"Faute d'amour" : la Russie filmée à la lumière d'un drame familial intense
L’ombre de Tarkovski
Andrei Zvyagintsev, cinéaste exigeant sans concession, fait un pas de plus dans sa radicalité avec "Faute d'amour". Sur la corruption en Russie, "Leviathan" sauvegardait des moments de détente, telle la scène de ball-trap sur les portraits des présidents soviétiques successifs, qui épargnait Gorbatchev. Plus question d’une telle légèreté ici. Tout est grave, violent en acte et en parole, tendu, autour d'un divorce qui tourne au pugilat, et de parents trop occupés à refaire leur vie pour s'occuper de leur enfant de 12 ans, dont l'absence dans leur coeur va se vérifier dans sa disparition pure et simple.Pas facile d’entraîner les foules avec un tel sujet et un traitement d’une sobriété exemplaire, aux fulgurances picturales constantes, proches d’un Tarkovski ("Stalker", "Le Sacrifice") qui aurait troqué le mysticisme pour le social et le politique. Comme le réalisateur de "Nostalghia", Zvyagintsev est un contemplatif. Il laisse le temps au temps, étire ses plans d’une beauté constante pour engendrer une poésie du quotidien. Il bouscule les règles en montrant un homme faire l’amour à une femme en fin de grossesse, avec la plus grande pudeur, tout en étant explicite. Zvyagintsev ne fait pas dans le politiquement correct.
Shakespearien
Andrei Zvyagintsev brise les tabous et donne un point de vue lucide et sincère sur l’état de son pays qu’il aime. "Faute d'amour" se déroule durant l’intervention russe en Ukraine. La disparition d’Aliocha, auquel ni le père ni la mère ne s’intéressent, en constantes disputes (euphémisme), renvoie à ce rapport conflictuel qui de politique devient armé. Le Kremlin n’a jamais cessé d’entretenir un amour/haine pour toute les composantes de la Russie, dans la crainte de son démantèlement. Avec le désintérêt pour l’enfant, qui apparaît très peu avant de disparaitre, Zvyagintsev dénonce le désamour du pouvoir pour ses enfants, jusqu'à les ignorer.
La dernière scène est éloquente. Deux ans ont passé, le couple est séparé. A distance, sur fond de reportages télévisés sur la crise ukrainienne aux commentaires lapidaires, lui réprimande son nouvel enfant qui l'agace, alors qu'elle court sur un tapis roulant, fait du surplace, indifférente, vêtue d'un jogging aux couleurs de l’équipe de Russie. Comme lors des premiers plans, où de curieux arbres horizontaux sont penchés sur les deux berges d’une rivière, dont les branches tendent à se rapprocher sans y parvenir : le divorce est consommé. A l'image de celui du pouvoir avec le peuple. C'est du moins le message de Zvyagintsev. Ces arbres qui semblent s'élancer les uns vers les autres en vain sont aussi les derniers plans, splendides, du film. Dans la cîme de l'un d'eux, un ruban blanc et rouge (les couleurs de la Russie) flotte, comme la mince persistance d'une Russie éternelle. Une fragile note d'espoir. Aux côtés des symboles, les acteurs se donnent pleinement dans ce drame métaphorique, où les monarques shakespeariens de royaumes "pourris" seraient remplacés par les sujets d’une Fédération déconfite.
LA FICHE
Réalisateur : Andrei Zvyagintsev
Pays : Russie, France, Allemagne, Belgique
Acteurs : Alexey Rozin, Maryana Spivak, Marina Vasilyeva
Durée : 2h08
Sortie : 20 septembre 2017
Synopsis : Boris et Zhenya sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Zhenya fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser... Aucun des deux ne semble avoir d'intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu'à ce qu'il disparaisse.
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