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"Minari" : film autobiographique poignant sur l'installation d'une famille coréenne au fin fond de l'Arkansas

"Minari", réalisé par Lee Isaac Chung, plonge dans l'Amérique profonde de Reagan en racontant l'histoire d'une famille sud-coréenne qui tente de s'en sortir en montant une activité agricole dans le fin fond de l'Arkansas. Un film émouvant servi par des comédiens exceptionnels, remarqué et couronné par plusieurs prix prestigieux. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Alan S. Kim, Steven Yeun dans "Minari", de Lee Isaac Chung, juin 2021 (MELISSA LUKENBAUGH)

Ce dernier film de Lee Isaac Chung, inspiré de sa propre vie, raconte l'épopée d'une famille sud-coréenne venue s'installer au fin fond de l'Arkansas pour lancer une exploitation agricole. Plusieurs fois primé, aux Oscars, Golden Globes et BAFTA, Minari est un conte familial dramatique plein de poésie sur l'intégration aux États-Unis pendant les années Reagan. A voir en salles à partir du 23 juin 2021.

Dans les années 80, Jacob Yi débarque avec sa femme et ses deux enfants dans les plaines de l'Arkansas pour se lancer dans la culture de fruits et légumes de son pays, la Corée du Sud, qu'il a quitté avec sa femme pour la Californie quelques années auparavant. Avec ce nouveau départ, il espère sortir sa famille de la misère et faire autre chose que du sexuage (tri des poussins mâles et femelles en usine), un travail à la chaîne aliénant et sous-payé. Jacob et sa femme Monica ont deux enfant : une fille, Anne, et un petit garçon, David, atteint d'un souffle au cœur qui l'empêche de vivre normalement. Jacob a acheté un terrain, un Mobil Home posé sur parpaings planté au milieu, et il compte bien faire fructifier la "meilleure terre de l'Amérique".

"Minari", de Lee Isaac Chung, juin 2021 (DAVID BORNFRIEND)

La tâche s'avère plus compliquée que prévu, malgré l'aide d'un illuminé local, Paul, qui donne un coup de main à Jacob dans ses champs, chasse les mauvais esprits, prie pour tout le monde et transporte le dimanche sur son dos une lourde croix en bois. Pour éviter que les enfants ne soient seuls toute la journée, et que le couple ne continue à se déchirer, la femme de Jacob fait venir de Corée sa mère. Cette grand-mère excentrique est plus ou moins bien accueillie au départ par les enfants, et ses agissements se révèlent avoir autant d'effets bénéfiques que calamiteux. La famille tente aussi de s'intégrer à la communauté locale en allant à l'église le dimanche. 

Souvenirs d'enfance

Excepté quelques incursions à l'usine de sexuage ou à l'église, et une expédition dans la ville de Dallas pour faire ausculter David et tenter de vendre les légumes, on ne quitte quasiment pas le Mobil Home de la famille Ly, et le terrain qui l'entoure, les légumes qui sortent peu à peu de la terre, la maison qui s'aménage, le ruisseau au bord duquel la grand-mère fait pousser son minari (plante d'eau appelée aussi cresson coréen ou persil japonais).

L'acteur Alan S. Kim dans "Minari", de Lee Isaac Chung, juin 2021 (Josh Ethan Johnson/ Prokino/ A24)

Minari, inspiré par la propre vie du réalisateur, est un conte figurant l'intégration d'une famille immigrée dans l'Amérique profonde. Le réalisateur croque avec tendresse cette région, la beauté de ses paysages, la nature luxuriante et lumineuse, autant que la rusticité du climat et des populations locales, et l'âpreté de l'exil.

"J'ai écrit "Minari" en me posant une question : si je ne devais laisser qu'un seul de mes souvenirs à ma fille de six ans, lequel choisirais-je ? J'ai noté plus de quatre-vingt souvenirs que j'ai de moi à son âge. Cela incluait des disputes entre mes parents, ma vision d'un employé de mon père qui traînait une croix en traversant la ville et ma grand-mère brûlant la moitié de notre ferme. En me les remémorant, j'ai pensé que c'était peut-être là que se trouvait l'histoire que je devais raconter."

Lee Isaac Chung

réalisateur de "Minari"

Lee Isaac Chung joue avec les clichés du rêve américain, et ses motifs : le tracteur, la grosse voiture, le Mobil Home, ici rouillés, là décati. Le film se déroule comme une somme de souvenirs d'enfance recomposés, avec une nature magnifiée, des situations amplifiées, des paysans mal dégrossis en salopettes, chemises à carreaux et museaux noirs de terre sauf le dimanche à l'église, dessinés comme des personnages de westerns.

Le temps de l'enracinement

Le film évoque également en filigrane la question des croyances. "Quand on ne peut pas payer, il faut réfléchir", explique doctement Jacob à son fils après avoir refusé l'aide d'un sourcier pour trouver l'eau sur son terrain, estimant que tout cela relève du charlatanisme. Il finira quand-même par le rappeler quand il manquera d'eau pour arroser ses plans de légumes.

Jacob doit bien reconnaître aussi que les méthodes un brin occultes de la grand-mère pour soigner son petit-fils, faire pousser du minari ou éloigner le danger, font parfois des merveilles là où son rationalisme échoue… Une réflexion sur la foi, qui s'accompagne, avec humour, d'un regard critique sur les excès de l'évangélisme chrétien, bien ancré dans la communauté de cette région reculée, avec lequel la famille Ly doit composer.

"Minari", de Lee Isaac Chung, juin 2021 (JOSH ETHAN JOHNSON)

Les acteurs incarnant les membres de la famille Ly, adultes comme enfants, et Paul l'hurluberlu, sont exceptionnels. Les visages sont filmés en gros plan, en alternance avec des plans larges, fixes, dont la composition parfaite pose les décors et nous en dit plus long que de grands discours sur les situations ou le contexte. Une musique, jolie et bien dosée, rythme les scènes comme une ritournelle.

Le film prend son temps, le temps long et nécessaire pour creuser un sillon et prendre racine. Semé d'allégories, le film évoque avec finesse la complexité d'une intégration, et les sentiments que produit ce voyage vers un ailleurs. "Les poussins mâles on les broie", dit Jacob à son fils, "parce qu'ils ne servent à rien. Toi et moi on doit servir à quelque chose", lui dit-il.

Film poignant et éclairant sur l'immigration aux Etats-Unis dans les années 80, Minari a remporté plusieurs prix prestigieux, dont le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, ainsi que le BAFTA et l'Oscar du meilleur second rôle féminin pour Yuh-Jung Youn, la fantasque grand-mère.

La fiche

Affiche du film "Minari", de Lee Isaac Chung, juin 2021 (ARP)

Genre : Drame
Réalisateur : Lee Isaac Chung
Avec : Steven Yeun, Ye-Ri Han, Alan S. Kim, Yoon Yeo-jung, Noel Kate Cho, Will Patton
Pays : États-Unis
Durée : 1h 55min
Sortie : 23 juin
Distributeur : ARP Sélection
Synopsis : Une famille américaine d’origine sud-coréenne s’installe dans l’Arkansas où le père de famille veut devenir fermier. Son petit garçon devra s’habituer à cette nouvelle vie et à la présence d’une grand-mère coréenne qu’il ne connaissait pas.

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