: Interview "On veut que les gens qui vivent ça au quotidien se reconnaissent" : Audrey Lamy, maman d'un enfant autiste dans "En tongs au pied de l’Himalaya"
Adapté du spectacle éponyme et autobiographique de Marie-Odile Weiss présenté au Festival d'Avignon en juin, En tongs au pied de l'Himalaya, en salles le 13 novembre 2024, raconte le quotidien de la maman d'Andrea, un enfant autiste. Alors qu'il entame une année charnière, celle de la dernière année à l'école maternelle, Andrea pourrait voir sa scolarité stoppée s'il n'acquiert pas suffisamment d'autonomie pour rester dans un cursus scolaire ordinaire.
Sa mère Pauline, la quarantaine, fraîchement séparée, squatte chez son frère immature et boit un peu plus que de raison à la fermeture du bar dans lequel elle travaille la nuit. Une situation loin d'être idéale pour aider Andrea à passer le cap du passage en élémentaire...
Audrey Lamy confie à franceinfo Culture ce qui a motivé son engagement sur ce premier long-métrage de John Wax, qui s'attaque à un sujet délicat dans une comédie réaliste "sans pathos".
Franceinfo Culture : qu'avez-vous ressenti et pensé quand vous avez reçu ce scénario ?
Audrey Lamy : Que du bien ! (éclat de rire). En fait, je connaissais John Wax. On avait travaillé sur le film de Fabrice Éboué Coexister en 2017, et on avait adoré tourner ensemble. Il m'avait dit qu'un jour, il m'écrirait un rôle. Quelques années après, le téléphone sonne, j'étais en plein déménagement, le nez dans mes cartons. Il me dit ça y est, le jour est arrivé, tu as un scénario dans ta boîte mail, ça s'appelle En tongs au pied de l'Himalaya. Je commence à lire et j'en oublie mes cartons. J'ai lu le scénario d'une traite et je l'ai rappelé deux heures après pour lui dire un immense "oui". Je crois que je n'ai jamais lu un scénario aussi vite et surtout, c'était la première fois que je donnais une réponse aussi rapidement, sans me poser de questions.
Pourquoi, qu'est-ce qui vous a séduit dans ce scénario ?
L'histoire. C'est la première chose que je regarde quand je reçois un scénario. Je regarde si l'histoire me parle, si j'ai envie de la raconter, si j'arrive à me projeter dans le personnage. Et là, toutes les cases étaient cochées. L'histoire est magnifique. Le sujet, mais surtout le ton que John réussit à mettre dans cette histoire qui traite d'un sujet très sensible, un sujet très complexe, en y injectant de l'humour, des sourires, des rires, de la joie, de l'amour. J'ai été séduite par le côté optimiste de l'histoire.
"On n'est pas dans le pathos, on n'est pas en train de traiter le sujet en prenant en otage les spectateurs ou le public."
Audrey Lamyà franceinfo Culture
On apprend quelque chose, et en même temps, ça donne de l'espoir, ça fait du bien. C'est beau quoi. Et même s'il y a des scènes qui sont évidemment plus dures, il y a quand même plein de moments de légèreté grâce aux personnages secondaires autour de Pauline, comme le frère, par exemple formidablement incarné par Benjamin Tranié. Tous les acteurs du film sont incroyables et il y a plein de moments de respiration pour que le public ne se sente pas trop étouffé par le sujet. Et ça, ça m'a plu. Je pense que tout de suite, quand on met de l'humour dans un sujet un peu compliqué, ça amène une réflexion, ça amène de l'empathie, et des vrais moments de respiration qui permettent de réfléchir sur ce que l'on est en train de regarder.
Vous pensez que de cette manière, on dédramatise un peu le sujet ?
Le film ne dédramatise pas, il montre la réalité. J'ai aimé ça aussi dans le scénario, ce côté très réaliste, mais sans être plombant. Le scénario est une adaptation du spectacle de Marie-Odile Weiss qui a raconté sa vie dans un seul en scène, dans lequel elle parle de son fils, qui est autiste. Et c'était aussi sa volonté à elle que le film ne soit pas plombant. Elle tenait à ce qu'on comprenne que s'il y a des moments très difficiles, il y a aussi des moments de joie, des moments de rire, des moments de découverte, des moments d'amour.
Et alors comment justement avez-vous travaillé votre rôle ? Est-ce que vous avez beaucoup échangé avec Marie-Odile Weiss ? Est-ce que vous avez parlé avec d'autres parents ?
Oui, j'ai beaucoup échangé avec Marie-Odile, j'ai rencontré des parents, j'ai écouté le podcast de Marie-Odile, dans lequel il y a beaucoup de témoignages de parents. Je me suis documentée, informée. C'était normal. Je me rends compte aujourd'hui que j'avais une méconnaissance totale de ce sujet parce que l'autisme, c'est très large, il y a autant de formes d'autisme que d'autistes, donc c'est très différent pour chaque personne.
Quel rôle Marie-Odile Weiss a-t-elle joué sur le film ?
