Cet article date de plus de dix ans.

"Pôle Emploi, ne quittez pas !", derrière le guichet, le désarroi des conseillers

Avec "Pôle Emploi, ne quittez pas!", en salles le mercredi 19 novembre, la documentariste Nora Philippe met en relief les effets dévastateurs de "la bureaucratisation des relations humaines", qui accable autant les conseillers de l'agence que les chômeurs.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3min
"Pôle Emploi, ne quittez pas" de Nora Philippe 
 (Docks 66)

Le film, tourné en immersion dans une agence Pôle Emploi de Seine-Saint-Denis pendant trois mois au printemps 2013, montre, sans commentaire ni interview, le quotidien de quarante agents face à 4.000 demandeurs d'emploi. Leur mission, quasi impossible: "faire du chiffre", et "trouver du travail là où il n'y en a pas", résume la réalisatrice. "Je voulais aller derrière le guichet", explique la documentariste, qui a choisi d'utiliser une équipe cinématographique (cadreur, perchiste) plutôt que des caméras cachées traquant le dérapage. Un refus du sensationnel revendiqué par Nora Philippe qui cite le sociologue Pierre Bourdieu: "Le fait-divers fait diversion".

Résultat : 110 heures de rushes ramassées en 1h20, où la caméra, qui a su se faire oublier, capte des instants de vie et la violence sourde du chômage. "La violence est multiple", explique Mme Philippe. "C'est celle de l'impuissance et de la marginalisation", énumère-t-elle, s'emportant contre la "stigmatisation" des chômeurs. "En trois mois, je n'ai jamais vu de gens dans cette situation qui jubilent en s'en mettant plein les poches", affirme-t-elle.
  (Docks 66)
Une première version du film, amputée de 20 minutes, avait été diffusée sur la chaîne LCP en novembre 2013, causant l'ire de la direction de Pôle Emploi, qui avait pourtant collaboré à la réalisation. Une projection privée devant les conseillers, qui avaient pris part au tournage, avait été décommandée à la dernière minute. Nora Philippe, qui voulait s'expliquer auprès des agents, avait trouvé portes closes à l'agence. Un porte-parole de Pôle Emploi avait alors expliqué au Monde que "la direction régionale et la directrice de l'agence (s'étaient) senties trahies par la réalisatrice après avoir vu son film", justifiant l'annulation de la séance par crainte de "la réaction" des conseillers "vis-à-vis de Mme Philippe si elle était présente".

Une version vivement contestée par la réalisatrice, qui évoque "un moment douloureux". "Ils m'attendaient avec du pop-corn dans l'agence. Ces personnes ont été terrorisées, il y a eu des pressions", affirme-t-elle. -

"Trop de demandeurs, pas assez de ressources"

Si certaines scènes montrent l'insensibilité du traitement réservé à certains demandeurs, le film humanise les conseillers, pris en tenailles entre un marché de l'emploi sinistré et des directives inapplicables. Épuisés par les "chamboulements informatiques", la "paperasserie" et une gestion des rendez-vous incompréhensible, ils ne demandent qu'à rencontrer les demandeurs d'emploi. "Soit on ne reçoit pas les travailleurs, soit on les voit en groupe", explique la directrice de l'agence dans le film. "Trop de demandeurs, pas assez de ressources", constatent les conseillers.
  (Docks 66)
Dans cette nouvelle mouture, la réalisatrice a ajouté quelques scènes mettant en avant les usagers, des "moments d'humanité, bouleversants et complexes". Comme ce chômeur qui voit sa formation annulée à cause d'un retard administratif, l'empêchant de partir travailler à l'étranger comme prévu. "Je suis de banlieue, je n'ai pas de vécu. Ça aurait été l'occasion de vivre quelque chose", dit-il dépité.

Pour Mme Philippe, la "bureaucratisation des relations humaines" fait des victimes des deux côtés du guichet. "Ils viennent généralement du même milieu. Les employés de Pôle Emploi ne sont pas des nantis", remarque-t-elle. Un constat que la documentariste étend au-delà de l'agence. "Le film parle à toutes les personnes qui travaillent dans d'énormes structures de service public - comme l'hôpital, l'Education nationale - où l'on applique sans réfléchir des techniques de management brutales", conclut-elle.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.