"L'Artiste et son modèle" : Jean Rochefort hors du monde
De Fernando Trueba (Espagne), avec : Jean Rochefort, Aida Folch, Claudia Cardinale - 1h45 - Sortie : 13 février
Synopsis : Été 1943, dans la France occupée, non loin de la frontière espagnole. Marc Cros, célèbre sculpteur, vit une retraite paisible avec sa femme Léa, anciennement son modèle. Fatigué de la vie et de la folie des hommes, il est à la recherche d’une inspiration nouvelle, mais rien ne semble le sortir de la monotonie ambiante. En hébergeant Mercé, une jeune espagnole échappée d’un camp de réfugiés, le vieil artiste découvre une nouvelle muse et retrouve le goût du travail. Il s'attaque alors à sa dernière œuvre…
Il y a peu, « Renoir » de Gilles Bourdos, évoquait avec beaucoup de sensibilité les derniers mois de la vie du peintre Auguste Renoir, sous les traits de Michel Bouquet. Fernando Trueba s’intéresse également aux derniers jours d’un artiste, sculpteur, lui. Les deux films ont non seulement cette fin de vie d’artiste en commun, mais également leur rapport avec leur dernier modèle, leur dernière muse, en qui ils trouvent un sursaut de vitalité projeté dans leur art.
Fernando Trueba ne se réclame pas d’un biopic, son sculpteur nommé Marc Cros (Jean Rochefort, très inspiré) ne renvoyant à aucun artiste connu. Mais à regarder de plus près, ce personnage imaginaire est comme un avatar du propre père de Trueba qui était sculpteur. Mais il évoque surtout Aristide Maillol, le dernier chef d’œuvre de Cros reprenant la pose d’une de ses plus célèbres sculptures, « Méditerranée », qui orne sa sépulture. D’autres indices vont dans ce sens : la situation géographique de l’action, proche de la frontière espagnole, ou l’origine de son dernier modèle, que Maillol avait sauvée de la déportation.
« L’idée »
Mais le film va bien au-delà de l’anecdote. « L’Artiste et son modèle » est entièrement consacré à l’évocation de la créativité chez l’artiste. Comme Cézanne, dont la peinture est entièrement issu de sa solitude, Marc Cros a besoin de s’isoler pour créer. Il reprend son travail, délaissé depuis longtemps, alors que la seconde guerre mondiale est en cours. Comme par réaction. Un acte de vie pour contrebalancer un processus de mort.
Cependant, le monde le rattrape : d’abord en cette jeune fille, Mercé (très belle et juste Aïda Folch), puis en ce jeune résistant qu’il cache, puis l’officier allemand Werner, qui le visite afin de lui consacrer une monographie, sans parler des enfants qui rôdent autour de son atelier pour apercevoir la belle Mercé posant dénudée. La pierre d’angle du film réside dans l’acte de création. Obsédé par son mystère, Marc Cros n’a de cesse de la déterminer par « l’idée » qui doit la précéder, la déterminer, la motivé, la rendre viable.
Ascèse
Filmé dans un noir et blanc ouaté, « L’Artiste et son modèle » se sert de cette épure pour mieux traiter son propos, justement porté sur l’ascèse. Dans cette continuité, aucune musique ne vient souligner l’action. La musicalité émane de la bande son, des dialogues, sans nul autre ajout. Une pureté que l’on retrouve dans le jeu des acteurs, sans surlignage, comme porté par la seule force des personnages. Ainsi, la plaisir de retrouver Jean Rochefort, s’accompagne de celui de renouer avec Claudia Cardinal, d’une légèreté et sincérité déconcertante.
La fin du film est ouverte et laisse quelque peu dubitatif sur les alternatives laissées au choix du spectateur, presque en contradiction avec la vitalité prégnante du film. « L’Artiste et son modèle » n’en reste pas moins un des plus beaux propos sur l’art et la création. Alchimique.
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