Marie-Odile était là tous les jours sur le tournage pour nous coacher, pour que le film soit le plus crédible possible, pour nous aiguiller sur des choses un peu complexes, comme les situations de crise, les mots plus techniques. C'était plus qu'indispensable de l'avoir à nos côtés. Et c'est ce qui fait que le film est extrêmement réaliste. Elle était là chaque jour, sur chaque séquence, pour tout décortiquer et faire en sorte qu'Eden, le petit garçon qui joue le rôle d'Andrea, et moi-même, soyons vraiment hyper crédibles.
Justement, comment vous avez travaillé avec ce petit garçon, parce que ce n'est pas facile de travailler avec les enfants, mais là, c'était encore plus compliqué, non ?
En effet, ce n'est pas simple de jouer avec les enfants. On m'a demandé ce qui pouvait me faire peur en acceptant ce rôle, et honnêtement, la seule chose qui m'a inquiétée, c'était le choix du petit garçon. On ne pouvait pas faire jouer un enfant autiste. On ne met pas un enfant autiste en situation de crise, sinon, c'est de la maltraitance. Donc on était obligés de prendre un acteur.
"Il fallait trouver un enfant qui ait un talent monstre parce qu'il a tellement de choses à jouer, que ce soit dans la diction, dans la gestuelle, dans le regard qui se perd, dans le texte, dans les gestes à répétition. C'est vraiment de la dentelle."
Audrey Lamyà franceinfo Culture
Il fallait que tout soit extrêmement crédible, tel geste mais pas trop, le regard fuyant mais pas trop. Donc il fallait une précision énorme et je me suis demandé comment on allait trouver cet enfant capable de faire ça en fait.
Est-ce qu'Eden Lopes a été préparé pour le rôle ?
Avant le tournage, il a beaucoup discuté avec Marie-Odile, il a rencontré son fils, qui est grand maintenant. John aussi lui a beaucoup parlé, et il a eu une coach sur le plateau. Par contre, moi, je n'ai pas fait vraiment de grosse préparation avec lui. En fait, je ne voulais pas qu'on l'épuise trop. Je voulais qu'il ramasse un maximum d'informations, qu'il soit coaché évidemment, mais il ne fallait pas trop l'épuiser non plus. Je voulais vraiment qu'on se rencontre, qu'on crée une sorte de complicité tous les deux, qu'on s'amuse, qu'on s'apprécie. Donc on est arrivé sur le tournage, on se connaissait déjà. Et Eden est extrêmement attachant. C'est toujours difficile d'aimer à fond les enfants des autres, mais là, je l'ai adoré, ça aurait pu être mon fils. Il est tellement gentil, il est tellement bienveillant.
Comment ça s'est passé sur le plateau avec lui ?
J'ai tourné avec pas mal d'enfants. Souvent, les enfants n'ont pas vraiment envie d'être sur un plateau de tournage. La plupart du temps, ce sont les parents qui poussent parce que ça leur fait plaisir. Mais il y a très peu d'enfants qui aiment réellement ça, parce que c'est long, c'est fatigant et souvent, au bout de trois prises, ils en ont marre, ils ont envie de faire autre chose. Ça demande de la patience et de la concentration. Et là encore plus, parce que le personnage d'Andrea est tellement complexe, tellement difficile à jouer, il ne faut pas perdre la concentration.
"Sur le plateau, Eden n’était jamais fatigué, et il ne s'est jamais plaint, il avait toujours envie de faire mieux que la prise d'avant. Je me suis dit, mais c'est dingue."
Audrey Lamyà franceinfo Culture
Même nous, parfois on en a marre de recommencer les prises. Mais lui, même à la fin de la journée, il ne voulait pas rentrer chez lui. Il éprouvait vraiment un plaisir à jouer. Et il savait que c'était hyper important pour Marie-Odile et aussi que toute l'équipe était hyper soudée pour porter le vrai premier film tout seul de John... Il a fait preuve d'un investissement, d'une maturité, d'un professionnalisme dingue.
Comme un acteur professionnel ?
Oui, pour tout vous dire, le premier jour de tournage, j'étais un peu stressée. Je n'avais pas dormi de la nuit. La veille du début d'un tournage, on est toujours un peu anxieux, on a toujours un peu peur. Bref, c'était un peu ma petite rentrée des classes à moi. Et en plus j'avais un gros monologue, bref, j'étais un peu stressée. Et donc, j'étais en train de jouer avec Eden, et tout à coup, il me dit, je pense qu'il faut que je te laisse te concentrer. Je me suis dit, mais quel enfant de 7 ans voit dans le regard de son partenaire de jeu ce dont il a besoin, quel enfant de 7 ans sait qu'il y a un moment pour jouer, et qu'il y a un moment pour travailler. C'est hallucinant. Je l'ai dit à sa mère. Je lui ai dit : votre enfant est exceptionnel. C'est incroyable, incroyable d'avoir trouvé un enfant comme lui pour jouer le rôle d'Andrea.
D'autant que le film repose en grande partie sur son jeu, non ?
Oui, bien sûr, parce que si on ne croit pas au petit garçon, si on ne croit pas à son handicap, on passe complètement à côté du sujet. Et là, on se fait massacrer par le public, et aussi par les gens qui vivent ça au quotidien, les parents, les aidants...
