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"Hannah Arendt" : Margarethe Von Trotta filme l'intransigeance de la pensée

Margarethe Von Totta est une cinéaste exigeante, s’il en est. Engagée, politique, talentueuse, il n’est guère étonnant de la voir évoquer Hannah Arendt dans son nouveau film, ces qualificatifs pouvant tout autant s’appliquer à la philosophe, auteure de « La Banalité du mal », ou à Rosa Luxemburg dont elle filma le biopic en 1985.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Barbara Sukowa est  "Hannah Arendt" dans le film de Margarette Von Trotta
 (Sophie Dulac Distribution )

De Margarethe Von Trotta (Allemagne/France), avec : Barbara Sukowa, Axel Milberg, Janet McTeer, Julia Jentsch - 1h53 - Sortie : 24 avril

Synopsis : 1
961. La philosophe juive allemande Hannah Arendt est envoyée à Jérusalem par le "New Yorker" pour couvrir le procès d’Adolf Eichmann, responsable de la déportation de millions de juifs. Les articles qu’elle publie et sa théorie de “La banalité du mal” déclenchent une controverse sans précédent. Son obstination et l’exigence de sa pensée se heurtent à l’incompréhension de ses proches et provoquent son isolement.

Synthèse
Avec « Hannah Arendt », Margarethe Von Trotta est parvenue à la fois à brosser le portrait d’une femme et à filmer sa pensée. Filmer sa pensée ? Plutôt qu’un biopic de Hannah Arendt, la cinéaste s’arrête sur la couverture pour « The New Orker » du procès d’Eichmann - responsable SS du transport des déportés durant la seconde guerre mondiale, à Jérusalem en 1961-, car ce moment synthétise la personnalité de la philosophe. Il y avait pourtant de quoi faire : la relation entre Hannah Arendt encore étudiante avec le philosophe Martin Heidegger, son exil en France en 1933, son internement dans le camp de Gurs (Basses Pyrénées) et son évasion en 1941 vers les Etats-Unis…

Margarethe Von Trotta ne manque toutefois pas d’évoquer ces étapes importantes, par de courts flash-back, à des moments cruciaux, parfaitement intégrés et justifiés dans l’organisation du récit. Comme sa relation à Heidegger qui s’inscrit au parti nazi après avoir aimé cette élève juive brillante. Barbara Sukova, interprète du rôle-titre avec brio, conviction et sobriété, porte sur ses épaules la responsabilité d’incarner une telle figure, donc le film, dans lequel elle est de tous les plans.
Hannah Arendt (Barbara Sukova, à droite), entourée de ses proches et d'étudiants dans "Hannah Arendt" de Von Totta
 (Sophie Dulac Distribution)

Mécano
La mise en scène repose sur une reconstitution méticuleuse du couple que constituait Hannah Arendt avec Henrich Blücher, dans leur appartement new-yorkais, entourés de leurs amis, avec beaucoup de sensibilité. De ce point de vue, « Hannah Arendt » est aussi un film d’amour. Tout en mettant en avant la distance de ses proches à la suite de la publication des articles, démontrant qu’Eichmann a plus agi par scrupule professionnel, comme fonctionnaire répondant aux ordres de sa hiérarchie, que par conviction antisémite. Elle démontrait (démontait) ainsi tout le système nazi caché sous le flou d’une responsabilité impersonnelle, soumise aux ordres d’une élite inatteignable, qui s’est d’ailleurs, pour beaucoup, suicidée à l’issue de la guerre, ou a bénéficié de passe-droits pour s’exiler incognito.

Tout le sujet du film repose sur la dichotomie entre l’exposé de cette pensée et l’opinion juive (qui fait toujours débat), à laquelle Hannah Arendt oppose une intransigeance absolue, préférant sacrifier ses proches à sa découverte - face à un rouage du crime nazi (Eichmann) -, à sa vérité, à l’intégrité de sa pensée. Margarethe Von Trotta nous convainc sans ambages, en adoptant une forme classique, très dialoguée, certes, mais passionnante. Sur ce point son « Hannah Erendt » rappelle le « Lincoln » de Steven Spielberg, à la forme tout autant classique, méticuleuse et édifiante, dans l’autopsie d’une pensée.

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