme Prébois - Archipel 35)

Fin famélique

Efficace ? Aucune conclusion n’est avancée, seulement la procédure et ses répercussions sur le groupe, à travers le point de vue de Marine (Soko) et Aurore (Arianne Lebed). La première partie du récit est particulièrement réussie car dénuée d’intrigue, exposée tel un journal de bord. C’est moins le cas de la seconde où l’échappée-belle interdite des deux jeunes femmes hors de l’hôtel avec d’autres militaires, et l'aventure d'un soir entre Aurore et un autochtone, émoussent la seule dimension observatrice et détachée précédente. Poser la question du sexe dans un tel contexte est justifié, mais le traitement n’est pas le plus approprié, le film y perd en rythme et intérêt.

Delphine et Muriel Coulin s’en tirent toutefois par le haut, en raison d’un sujet atypique, surtout appréhendé par un œil féminin, tant du point de vue des auteurs que des personnages. Mais "Voir du pays" rate totalement sa fin. Le dernier débriefing se conclut par la sortie des militaires de la salle de réunion, devant un écran blanc ; c’est sur lui qu’il fallait fermer le ban, avec un "cut" brutal, laissant le spectateur, comme les personnages, avec leurs souvenirs, devant ce rectangle immaculé, interrogatif, où tout peut s’inscrire. Les réalisatrices ont préféré filmer un épilogue, voyant Aurore lors de son voyage de retour. Inutile, voire doucereux par rapport à ce qui le précède. On aurait préféré rester sur sa faim.

"Voir du pays" : l'affiche
 (Diaphana Distribution)

LA FICHE

Drame de Delphine Coulin et Muriel Coulin (France) - Avec : Soko, Ariane Labed, Ginger Romàn, Karim Leklou, Andreas Konstantinou, Makis Papadimitriou - Durée : 1h42 - Sortie: 7 septembre 2016

Synopsis : Deux jeunes militaires, Aurore et Marine, reviennent d’Afghanistan. Avec leur section, elles vont passer trois jours à Chypre, dans un hôtel cinq étoiles, au milieu des touristes en vacances, pour ce que l’armée appelle un sas de décompression, où on va les aider à "oublier la guerre". Mais on ne se libère pas de la violence si facilement…

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.