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"Les Fleurs bleues", film posthume de Wajda sur le peintre Władysław Strzemiński

Andrzej Wajda, décédé en octobre 2016, livre avec "Les Fleurs bleues" un film testament, sur le peintre avant-gardiste polonais Władysław Strzemiński (1893-1952). A l’image de ses nombreux longs métrages dont "L’Homme de marbre" (1977) ou "Danton" (1982), l’art et la politique se rencontrent, voire s'affrontent, dans ce bel hommage au destin tragique du plus grand peintre polonais du XXe siècle.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'acteur Boguslaw Linda et le réalisateur Andrzej Wajda sur le plateau des "Fleurs bleues"
 (KMBO)

Martyr

Le répit aura été de courte durée. Après avoir subi le joug nazi, la Pologne devait vivre sous celui du stalinisme à partir de 1946 durant des décennies. Comme sous tout régime dictatorial, la culture est la tête à abattre, sous toutes ses formes, littéraires, musicales, scéniques, plastiques…  Władysław Strzemiński, peintre, artisan du constructivisme aux côtés du Russe Casimir Malevitch, du néoplasticisme néerlandais de Piet Mondrian, et du Bauhaus allemand de Walter Gropius, en fut une des victimes emblématiques au début de la Guerre froide.

Peintre, théoricien, historien d’Art, cofondateur de l’école de Lodz - une des plus prestigieuses d’Europe -, adulé de ses étudiants, vétéran, grièvement blessé de la seconde guerre mondiale, amputé de deux membres, Władysław Strzemiński n’a jamais courbé l’échine devant l’oppresseur politique, tout en exerçant son art. Ne reniant jamais ses convictions, sa foi en l’Art dans lequel s’incarne de tout temps l’avenir de l’humanité, l’artiste le payât de sa vie, privé de travail, de logement, de nourriture, jusqu’à sa mort prématurée à 59 ans, de privation. Un martyr.

Persistance rétinienne

Evidemment, le sujet ne prête pas à rire ; Wajda n’a jamais (?) couru la comédie. S’agissant d’art, le régime stalinien, comme toute dictature, est identifié aux couleurs brunes. Ce sont elles qui dominent la gamme colorée des "Fleurs Bleues" (un bien mauvais titre, l’original étant "Powidoki" que l’on pourrait traduire par persistance rétinienne). L’Art moderne des Avant-gardes privilégie, lui, les couleurs pures (bleu, jaune et rouge). Il faudra attendre le magnifique générique de fin du film pour les voir éclater à l’écran. Il en sera de même dans l’Histoire, puisque le "réalisme socialiste" imposé par Staline comme la seule forme d’art viable, est passé aux oubliettes de l’obsolescence et que les Avant-gardes se sont imposées dans l’esthétique d’après-guerre.

Boguslaw Linda dans "Les Fleurs bleues" d'Andrzej Wajda
 (KMBO)

Andrzej Wajda signe avec son film ultime un hymne à la jeunesse. Elle est Identifiée aux étudiants de Władysław Strzemiński qui le défendront jusqu’à leurs possibilités dernières, face à un pouvoir qui les menace de leur vie pour seulement défendre une conception plastique. Seulement ? Elle est loin d’être innocente et limitative, car subversive, synonyme de liberté. Malevitch, Mondrian et Gropius, derrière lesquels se rangeait Strzemiński, n’étaient pourtant pas des "anarchistes" libertaires. Mais leur art, comme tout ce qui est moderne, était en avance sur leur temps, et le demeure dans le nôtre. Il reste révolutionnaire, donc politique. Une équation qui ne cessa de tarauder Wajda, celle de l’Art et de la politique, encore et toujours au cœur de son dernier film.

"Les Fleurs bleues" : l'affiche française
 (KMBO)

LA FICHE

Drame d'Andrzej Wajdai (Pologne) - Avec :  Boguslaw Linda, Aleksandra Justa, Bronislawa Zamachowska, Zofia Wichlacz - Durée : 1h38 - Sortie: 22 février 2017

Synopsis : Dans la Pologne d’après-guerre, le célèbre peintre Władysław Strzemiński, figure majeure de l’avant-garde, enseigne à l’École Nationale des Beaux Arts de Łódź. Il est considéré par ses étudiants comme le grand maître de la peinture moderne mais les autorités communistes ne partagent pas cet avis. Car, contrairement à la plupart des autres artistes, Strzemiński ne veut pas se conformer aux exigences du Parti et notamment à l’esthétique du "réalisme socialiste". Expulsé de l'université, rayé du syndicat des artistes, il subit, malgré le soutien de ses étudiants, l’acharnement des autorités qui veulent le faire disparaître et détruire toutes ses œuvres.

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