"Fortunata" de Castellitto : un parfum de néoréalisme au Festival de Cannes
Lors de la projection du film hier soir en présence des équipes de production et de réalisation de "Fortunata", Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, a eu raison de souligner l’importante représentation du cinéma italien à Cannes et non seulement par la présence de Paolo Sorrentino dans le jury de Pedro Almodovar et de Monica Bellucci comme maîtresse de cérémonie.
"Fortunata", l’un des deux films italiens en sélection officielle Un certain regard
Deux films sont en compétition dans la sélection parallèle de la Quinzaine des Réalisateurs ("L’intrusa" de Leonardo di Costanzo et "Cuori puri" de Roberto de Paolis) et deux autres dans la sélection officielle Un certain regard : "Dopo la guerra" d’Annarita Zambrano et, "Fortunata", justement, de Sergio Castellitto. Sans oublier que cette présence est incontournable sur la Croisette, des stands du marché du film au Pavillon italien installé à l’Hôtel Majestic, en passant par le très grand nombre de journalistes accrédités. Francesco Rutelli, ancien leader de la gauche en Italie et actuel président de l’association des industries cinématographiques transalpines était d’ailleurs aux premières loges."Fortunata" du réalisateur Sergio Castellitto est l’itinéraire, dans le Rome des quartiers pauvres, de la bien (ou mal) nommée Fortunata, "chanceuse" en italien, coiffeuse à domicile et mère d’une petite de huit ans. Femme jeune, jolie, mais forte, résolue à tracer son chemin. Son sourire franc, son port droit, sa démarche combative malgré ses talons hauts en disent long. Castellitto a dessiné une battante face à un quotidien qui n’est pas rose.
Son rêve : avoir son propre salon de coiffure
Séparée d’un agent de sécurité alcoolique et violent, qui réclame son droit de cuissage tant que le divorce n’est pas prononcé, Fortunata file un amour compliqué avec Chicano, junky et bipolaire, être fragile inséparable de son allemande de mère, une ancienne star de théâtre, éternelle Antigone. Et puis il y a le quotidien à nourrir : l’argent ne vient pas du ciel, elle le sait elle, qui voit l’addiction de son compagnon au Loto. Elle préfère trimer. Car Fortunata s’accroche à un rêve qui est en passe de se réaliser : monter son propre salon de coiffure. Jusqu’à ce qu’un dernier personnage fasse irruption dans cet équilibre déjà instable : un psychiatre, Patrizio, chargé de s’occuper de Barbara, la fille de Fortunata, qui vit mal la séparation de ses parents. L’homme à la blouse blanche se met en tête d’être également à l’écoute de la mère. Sa fonction dans l’histoire devient dès lors capitale : il est celui grâce auquel Fortunata peut enfin porter un regard autre sur sa vie et sur sa propre histoire.Peinture sociale
Il y a, dans "Fortunata" un parfum de "Mamma Roma" de Pasolini, où la Rome pauvre et misérable de la fin des années 1950 mais qui sait toujours garder la tête haute est magnifiquement incarnée par Anna Magnani. Il n’est clairement pas question d’une comparaison, mais l’hommage nous paraît évident. Il y a d’abord la peinture sociale qui renoue avec les thèmes du néoréalisme. Regard sans misérabilisme aucun, et parfois même teinté d’humour, comme lorsque Castellitto décrit la communauté chinoise qu’il s’agit de choyer, car, explique-t-on, "les Chinois sont les patrons du monde, on a tout intérêt à apprendre d’eux".Peinture qui passe également par le paysage, la Rome périphérique filmée d’en haut, plans très larges d’une beauté simple des immeubles, des espaces verts, des murs de grosse pierre, qui captent la lumière. La mise en scène est sobre, sauf dans les rares scènes plus lyriques qui laissent libre court à la poésie. Mais la peinture de "Fortunata" passe avant tout par les personnages, écrits par Sergio Castellitto et la romancière à succès Margaret Mazzantini (qui est également son épouse), avec laquelle le réalisateur forme un duo depuis son premier film. Les personnages sont le véritable fil conducteur du film.
Eblouissante Jasmine Trinca
Côté distribution, ils sont plusieurs, très bons comédiens, autour du personnage de Fortunata : la grande Hanna Schygulla, en vieille mère partie dans ses délires séniles, poétique et déstabilisante ; Stefano Accorsi, longtemps beau gosse de service dans le cinéma italien, acteur performant et toujours juste, qui campe ici le psychiatre ; Alessandro Borghi en Chicano et Edoardo Pesce en mari jaloux, tous deux troublants de violence brute. Et pourtant, on ne voit (presque) qu’elle : Jasmine Trinca. Lumineuse ? Solaire, éblouissante ! Riante, terne, inquiète, trop maquillée, mal arrangée, nue, transpirante, élégante, sa présence porte le film. Découverte ici à Cannes, en adolescente chez Nanni Moretti dans "La chambre du fils" elle s’est fait surtout remarquer en 2003 dans le très bon "Nos plus belles années" de Marco Tullio Giordana, où elle incarnait une très jeune femme traumatisée, sauvée par la patience d’un jeune psychiatre. Tiens, tiens…LA FICHE
Réalisateur : Sergio Castellitto
Pays : Italie
Acteurs : Jasmine Trinca, Hanna Schygulla, Stefano Accorsi, Alessandro Borghi, Edoardo Pesce, Rosa Diletta Rossi
Durée : 1h39
Synopsis : À la périphérie de Rome, Fortunata, suite à un mariage raté, se bat quotidiennement pour élever convenablement son fils. Faisant face aux difficultés, elle songe à ouvrir un salon de coiffure afin de de s'épanouir et de trouver son indépendance.
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