"Les Oubliés" filme avec cœur les démineurs du Danemark de 1945
D’humilié à humiliateur
Un ciel d’acier immense, une mer grise, une plage blanchâtre. A sa surface : des fourmis l’arpentent. En fait, de jeunes hommes rampants. Jusqu’à l’éclair fulgurant. L’éclair fatal : l’explosion d’une mine que déterrait un jeune prisonnier allemand recruté au déminage des côtes danoises. L’armée allemande avait constellé les plages de millions de ces bombes sournoises, enfouies pour se protéger de toute tentative d’invasion d’un pays conquis. A la fin de la guerre, un déminage fut organisé au détriment des accords internationaux, dans l’urgence, et gage de vengeance à l’encontre de l’envahisseur vaincu.Martin Zandvliet, derrière la caméra et auteur du scénario, relate cet épisode sombre de l’après-guerre danois avec un sens de l’équilibre et un humanisme qui ne peut qu’inspirer l’adhésion. Normal que le Danemark fasse nettoyer ses côtes par ses prisonniers allemands, puisque l’Allemagne est responsable d’une pollution guerrière, mortelle pour ses ressortissants. D’humiliée, la nation va à son tour humilier son bourreau, en envoyant dans une mission suicide la fleur de l’Allemagne vaincue : sa jeunesse, recrutée à tour de bras à la fin de la guerre, faute de troupes. Le sergent Carl Ramussen (formidable Roland Moller), à la tête d’une petite troupe de ces enfants soldats improvisés démineurs, va en faire les frais.
Reportage : D. Wollfrom / A Berthiau / D. Pergament :
Espace métaphysique
La bonne idée sur le papier va progressivement s’avérer infernale à mettre en œuvre. Le sergent Ramussen l’applique avec zèle, menant son petit monde à la baguette, assumant les premières pertes, puis de plus en plus mal ; ces enfants pourraient être les siens. Ils ont été enrôlés dans un conflit qui les dépasse. N’en sont-ils pas, eux aussi, des victimes ? Tout comme leurs parents, inquiets de leur sort, sans nouvelles depuis leur départ au front. L’une des réussites des "Oubliés" est de mettre en perspective cette prise de conscience, avec une progression "tactile", par touches sensibles, à travers le profil psychologique évolutif des personnages.
La mise en scène et la progression du récit relancent constamment le drame, la tragédie, par des scènes emblématiques. Comme le sauvetage suicidaire de la petite fille, la découverte de mines piégées, la partie de football, les privations nutritionnelles mortelles, la rébellion des jeunes recrues, leur résignation… Le cadre aéré, cosmique, de la plage, devient une prison à ciel ouvert. Tout est gris, éteint, comme le négatif d’un espace originellement voué à une liberté solaire. "Les Oubliés" s’ouvre à une métaphysique de la condition humaine qui dépasse l’épisode anecdotique, même s'il est terrible, d’un après-guerre qui en a connu d’autres ; les femmes tondues, les résistants de la 25e heure, les exécutions sommaires… Lots de toutes les guerres. En relatant un épisode éludé, un épiphénomène de l’Histoire, Martin Zandvliet touche à l’universel avec une rare sensibilité : bouleversant.
LA FICHE
Drame historique de Martin Zandvliet (Danemark/Allemagne) - Avec : Roland Møller, Mikkel Boe Folsgaard, Joel Basman- Durée, Leon Seidel, Oskar Bökelmann, Louis Hofmann : 1h57 - Sortie: 1er mars 2017
Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
Synopsis : 1945. Danemark : fin de la Seconde Guerre Mondiale. Plusieurs soldats allemands, à peine sortis de l’adolescence, prisonniers de l’armée danoise sont envoyés sur les plages pour désamorcer les mines enfouies le long de la côte. Pour eux, la guerre est loin d’être terminée. Inspiré de faits réels, Les Oubliés raconte cet épisode tragique de l’Histoire.
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