"L’ordre des choses" : manœuvres italiennes en Libye pour y retenir les migrants
Tiré à quatre épingle, parfaitement maître de lui-même, l'allure british, Rinaldi est un haut-fonctionnaire de la police italienne, habitué des missions délicates. Celle qui s’annonce ne sera pas la plus simple : cap vers la Libye pour convaincre les différents protagonistes qui se partagent le pouvoir d’adopter une attitude commune sur un point : maintenir un maximum de migrants sur leur territoire, en les empêchant de tenter l’aventure vers l’Europe.
La question est majeure pour l’Italie, c’est le dossier brûlant du moment. Il vient d’ailleurs de peser très lourd dans les récentes législatives. Le cahier des charges fourni par le ministre commanditaire de cette mission Tripoli tient sur une ligne : "Les gens n’en peuvent plus, il faut des résultats"… L’Italie et l’Europe financent déjà des centres d’accueil sur place... et on se rend compte très vite que le mot "accueil" n’est pas le mieux choisi. Derrière les murs d'immeubles en ruine, dépourvus du moindre confort, les migrants interceptés sont traités comme du bétail. Et les factions locales y voient aussi une main d’œuvre ou une monnaie d’échange…
Dans cette Libye de l’après-Kadhafi, Rinaldi va croiser des personnages et des situations complexes. Le pouvoir tribal a repris ses droits, les policiers locaux, payés au lance-pierre, sont souvent corrompus. Il faut jouer finement entre les intérêts des uns et des autres. Savoir regarder ailleurs pour éviter les crispations. Lors de ses déambulations libyennes, le regard du super flic italien va croiser celui d’une Somalienne. Son appel à l'aide va le troubler. Peut-il, doit-il l’aider ? La raison d’Etat est-elle supérieure à toutes les autres ?
Le cinéma italien a toujours aimé mettre le nez dans la cocotte-minute des sujets politiques les plus bouillants. Il l’a fait courageusement durant et après les années de plomb. Aujourd’hui, la question qui fâche l’Italie, c’est celle des migrants. Andrea Segre l’aborde frontalement mais sans délivrer de réponse en mode prêt à penser. Les migrants qui restent en Libye sont traités comme des moins que rien, parfois réduits à l’esclavage. Ceux qui parviennent à prendre la mer vont risquer leur vie. De chaque côté de la Méditerranée, l’hostilité à leur encontre ne cesse de monter…
Paradoxalement, au milieu de cette pagaille logistique et morale, "L’ordre des choses" est un film plutôt froid, essentiellement en raison de ses options de réalisation. Peu d’éclats de voix, beaucoup de silence. La parole est souvent diplomatique, les mots sont pesés. L’image est au diapason : des plans longs, parfois incongrus comme ces séances d’escrime virtuelle que Rinaldi affectionne, sa console branchée au mur du dernier palace de Tripoli. Au-delà d’un aspect fictionnel un peu plaqué dans sa partie finale, c’est surtout l’aspect documentaire de ce film qui marque les esprits. Tandis que les diplomates se partagent un agneau et un grand cru sur le toit d’un hôtel, les Somaliens échoués en Lybie sont battus, traités comme des rats, quelques kilomètres plus loin. Un raccourci violent de ce nouvel "ordre des choses" mondial.
LA FICHE
Réalisateur : Andrea Segre
Pays : Italie
Acteurs : Paolo Pierobon, Giuseppe Battiston, Olivier Rabourdin et Fabrizio Ferracane
Sortie : 7 mars 2018
Synopsis : Rinaldi, policier italien de grande expérience, est envoyé par son gouvernement en Libye afin de négocier le maintien des migrants sur le sol africain. Sur place, il se heurte à la complexité des rapports tribaux libyens et à la puissance des trafiquants exploitant la détresse des réfugiés. Au cours de son enquête, il rencontre dans un centre de rétention, Swada, une jeune somalienne qui le supplie de l’aider. Habituellement froid et méthodique, Rinaldi va devoir faire un choix douloureux entre sa conscience et la raison d’Etat : est-il possible de renverser l’ordre des choses ?
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