"Experimenter", les glaçantes expériences du professeur Stanley Milgram
Deux inconnus arrivent dans un laboratoire, ils sont volontaires pour participer à une expérience scientifique. On leur donne la rémunération prévue et on tire au sort : l'un sera le maître, l'autre l'élève. A chaque mauvaise réponse, le premier infligera au second une décharge électrique, de plus en plus puissante. Et c'est parti. Le maître ignore qu'il est le seul cobaye et que l'élève, hors de sa vue, se tourne gentiment les pouces tandis qu'un magnétophone diffuse des hurlements de plus en plus glaçants.
Les mauvaises réponses s'enchaînent… et 65% des volontaires continuent à respecter l'ordre de ce qui s'apparente à une torture, jusqu'à mettre théoriquement la vie de l'autre en danger. Voilà le genre d'expérience que mène Milgram, passionné par la question de l'obéissance. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, ses recherches font écho aux atrocités des nazis. Comment des milliers d'Allemands ont-ils pu travailler dans des camps, faire fonctionner des chambres à gaz, en ne se posant pas d'autres questions que le respect des ordres et des procédures.
Dans ce biopic, Michel Almereyda nous montre que les recherches de Milgram n'ont pas fait l'unanimité, loin de là. Beaucoup de ses collègues psychologues ont tenté de démonter la manipulation du chercheur sur ses volontaires, et même les séquelles dont ils auraient pu souffrir ensuite.
Aujourd'hui encore, ces questions ne sont pas forcément entourées de la plus grande sérénité. On se souvient qu'en 2010, Christophe Nick avait signé un étonnant documentaire, "Le Jeu de la Mort", coproduit par France Télévisions et la télévision suisse : un faux jeu télévisé présenté par Tania Young, à la réalisation on ne peut plus crédible, dans lequel les candidats étaient supposés envoyer des décharges électriques de plus en plus puissantes, pouvant provoquer la mort. Selon les producteurs de l'émission, on atteignait alors un "taux d'obéissance" de 81%. Ce "Jeu de la mort" a, lui aussi, essuyé de nombreuses critiques scientifiques comme éthiques, prouvant là encore une gêne vis-à-vis de ce que nous disent ces travaux.
Sujet passionnant, mais réalisation austère. Stanley Milgram (interprété par Peter Sarsgaard) ne cesse de parler - s'adressant souvent à la caméra et donc à nous, créant un effet de distanciation assez pesant – sur un ton professoral et monocorde. Si la reconstitution des années 60 est parfaite, elle est aussi assez glaciale. Tout à sa démonstration, Almereyda ne fait qu'effleurer les aspects personnels de la vie du chercheur, sa vie de couple notamment avec Sasha (Winona Ryder). Au sortir de la séance, demeure du coup une impression étrange : celle d'avoir passé l'après-midi au palais de la découverte plutôt que dans une salle de cinéma.
La fiche
Biopic américain de Michael Almereyda – avec Peter Sarsgaard, Winona Ryder et Jim Gaffigan – Durée : 1h30 – Sortie : 18 novembre 2015
Synopsis : Université Yale, en 1961. Stanley Milgram conduit une expérience de psychologie – considérée comme d’une importance majeure encore aujourd’hui – dans laquelle des volontaires croient qu’ils administrent des décharges électriques douloureuses à un parfait inconnu, attaché à une chaise dans une autre pièce. La victime a beau leur demander d’arrêter, la majorité des volontaires poursuivent l’expérience, en infligeant ce qu’ils croient être des décharges pourtant presque mortelles, simplement parce qu’on leur dit de le faire. Par cette expérience, Milgram souligne la propension qu’a tout homme à se soumettre à l’autorité, au moment précis où le procès du nazi Adolf Eichmann est diffusé à la télévision à travers toute l’Amérique. L’opinion populaire comme la communauté scientifique en sont bouleversées. Célébré dans certains cercles ou accusé d’être un monstre manipulateur dans certains autres, Milgram parvient pourtant à traverser les épreuves grâce au soutien de son épouse Sasha.
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