"Black Stone", désespoir et rédemption dans une Corée à la dérive
La terre "gaste"
"Black Stone" met en miroir une Corée urbaine et rurale. La première est industrielle, régie par l'argent, violente ; la seconde est démunie, incontrôlable, polluée. Omniprésente est l'armée, dans laquelle chaque jeune citoyen doit faire ses classes et subir la promiscuité des soldats. Comme Shon Su, risée du régiment, qualifié de "métis", en fait d'origine coréenne, mais adopté par un couple de Chinois, immigré dans la péninsule. Abusé par un supérieur, Shon va être exclu, commet un crime, puis s'enfuit pour rejoindre ses parents. Ces derniers ont été comme lui mis au ban de leur usine. Repartis dans leur village d'origine au cœur de la jungle, leur sort n'est guère meilleur qu'en ville ; pauvres, installés au bord d'une mer mazoutée, la mort rôde autour d'eux. Mais l'innocence de Shon va peut être s'avérer une porte de sortie.Le film de Gyeong-Tae Roth ne va pas dans le sens du poil. Comme son titre aux consonances sombres l'indique, il distille un venin, un poison noir et poisseux comme le pétrole du navire coréen qui se déverse sur la plage. C'est lui qui teint les galets, les pierres, de ténèbres. L'usine agro-alimentaire où travaillaient les parents de Shong Su est jonchée de cadavres d'animaux, la caserne est enfumée par les tests anti-bactériologiques ; le patron de l'usine est insensible et corrompu et le lieutenant profite de son grade pour abuser sexuellement ses soldats. "Dark Stone" fait l'état des lieux d'une terre "gaste", comme l'on disait au moyen-âge pour désigner une terre malade, dont la gangrène rejaillissait sur les hommes.
Spiritualité et écologie
Gyeong-Tae Roth fait penser à Apichatpong Weerasethakul ("Oncle Boonmee", Palme d'or en 2010), dans sa formulation poétique d'une thématique spirituelle et écologique. Mais là où le Thaïlandais créé des images qui touchent au sublime, le Coréen fomente des plans sales, crasseux, graisseux, terreux, qui renvoient à une corruption généralisée. Le Japonais Hayao Miyazaki ("Princesse Mononoké") n'est pas loin non-plus, notamment lors d'une séquence d'animation qui voit s'élever les pierres noires sur la plage, pour s'arracher des forces telluriques, se laver de la souillure pétrolières, et rejoindre la pureté céleste.
Cette élévation physique est aussi spirituelle, comme dans "El Topo" (1970) d'Alejandro Jodorowsky, où un desperado devient un saint. Si "Black Stone" est imprégné en grande partie d'un fort désespoir, comme dans "A Touch of Sin" (2013) de Zhang-Ke Jia, à l'inverse de ce dernier, il traduit une montée vers la lumière. De ce tas de détritus sortira une fleur, de cette corruption s'élèvera une âme dit Gyeong-Tae Roth. Son film projette les épreuves et le parcours initiatique qui mènent à la transcendance, la transfiguration. Difficile et exigeant, pétri de poésie, "Black Stone" est moins noir qu'il n'y paraît.
LA FICHE
Drame de Gyeong-Tae Roh (Corée du Sud/France) - Avec : Tae-hee Won - Durée : 1h32 - Sortie: 27 juillet 2016
Interdi aux moins de 12 ans
Synopsis : Pendant que ses parents adoptifs se tuent à la tâche dans une usine agro-alimentaire de Séoul, Shon Sun est contraint d’effectuer son service militaire. Mais, victime de mauvais traitements, il est obligé de fuir l’armée. De retour à Séoul, il s’aperçoit que ses parents ont disparu. Bien décidé à les retrouver, il entame alors tout un périple à travers la jungle polluée, d’où est originaire son père…
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