"Le Monde est à eux" : un an dans une classe de terminale de banlieue avec des élèves entraînés comme des athlètes de haut niveau

Dans ce lycée de la banlieue parisienne, la classe de terminale de Monsieur Fontanieu obtient chaque année 100% de réussite au bac.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Une scène du film "Le Monde est à eux", de Jérémie Fontanieu, sorti le 20 mars 2024. (L'ATELIER DE DISTRIBUTION)

Grâce à une méthode baptisée "Réconciliations", Jérémie Fontanieu parvient à obtenir 100% de réussite au bac pour les élèves de sa classe de terminale du lycée Eugène Delacroix de Drancy, en Seine-Saint-Denis, où il enseigne les sciences économiques et sociales. Un projet qu’il mène avec David Benoît, son collègue professeur de mathématiques, depuis 2012. 

Pendant une année scolaire, il a posé une caméra dans sa classe, pour montrer comment avec un dosage millimétré de fermeté et de bienveillance, et surtout en impliquant les familles, il donne à des élèves jusque-là peu investis, voire décrocheurs, l’énergie et la confiance nécessaire à leur réussite. Le documentaire Le Monde est à eux, réalisé par le professeur lui-même, offre un éclairage en profondeur sur cette stratégie déployée depuis plus de dix ans pour emmener tous ses élèves vers la réussite. Il sort en salles le mercredi 20 mars 2024.

Expérimentée avec succès depuis plus de dix ans à Drancy, la méthode "Réconciliations" est aujourd'hui appliquée dans de nombreux établissements en France, au lycée, mais aussi en élémentaire et au collège.

"L’année dernière, j’étais une absentéiste de renom dans le lycée", commence Tessa. Adem, au bord du décrochage depuis la seconde, embraye : "Je n'avais pas honte de moi, mais je n'étais pas ce que je voulais être". "Au fur et à mesure des années, au lieu d'acquérir des connaissances, j'ai accumulé les difficultés" confie Yness.

Comme elle, Bilel, Dalil, Killan, Helvin et presque tous les élèves de cette classe de terminale du lycée Delacroix de Drancy font le même constat sur leur scolarité, marquée jusque-là par un manque de motivation, et de confiance en soi. "Un potentiel gâché", assure Jérémie Fontanieu devant les parents qu'il a convoqués dès le début de l'année pour s'assurer de leur soutien. Même si ce n'est pas le cas", il faudra afficher devant les élèves la même position, tenir le même discours."Face aux élèves, on sera toujours d'accord", leur demande-t-il solennellement.

"Quand ils apprennent qu'on voit leurs parents le 1er septembre et qu’on va leur envoyer des SMS chaque semaine pour les tenir au courant, leur comportement change complètement", explique le professeur.

"C'est un rythme à tenir"

Voilà la base de la méthode Fontanieu : un mélange d'extrême fermeté et de bienveillance, et surtout un travail main dans la main avec les familles. "Pour la première fois de ma vie, je travaille", lâche Adem. Au démarrage, les élèves ont du mal. Peu habitués à ce rythme de travail, ils sont fatigués. "C'est la première fois de ma vie où je bois du café", confie l'un d'entre eux. "C'est la première fois de ma vie que je suis fatigué. J'ai vu des élèves pleurer parce qu'ils sont fatigués. C'est intense c'est un rythme à tenir", assure-t-il. "Regardez, je n'ai plus d'encre !" ajoute Tamara en brandissant son stylo devant la caméra. "Ça m'a jamais fait ça de ma vie", s'étonne la jeune fille. Ils sont épuisés, mais ils s'engagent. D'abord par crainte des punitions (les colles tombent et les réprimandes parentales suivent), puis parce que les bénéfices de leur travail se font rapidement sentir.

