"Les anarchistes" : Adèle Exarchopoulos et Tahar Rahim en immersion
"Ils ont le cœur devant et leurs rêves au mitan et puis l'âme toute rongée par des foutues idées" chantait Ferré. Voilà le retour des anars, des vrais. Pas des classiques poseurs de bombes sans fois ni lois. Mais des héros zoliens, purs et durs.
De véritables figures naturalistes. De ceux qui s'entêtent. Des orgueilleux en quête d'un idéal. Prêt à mourir pour celui-ci. Il y a quelque chose des frères Lantier dans ces personnages de la fin du XIXe siècle. Quelque chose de cet Étienne révolté (héros de Germinal) et de l'acharnement de Claude (héros de l'Œuvre).
Donnie Brasco à la Belle Époque
Nous sommes à Paris, pendant l'hiver 1899. Quelques années après les vagues anarchistes qui ont touché la France et l'Allemagne. C'est avec Jean (Tahar Rahim), sans famille et fauché, que nous pénétrons chez les anars. La politique, lui, c'est pas trop son rayon. Mais quand un commissaire lui propose, en échange de quelques billets, d'infiltrer ce milieu d'agitateurs antisystème supposés dangereux, il ne va pas hésiter.C'est ce flic sans idéologie, sorte de Donnie Brasco à la Belle Époque, qui sera plongé dans un milieu qui lui est exactement contraire. Il va alors faire la connaissance d'un groupe d'anars pour le moins composite. Il y a Élisée (Swann Arlaud) sorte d'anarchiste individualiste plutôt romantique, Biscuit (Karim Leklou) bon gaillard un peu bobèche, Eugène (Guillaume Gouix), plus extrême, radical et violent et surtout Judith (Adèle Exarchopoulos), belle effrontée mélancolique. Et voilà notre Jean, contraint de donner des informations à sa hiérarchie, de plus en plus divisé entre sa fonction de flic et sa nouvelle famille, ses obligations et la passion qui se développe en lui pour Judith.
Ce n'est pas la fresque historique que vise ici le réalisateur, mais un portait intimiste de ses personnages confrontés à leurs troubles identitaires, leurs démons, leurs contradictions. Un peu à l'image de son premier long métrage, "Alyah", polar nerveux sur la tentation du retour en Israël de quelques jeunes juifs français.
La mise en scène est une nouvelle fois élégante, presque behavioriste. La caméra du jeune réalisateur louvoie, frôle, sans jamais heurter. Les gros plans s'accumulent nous plongeant au cœur même des déchirements des personnages.
Un scénario un peu sur-écrit
Il y a quelques notes de Vuillard dans certains plans de Wajeman. L'image est pleine. Pleine de matière. Pleine de sentiment. Mais ce que le réalisateur gagne en élégance et en finesse, il le perd souvent en impact et en ampleur. Paris prend des allures de cartes postales avec ce bleu baveux qui enferme nos anarchistes, jusqu'à frôler quelque fois l'artificialité. Paris fleure un peu la naphtaline par cette reconstitution trop appliquée, trop léchée. Et son idée au départ si furieusement romanesque, prend parfois quelques traits romantiques, presque fleur bleu.La faute aussi à un scénario un peu sur-écrit, où les aphorismes, les poncifs, les citations et les maximes politiques sonnent parfois un peu faux, surtout dans la bouche d'Adèle Exarchopoulos qui n'a rien perdu de sa fameuse gouaille. On a du mal, au départ, à la trouver convaincante, dans ce rôle de femme tribun de la fin du XIXe. Mais on s'y fait peu à peu en se disant qu'après tout, c'est pas si mal de mêler ses accents contemporains à ceux de ce film d'époque. C'est même peut-être la belle idée du film. Celle qui nous ancre encore un peu d'avantage dans cette histoire, dans la fébrilité de ses personnages.
Le film gagne alors peu à peu en émotion et on sent, comme dans un livre de Zola, cette fatalité poindre. Ça finira mal, on le sait mais on ne veut pas y croire. On est là, avec eux, en se disant que ce serait quand même pas mal que cette vie, sur un fil, si intense, si nerveuse, puisse continuer encore longtemps.
Drame de Elie Wajeman – Avec Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Swann Arlaud et Guillaume Gouix. Durée : 1h41 – Sortie le 11 novembre 2015
Synopsis : Le brigadier Jean Albertini, pauvre et orphelin, est choisi pour infiltrer un groupe d'anarchistes. Pour lui, c'est l'occasion de monter en grade. Mais, obligé de composer sans relâche, jean est de plus en plus divisé. D'un côté, il livre les rapports de police à Gaspard, son supérieur, de l'autre, il développe pour le groupe des sentiments de plus en plus profonds.
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