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"Citoyen d'honneur" : l'image fidèle et touchante d'une société algérienne fracturée dans une comédie dramatique

Mohamed Hamidi, a qui l'on doit "Né quelque part" ou encore "La Vache", s'est inspiré d'un film argentin sur le thème du retour aux sources. Kad Merad y incarne un prix Nobel qui retourne en Algérie, 35 ans après s'être juré de ne jamais y retourner.

Article rédigé par franceinfo Culture - Nisrine Manai
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Kad Merad et Brahim Bouhlel dans le film "Citoyen d'honneur". (AXEL FILMS PRODUCTION-APOLLO FILMS-C8-JANINE FILMS)

Peut-on raconter un pays qu’on a quitté il y a plus de 35 ans ? El ciudadano ilustre de Gaston Duprat et Mariano Cohn posait déjà cette question lors de la Mostra de Venise de 2016. Dans Citoyen d’honneur, Mohamed Hamidi, à qui l’on doit La Vache, réadapte le scénario argentin pour le cuisiner à la sauce franco-algérienne. Dans ce remake, Samir Amin, un écrivain français d’origine algérienne, vient de recevoir le prix Nobel de littérature pour son dernier roman.

Comme pour ses précédents livres, Samir Amin s’est inspiré de son village natal Sidi Mimoun et de ses habitants. Le romancier nobélisé, en manque d'inspiration et au bord de la dépression, est convié aux quatre coins du monde pour des conférences et autres mondanités, mais décline toute invitation. Même celle de Sidi Mimoun qui souhaite le distinguer en tant que citoyen d’honneur et ériger une statue en son honneur. "Tu leur dois bien ça", insiste son fils qui finit par convaincre son père de retourner en Algérie, pays dans lequel il s’est juré 35 ans plus tôt de ne plus jamais remettre les pieds. Samir Amin va alors renouer avec son passé, et retrouver ceux qu'il avait laissés derrière lui.

Un duo grotesque attachant

Celui qui a perdu ses marques dans un bled qu’il n’a pas visité depuis plus de 30 ans est guidé par Miloud, un ami d’enfance devenu employé de mairie qui jure avoir lu tous les livres du célèbre auteur. Serviteur dévoué investi d’une mission, Miloud est aux petits soins. Comme à son habitude, le jeu clownesque de Fatsah Bouyahmed, déjà présent dans La Vache, irradie. Face à cet attendrissant bien qu’envahissant personnage aux grandes lunettes, le taciturne Samir Amin va peu à peu se dévoiler et laisser naître une amitié pleine de respect.

Dans "Citoyen d'honneur", Fatsah Bouyahmed et Kad Merad incarne un duo attachant et pétillant. (AXEL FILMS PRODUCTION / APOLLO FILMS / C8 / JANINE FILM)

Accueilli comme le Messie par les habitants du Village, fiers de voir un enfant de leur terre récompensé d’un prix Nobel, le personnage joué par Kad Merad ne croisera pas que des fans. Comme Mokthar, ce crapuleux fils de vigneron qui exige des comptes après que l’auteur se soit inspiré de l’histoire de son père dans l’un de ses livres. Ou encore Hamid Mezouar, joué par Zinedine Soualem, un notable qui finit par tourner le dos à l’écrivain quand il voit que ce dernier ne veut pas tremper dans la corruption.

Double identité et lutte contre l'oppression

À l’image du reste de la filmographie de Mohamed Hamidi, Citoyen d’honneur est une fable qui dépeint des personnages partagés entre une double identité. Un thème récurrent que l’on retrouve dans Né quelque part, La Vache ou encore Jusqu’ici tout va bien. "Je me suis laissé porter par le sujet et le propos et c’était assez facile pour moi de me transporter dans ce personnage car, au fond, cet homme, c’est un peu moi. Quelqu’un qui a un lien fort avec son pays mais qui n’y est pas retourné", confie Kad Merad, qui y campe l’un de ses meilleurs rôles. D'ailleurs, les paroles profondes de la chanson El Rayah, de Dahmane El Harrachi reprise par Rachid Taha, qui résonnent dans le film prennent tous leurs sens.

L'histoire du personnage de Samir Amin entre en résonnance avec le passé de Kad Merad, franco-algérien qui entretient un lien fort avec le pays d'origine de son père. (AXEL FILMS PRODUCTION / APOLLO FILMS / C8 / JANINE FILM)

Si le cinéaste attaque frontalement les hommes politiques, la corruption et le poids de la religion qui pèse sur les citoyens, il laisse également une place à l’espoir, porté par une jeunesse engagée. Car bien que tourné au Maroc pour des raisons pratiques et politiques, Citoyen d’honneur se déroule pendant les manifestations du Hirak en Algérie, un mouvement populaire né contre la cinquième candidature d'Abdelaziz Bouteflika pour la présidence.

Dans "Citoyen d'honneur", l’étincelante Oulaya Amamra incarne la jeunesse engagée dans le mouvement algérien Hirak, né en protestation face à la cinquième candidature d'Abdelaziz Bouteflika. (LAID LAZID / AXEL FILMS PRODUCTION / APOLLO FILMS / C8 / JANINE FILMS)

Un engagement incarné par l’étincelante Oulaya Amamra qui incarne une rappeuse aux textes tranchés ou encore Brahim Bouhlel, un jeune réceptionniste dont la plume retiendra l’attention de Samir Amin. Citoyen d’honneur est une comédie dramatique touchante et sensible, qui offre une image fidèle et juste de la société algérienne dans toute sa complexité et sa richesse, élégamment rythmée par les notes d'Ibrahim Maalouf.

Affiche du film "Citoyen d'honneur", de Mohamed Hamidi, une adaptation du film argentin "El ciudadano ilustre" (APOLLO FILMS / ALLOCINE)

La fiche  

Genre : Comédie, Drame
Réalisateur : Mohamed Hamidi
Durée : 1h36
Distributeur : Apollo Films
Sortie : 14 septembre 2022

Synopsis : Samir Amin est un écrivain comblé, Prix Nobel de littérature, qui vit à Paris, loin de son pays natal, l'Algérie. Il refuse systématiquement toutes les invitations qui lui sont faites. Jusqu'au jour où il décide d'accepter d'être fait « Citoyen d'honneur » de Sidi Mimoun, la petite ville où il est né. Mais est-ce vraiment une bonne idée que de revoir les habitants de cette ville, qui sont devenus, d'année en année, les personnages de ses différents romans ?

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