"Le monde est à eux", de Jérémie Fontanieu, sortie le 20 mars 2024. (L'ATELIER DE DISTRIBUTION)

"Dans la vie le meilleur moyen de progresser, c'est de travailler et de fermer sa gueule", explique Monsieur Fontanieu, qui s'adresse souvent sans filtre aux élèves comme aux parents. Cette affirmation radicale trouve une réponse un peu plus tard dans la bouche des élèves. "On ne nous donne pas de liberté", reconnaît le jeune homme, "mais on nous donne des principes et des valeurs à suivre qui nous permettront plus tard d'avancer dans notre vie" poursuit-il. "Je pense que ça m'aide énormément" précise-t-il. "L'école, elle est en train de faire naître un nouveau Nathan", ajoute un de ses camarades.

La collaboration avec les parents ôte également une pression qui pèse habituellement exclusivement sur les professeurs. "C'est un métier solitaire, le fait de travailler avec les parents, on a moins l'impression d'avoir tout sur les épaules", assure Jérémie Fontanieu. C'est d'ailleurs ce découragement, qui a été à l'origine de ce projet pédagogique. 

Le film montre des moments de vie, au lycée, dans la classe, mais aussi à l'extérieur, dans la cour, sur les passerelles bétonnées, entre les tours du quartier. Dans des interviews, ou des témoignages face caméra, sont donnés à entendre les témoignages des élèves, mais aussi des professeurs. Les protagonistes sont souvent seuls, ou à deux, face caméra, hors du regard des adultes, pour s'exprimer. Un dispositif qui libère la parole, et permet aux élèves d'engager tout au long de l'année une réflexion à chaud sur l'expérience qu'ils sont en train de vivre.

"Je suis fière"

Le Monde est à eux est à prendre pour ce qu'il est. Réalisé par le professeur lui-même, il n'offre pas de point de vue extérieur ou critique. À ce titre, il est avant tout la restitution d'une expérience plutôt qu'un regard de cinéaste sur une réalité. On regrette un peu de ne pas entendre les autres professeurs et personnels administratifs du lycée, les autres élèves aussi, qui ne bénéficient pas de la "méthode Fontanieu".

Des cadrages simples, souvent via des plans fixes ou légers travellings avant, un éclairage naturel, le film ne cherche pas à faire joli, mais il n'est pas non plus misérabiliste. Une économie dans la réalisation qui laisse toute la place à la parole des élèves, à celle des parents et des enseignants, à l'expression de leurs ressentis.

"Je suis fière de moi, je suis fière de mes parents, je suis fière que mes parents soient fiers de moi, je suis fière que mes professeurs soient fiers de moi"

Dounia

Dans "Le Monde est à eux"

On s'émeut et on se réjouit avec Dounia, et avec tous ces élèves et leurs familles, si heureux et si peu habitués à ce qu'on les prenne en compte. 100 % de bacheliers, une brassée de mentions, et des études supérieures pour tout le monde, et cette année-là, plus d'un tiers des élèves de la classe admis en classe préparatoire aux grandes écoles.

"La réussite, c'est le bonheur. La réussite, c'est de se lever le matin pour faire quelque chose qui nous intéresse, la réussite, c'est être libre", conclut le professeur, qui s'adresse à ses élèves et aux parents réunis pour célébrer la réussite de tous. Voilà qui résume bien le travail d'une formidable équipe qui met tout en œuvre pour offrir à des élèves peu privilégiés des perspectives qu'ils n'auraient jamais imaginées pour eux-mêmes avant de vivre cette expérience.

Affiche du film documentaire "Le monde est à eux", de Jérémie Fontanieu, sortie le 20 mars 2024. (L'ATELIER DE DISTRIBUTION)

La Fiche 

Genre :  documentaire
Réalisateur : Jérémie Fontanieu
Pays : France
Durée : 1h15 min
Sortie :  20 mars 2024
Distributeur : L’atelier Distribution

Synopsis :
C’est l’histoire d’une classe d'un lycée de banlieue qui propose une méthode pédagogique collective. Basée sur une alliance entre les élèves, leurs parents et les professeurs, elle affiche 100% de réussite au baccalauréat depuis cinq ans. Tourné par les élèves et leurs deux professeurs principaux, Jérémie Fontanieu et David Benoît durant une année scolaire, le film suit ce parcours d’équipe inspirant qui leur permet de découvrir leurs potentiels et de s'ouvrir de nouveaux horizons.

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