Si le sujet de l'autisme est au cœur du film, c'est aussi le portrait d'une femme. Pauline n'est pas seulement la maman d'un enfant porteur d'un handicap, elle est aussi une femme avec ses fragilités, ses difficultés ?
Oui, c'est l'histoire de cette femme de 40 piges, séparée de son mari, qui se retrouve toute seule, qui n'a pas les moyens de se prendre un appartement. Elle se retrouve en colocation avec son frère, qui est tout sauf stable. J'ai adoré ce côté famille dysfonctionnelle.
“J'ai adoré le fait qu'elle ne soit pas parfaite, qu’elle fasse des erreurs, qu'elle s’y prenne mal, mais qu'on lui pardonne parce qu'on la comprend.”
Audrey Lamyà franceinfo Culture
On comprend cette famille, on comprend pourquoi Pauline agit ainsi. En fait, toute cette famille est super cohérente. Ils sont tous différents, mais il y a quand même un ADN commun, il y a vraiment un truc qui les rassemble, c'est le fait de ne pas être autonomes. Et d'un seul coup, ils se retrouvent devant une responsabilité, celle d'aider cet enfant handicapé à grandir. Il va falloir qu'ils se prennent en main. Ils sont au pied de la montagne, et ils vont devoir l'escalader, il n'y a plus le choix.
Finalement, c'est autant Pauline qui aide Andrea à devenir autonome que lui qui aide sa mère à grandir ?
C'est ça. C'est exactement grâce à lui qu'elle trouve la force et la stabilité nécessaires. Le but des parents d'enfants autistes, leur plus grand défi, c'est que leur enfant devienne autonome. Et là, la mère, Pauline, n'est toujours pas autonome, pour tout un tas de raisons. Donc dans cette histoire, la mère et le fils vont apprendre à vivre ensemble, et vont se porter l'un l'autre pour avancer dans la vie. Ça montre que souvent, les enfants aussi nous éduquent.
C'est un rôle important pour vous ?
Hyper important parce que c'est un défi. Avec ce film, on n'a pas droit au pas de travers. On veut que les gens qui vivent ça au quotidien se reconnaissent. Plein de gens nous ont dit qu'ils craignaient de voir des clichés, de voir un truc qui ne ressemblait pas à leur vie. Mais en sortant des avant-premières, ils nous disent merci, parce qu'ils ont le sentiment que le film éclaire tout ce qu'ils traversent. Pas tout, évidemment, parce qu'on ne peut pas tout montrer en 1h30, il faudrait des saisons entières, mais en tout cas, les gens se reconnaissent, les parents, les aidants se reconnaissent.
Pourtant les clichés sont dans le film, non ?
Oui, tous ces clichés sur l'autiste qui compte vite, qui a toutes sortes de talents... On s'est servi des clichés pour en rire, pour montrer à quel point la plupart des gens ne connaissent pas le sujet.
Y compris de la part des professionnels, comme à l'école par exemple ?
Oui, par exemple. Mais même si on montre ça dans le film, avec la maîtresse, au bout d'un moment, on finit par la comprendre. On se dit, elle a vingt-cinq élèves, elle n'est pas formée pour ça, pas préparée à ça. Déjà, on sent que la rentrée des classes lui fait peur. Elle est moquée par les enfants parce qu'elle est en surpoids. Les enfants de cet âge-là sont horribles. Donc au début, on la juge un peu, et par la suite, on la comprend. C'est comme dans la vie. J'ai l'impression qu'on a souvent tendance à juger les autres avant de savoir qui ils sont, ce qu'ils vivent ou ce qu'ils traversent. Et c'est là où le réalisateur a été hyper fort, c'est qu'il a réussi à remettre toutes ces choses-là à leur place.
C'est un film qui parle de l'autisme, mais aussi de la différence au sens large, et de l'acceptation de la différence ?
Totalement, c'est exactement ça. On finit par comprendre, on finit par avoir de l'empathie, on finit par les soutenir tous et on se dit waouh, en fait, ça peut arriver à n'importe qui, n'importe quand. Et on se dit, est-ce qu'à leur place, j'aurais fait mieux ?
Qu'est-ce que vous avez puisé de vous pour ce rôle ?
J'ai deux enfants, et en tant que maman, j'ai toujours peur qu'ils soient exclus, qu'ils soient moqués, qu'ils soient victimes de harcèlement. J'ai peur qu'ils soient isolés, qu'ils ne soient pas intégrés.
"Si une maîtresse avait décidé d’exclure mon enfant du spectacle de fin d’année parce qu’il ne sait pas danser ou chanter, moi aussi, je crois que j’aurais pété un plomb."
Audrey Lamyà franceinfo Culture
Donc, oui, j'ai puisé en moi en tant que mère protectrice, en tant que mère prête à tout pour protéger ses enfants, parce que je ressens vraiment le déchirement le plus total de cette mère qui vit ça au quotidien, qui voit son fils se faire moquer par les autres enfants au moment où la porte de l'école se referme...
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