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"Aristocrats", un film édifiant sur les archaïsmes persistants dans le Japon d'aujourd'hui

Avec ce troisième film, la réalisatrice japonaise Yukiko Sode nous plonge dans la bonne société tokyoïte, toujours attachée à des coutumes ancestrales. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'actrice japonaise Mugi Kadowaki, dans le rôle d'Hanako, "Aristocrats", de Yukiko Sode Yukiko Sode, 30 mars 2022 (Art House)

Troisième long-métrage de la Japonaise Yukiko Sode, Aristocrats nous plonge dans les arcanes feutrés de la bourgeoisie tokyoïte, qui continue à vivre selon des principes d'un autre âge. La réalisatrice dresse un portrait subtil du Japon, toujours marqué par de fortes disparités sociales et culturelles, entre les classes mais aussi entre la capitale et la province. Une société où la femme, quelle que soit son origine sociale et géographique, doit encore lutter pour son émancipation. En salle le 30 mars 2022.

Hanako, 27 ans, jeune et jolie, est née dans la bonne société tokyoïte. Sa famille est inquiète de la voir toujours célibataire à un âge considéré comme avancé en la matière dans son milieu bourgeois. Tout le monde se met donc en tête de lui faire rencontrer des hommes afin de la marier au plus vite. Mais Hanako, jeune femme timide, enchaîne les rendez-vous décevants, jusqu'au jour où une rencontre arrangée par son beau-frère finit par faire mouche. Elle tombe amoureuse au premier rendez-vous avec le charmant Koichiro. Très rapidement, le jeune homme, d'une plus haute extraction que la sienne, la demande en mariage.

"Aristocrats", de Yukiko Sode Yukiko Sode, 30 mars 2022 (Art House)

Parallèlement, on fait la connaissance de Miki. Elle aussi est jeune et jolie, mais elle a grandi en province dans une famille modeste et a dû pour des raisons économiques abandonner ses études pour lesquelles elle avait pourtant fait de nombreux sacrifices. Devenue hôtesse, elle vit à Tokyo et entretient une relation en pointillé avec un jeune homme qui n'est autre que … Koichiro.

Deux mondes

Yukiko Sode pose un regard aiguisé, mais tendre et ironique, sur la société japonaise d'aujourd'hui. A travers deux personnages de femmes, l'une tokyoïte, bien née, l'autre provinciale, d'un milieu plus modeste, la réalisatrice montre un visage du Japon marqué aujourd'hui encore par les traditions (et pas que chez les riches), avec des frontières étanches entre les deux mondes, avec des fractures sociales et culturelles très marquées et une propension à la reproduction sociale bien vivace. Une société dans laquelle la femme reste souvent encore cantonnée à un rôle d'épouse et de mère, au service des hommes.

Un monde où ni les femmes, ni les hommes ne s'épanouissent, enfermés dans un carcan et des injonctions qui sont souvent contraires à leurs aspirations profondes, comme Koichiro, un héritier qui n'a d'autre choix que de se marier avec une jeune fille "conforme" et d'entrer en politique, comme tous les hommes de la famille depuis des générations.

 

Un vent de liberté souffle pourtant sur cette histoire, portée par l'amie musicienne d'Hanako, imperméable aux injonctions de son milieu, et par l'amie de province de Miki, bien décidée à ne dépendre de personne. Les deux jeunes femmes ont fait le choix de la transgression et de l'indépendance, embarquant au passage Miki et Hanako sur le chemin de l'émancipation.

Chapitres

Aristocrats propose une belle palette de personnages féminins et masculins, principaux et secondaires, servis par l'interprétation subtile des comédiens. Adapté d'un roman, le film est découpé en chapitres et se déploie dans un rythme lent, qui fait place aux silences, aux non-dits, à la souffrance contenue, aux joies retenues, ou parfois lâchées ("Tu parles fort !", dit Miki à son amie heureuse de fêter dans un café leur nouvelle association professionnelle).

La mise en scène joue sur les contrastes pour appuyer le propos : lumière crue et grande profondeur de champs pour marquer une réalité brutale et terre à terre pour les uns, lumière tamisée, profondeur de champ réduite, comme dans une bulle, pour les autres. La caméra filme les lieux, les repas, les transports, très différents, selon le milieu dans lequel les personnages évoluent, jusqu'aux corps, que les traditions ont modelés pour mieux se plier aux convenances : pour les uns dos courbés, têtes et yeux baissés, rires retenus, et pour les autres des corps bruyants, relâchés voire négligés.

La caméra filme aussi une ville atteinte de gigantisme, en réalité découpée en quartiers comme des petits villages juxtaposés dans lesquels vivent en vase clos des sociétés attachées chacune à ses codes, à ses rites, étanches les unes aux autres. "Ton univers ressemble à ma campagne", dit Miki à Hanako tandis qu'elles regardent la ville depuis le balcon. Ce jour-là, quand Hanako quitte le modeste appartement de Miki, elle décide de traverser la ville à pied, ouvrant ainsi la porte de son univers clos, et symboliquement une brèche dans un système bien verrouillé.

Affiche du film "Aristocrats", de Yukiko Sode Yukiko Sode, 30 mars 2022 (Art House)

La fiche

Genre : drame
Réalisatrice : Yukiko Sode, adapté d'un roman de Mariko Yamauchi
Acteurs : Mugi Kadowaki, Kiko Mizuhara
Durée : 2h05
Pays : Japon
Sortie : 30 mars 2022
Distributeur : Art House
Synopsis : A presque 30 ans, Hanako est toujours célibataire, ce qui déplait à sa famille, riche et traditionnelle. Quand elle croit avoir enfin trouvé l’homme de sa vie, elle réalise qu’il entretient déjà une relation ambiguë avec Miki, une hôtesse récemment installée à Tokyo pour ses études. Malgré le monde qui les sépare, les deux femmes vont devoir faire connaissance.

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