"Free Love" : un drame (trop) ordinaire
Faire ou non d'un drame personnel une "cause" : "Free Love" aurait dû être l'histoire de ce combat paradoxal. Basé sur l'histoire vraie de Laurel Hester, décédée en 2006, et de sa compagne Stacie Andree, le film manque quelque peu son enjeu.
Le synopsis était pourtant prometteur. Lorsqu'elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer du poumon en phase terminale, Laurel (Julianne Moore) n'a qu'un seul souhait : que sa pension revienne à Stacie (Ellen Page) après sa mort, afin que celle-ci puisse garder leur maison. Mais parce qu'elle vit avec une femme, la très conservatrice administration du comté d'Ocean, dans le New Jersey, lui refuse ce droit – ce même comté qui l'emploie en tant qu'inspecteur de police depuis 25 ans. Laurel doit alors mener un double combat. Contre le cancer, perdu d'avance puisque celui-ci se généralise rapidement. Contre le comté d'Ocean, ses politiciens et ses lois injustes, combat qui l'obligera à accepter le soutien militant de Steve Goldstein (Steve Carell), avocat haut en couleur en campagne pour l'égalité des droits et le mariage gay.
Un couple (trop) ordinaire ?
Comment ces deux femmes amoureuses affrontent-elles la maladie et l'imminence de la mort ? Sur ce premier front, le film se contente de quelques scènes somme toute froides et sans charge émotive. Déjà placée face à la maladie (d'Alzheimer) dans "Still Alice", Julianne Moore semble faire vœu d'impassibilité. Elle campe une Laurel hypnotisée par son devoir (léguer sa pension à sa compagne), et l’interprète sans rage ni désespoir (une larme lorsqu'elle sera tardivement promue lieutenant).Le couple qu'elle forme avec Ellen Page émeut par contre par sa touchante authenticité. Le scénario remonte d'ailleurs à leur rencontre, mais déroule leur six ans de vie commune à la vitesse de la lumière : comme s'il fallait bien arriver au réel sujet de l'histoire. (Le scénariste doutait-il qu'on ne puisse sinon s'attacher à elles, et ainsi se moquer de leur sort ?)
Le choix de ne pas faire des amours lesbiennes un objet romanesque et sensuel (comme c'était le cas dans "Carol" sorti l'année dernière) est en tous les cas évident. Laurel et Stacie sont d'une banalité désarmante : de leurs aspirations ("une maison, un chien") à leur garde-robe (les costumes sont, par choix, remarquables de banalité), tout transpire l'humilité des petites gens sans histoires. Ainsi en va-t-il de l'homophobie d'État : une discrimination ordinaire touchant des gens ordinaires. C'est symétriquement ce que les deux femmes réclament : d'être traitées comme telles, en ayant les mêmes droits que les couples hétérosexuels.
Un combat confisqué
Le deuxième front, le combat pour l'égalité, est de loin le plus intéressant du film. Mais aussi le plus bancal, presque contradictoire avec ses ambitions militantes. Car c'est là que surgissent deux acteurs majeurs, qui éclipsent presque les deux rôles titres : comble du paradoxe, deux hommes prennent la tête de la campagne. Le coéquipier de Laurel, Dane Wells (Michael Shannon), seul collègue du bureau de police à la soutenir ; et Steve Goldstein (Steve Carell), avocat juif et gay militant in fine pour le mariage gay, qui déboule avec tambours, trompettes et banderoles.
De fait Laurel (Julianne Moore) ne revendique rien; rien d'autre que de mourir en sachant sa compagne à l'abri du besoin, dans la maison qu'elles ont construite. Mais son absence de réaction finit par frustrer. Avec une Stacie (Ellen Page) pourtant combattive face à l'homophobie au début du film, devenue bien chétive face à la maladie, les deux femmes finissent par être témoins secondaires d'un combat mené par d'autres. Présenté comme le combat jusqu'au-boutiste de l'amour triomphant des injustices, "Free Love" peut donc décevoir. L'interprétation appuie le scénario : face à un Michael Shannon magistral et complexe, à un Steve Carell (très) excessif et drôle, le jeu pudique de Julianne Moore et d'Ellen Page ne fait pas le poids.
Une histoire (trop) vraie ?
Pourtant scénarisé par Ron Nyswaner ("Philadelphia"), "Free Love" ne fascine pas par sa trame narrative et enchaine les plans de façon monotone, loin du "naturalisme romantique" revendiqué par le réalisateur Peter Sollett. De fait, il est fidèle aux faits dont il devrait être l'adaptation cinématographique. La faute, peut-être, à une collaboration trop scrupuleuse avec Cynthia Wade, réalisatrice d'un court métrage documentaire oscarisé sur la même histoire ("Freeheld") et propriétaire de l'histoire de Laurel Hester. Les producteurs du film, dont elle fait partie avec Ellen Page, insistent d'ailleurs sur la scrupuleuse exactitude de tous les faits et gestes. Malaise : déçu par les choix scénaristiques et les personnages, n'est-on pas en train de juger les vraies Laurel et Stacie ? Qui n'ont peut-être rien de grandiose, et c'est bien leur droit...Face à des thèmes à fort potentiel émotionnel (la maladie, l'amour, le combat courageux d'anonymes contre la discrimination), le film sombre trop dans la reconstitution mièvre : sans la force documentaire, ni l'ambition cinématographique.
LA FICHE
"Free Love", drame de Peter Sollett
Avec Ellen Page, Julianne Moore, Steve Carell et Michael Shannon - Durée : 1h43.
Sortie le 10 février.
Synopsis : Atteinte d'un cancer du poumon au stade terminal, Laurel Hester n'a qu'un seul souhait : que sa pension revienne à sa compagne Stacie. Mais parce qu'elle vit avec une femme, l'administration du comté d'Ocean, dans le New Jersey, lui refuse ce droit. Soutenu par une association qui lutte pour l'égalité des droits des couples homosexuels, le combat de Laurel et Stacie va aboutir à changer la législation.
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