"Augustine" : Vincent Lindon incarne les troubles de Charcot
De Alice Winocour (France), avec : Vincent Lindon, Stéphanie Sokolinski, Chiara Mastroianni - 1h42 - Sortie : 7 novembre
Synopsis : Paris, hiver 1885. A l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, le professeur Charcot étudie une maladie mystérieuse : l’hystérie. Augustine, 19 ans, devient son cobaye favori, la vedette de ses démonstrations d’hypnose. D’objet d’étude, elle deviendra peu à peu objet de désir.
Lumières sur Charcot
La psychiatrie ou la psychanalyse constituent des sujets régulièrement traités au cinéma : « Freud » de John Huston, « Vol au-dessus d’un nid de coucous » de Milos Forman, « Chromosome 3 » et « A Dangerous Method » de David Cronenberg en déclinent quelques titres. « Augustine » est en fait le deuxième film en un an consacré au professeur Charcot et sa célèbre patiente, après le très beau moyen métrage éponyme de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat sorti en décembre 2011.
Premier long métrage de Alice Winocour, « Augustine » se révèle d’une étonnante maîtrise, tant dans l’écriture d’un sujet délicat, que dans la forme, à la très belle cinématographie. L’utilisation de la lumière, intérieure comme extérieure, signée Georges Lechapois, est de ce point de vue splendide, créant des ambiances toutes en nuances, de l’éclairage aux bougies, au frisé des brumes automnales.
La jeune réalisatrice de 36 ans a également concocté un casting parfait. Vincent Lindon est remarquable en Charcot, tout en autorité, volontariste, ambitieux et dirigiste, mais fragilisé par ses origines modestes et le trouble grandissant que lui évoque sa patiente. Stéphanie Sokolinski,est impressionnante dans le rôle-titre, avec son physique très en phase avec l’époque, la palette de sentiments qu’elle exprime et le réalisme qu’elle insuffle dans les scènes de crises d’hystérie. Enfin Chiara Mastroianni apporte toute la prestance aristocratique à l’épouse de Charcot, d’origine noble, influente dans la carrière de son époux et discrètement suspicieuse dans les rapports qu’il entretient avec ses patientes. Alice Winocour n’en n’oublie pas pour autant les autres patientes, qui, à espaces réguliers, parlent de leur maladie directement à la caméra. Pour ce faire, elle a fait appel à de véritables malades, en cours de traitement ou guéries.
Fantastique
Alice Winocour ne s’est pas pour autant restreinte à un simple biopic qui aurait pu tomber dans le naturalisme pur et simple, à la reconstitution historique millimètrée. Cette dernière, sobre, n’en n’est pas moins fort juste et éloquente. La cinéaste, qui a également signé le scénario, a préféré glisser de la fiction dans le récit, tout en conservant la réalité des faits. Ce méticuleux mélange équilibré dramatise une histoire scientifique qui aurait pu sombrer dans le débat de spécialistes. La cinéaste ne cache pas son désir de fantastique dans son approche, déclarant "L’hystérie, en soi, est tout sauf naturelle. Le corps se met à faire des choses qu’il ne peut pas faire normalement". Et de revendiquer son admiration pour David Cronenberg et David Lynch. La Salpêtrière est également un endroit plein de mystères, où se déroulent des choses subversives. En fait, l’histoire de la découverte de l’hystérie et des maladies nerveuses est éminemment romanesque et le rôle de Charcot ambigu.
Le grand homme pratiquait des séances de démonstration des symptômes de l’hystérie en exhibant ses patientes, d’abord devant des assemblées de médecins, puis devant des bourgeois qui venait se rincer l’œil devant ces femmes a moitié dénudées qui se convulsaient dans des poses suggestives. La pratique de l’hypnose pour déclencher la crise est également à la limite de la supercherie. Cet exhibitionnisme n’est pas sans évoquer celui des monstres de foire et rappelle la Vénus hottentote que ressuscitait Abdelafif Kechiche dans « Vénus noire » en 2010.
Sans pour autant dénoncer Charcot « Augustine » porte un regard novateur sur le savant. De manipulateur, il devient manipulé par sa patiente qui va le pousser à l’acte, pour mieux l’abandonner et obtenir ainsi une victoire sur lui, libératrice, et lui permettre de s’enfuir de la Salpêtrière, une fois guérie. Mise en perspective d’un sujet passionnant, magnifiquement traité, « Augustine » augure d’un grand talent à venir dans un cinéma français en manque de renouvellement. Une révélation.
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