"Sex Doll" : Hafsia Herzi, poupée de luxe
Elle s’appelle Virginie. Elle est jeune, jolie. Ne parle pas beaucoup. Ne sourit pas non plus énormément. Ne sait pas trop s’amuser. Elle vit à Londres depuis quelques temps, plutôt confortablement. Car elle gagne très bien sa vie, Virginie. En plus, on la respecte. Et elle sait elle aussi se faire respecter. Elle n’a pas de mec et vit seul avec son chien dans un grand appartement. Virginie est pute. Pute de luxe. C’est peut-être pas facile tous les jours mais elle est indépendante, du moins le croit-elle. Les clients se succèdent. Des clients sans visages, interchangeables. Impavide, impassible dans son boulot comme dans la vie, rien ne semble pouvoir enrailler ce bloc de froideur.
Jusqu’à ce soir-là. Elle était sortie avec une pote, en boîte électro. Elle en a eu marre, comme d’habitude, et a voulu rentrer. Et puis elle l’a croisé. Sans doute pas par hasard. Mine cafardeuse, visage émacié, patibulaire, il est beau, tatoué, Londonien et peu rassurant. Il la ramènera et ne la lâchera plus.
Nous avions quitté Hafsia Herzi en femme fragile et solitaire dans "Par accident", premier film de Camille Fontaine où elle partageait l’affiche avec Émilie Dequenne. Nous la retrouvons là en jeune femme sensuelle, sulfureuse et incandescente, dans la droite lignée de sa scène finale dans "La Graine et le mulet" de Kechiche où elle nous ensorcelait avec sa danse du ventre endiablée. Ce registre-là lui va décidément à merveille.
Je t’aime, moi non plus
Sylvie Verheyde l’a compris en offrant à son actrice cette ode sensuelle. Elle est de toutes les scènes, de tous les plans, irradie par sa sexualité, sa lasciveté, sa sévérité aussi, sans jamais paraître isolée. Car le duo très "Je t’aime, moi non plus" qu’elle forme avec Ash Stymest, mannequin britannique dont c’est le premier rôle sur grand écran, fonctionne bien. Les deux se ressemblent. Lui aussi est infiniment seul, mutique, névrosé, impénétrable. Il n’a ni passé ni avenir. On ne sait pas qui il est, ni trop ce qu’il cherche.
Ils déambulent dans ce Londres froid et dépouillé, des quartiers malfamés où errent à la nuit tombée des dizaines de prostituées, aux logements cossus des clients de Virginie. Sylvie Verheyde se montre autrement plus inspirée pour filmer la noirceur de la capitale anglaise que les poussiéreux et blafards décors de son "Confession d’un enfant du siècle" (2012). Dans cette adaptation de l’œuvre de Musset avec Charlotte Gainsbourg et le dandy rock et boursouflé Pete Doherty, elle avait échoué dans sa tentative de retranscrire le mal du siècle vécu par la jeunesse du XIXe.
Elle réussit cette fois avec brio à retranscrire celui de la jeunesse citadine du XXIe. La solitude, l’individualisme, l’ennui, la quête effrénée de fric et de sexe. Elle le fait avec ce qu’il faut de finesse, de franchise et de profondeur, à l’épaule avec des plans nerveux et francs, le tout enrobé d’une électro hypnotique. Et si ce film n’a pas la flamboyance de "Stella" (2008), récit à fleur de peau où la réalisatrice évoquait sa propre enfance, on lit dans les yeux de sa petite héroïne la même envie d’ailleurs que dans ceux d’Hafsia Herzi.
LA FICHE
Drame de Sylvie Verheyde - Avec Hafsia Herzi, Ash Stymet et Karole Rocher. Durée : 1h42. Sortie le 7 décembre 2016.
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