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"Aquarius" : Kleber Mendonça Filho exhume les maux du Brésil

Pour son deuxième long métrage, Kleber Mendonça Filho nous propose, à travers le portrait d’une femme à la soixantaine bien sonnée, une critique acerbe de la société brésilienne. Un film porté par la prestation saisissante de son actrice, Sônia Braga.
Article rédigé par franceinfo - Boris Courret
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Sônia Braga dans "Aquarius"

Et si, là-bas, rien n’avait changé ? Si les maux d’hier minaient encore la société brésilienne d’aujourd’hui ? Si la patine du temps ne marquait que les corps, les visages et pas grand-chose d’autres ? C’est en tout cas ce que l’on pourrait se dire en sortant de la projection du film de Kleber Mendonça Filho.
 
Nous sommes en 1981. La nuit est tombée depuis longtemps déjà. Une voiture s’amuse à tourner en rond sur une plage de Recife. À l’intérieur, ses occupants, sont hilares. Parmi eux, il y a Clara. Peau mate, cheveux ras, sourire large et mélancolie dans le regard. Elle est belle. Rayonnante. Vivante. Elle vient de se remettre d’un cancer du sein et s’apprête à profiter d’une fête organisée pour l’anniversaire d’une grande tante, dans l’appartement familial.
 

Réminiscence

C’est dans ce même appartement, empli de vieux vinyles, réminiscence du temps où elle était critique musicale, que nous la retrouvons. Un appartement, faisant face à cette plage de Recife, dans un petit immeuble répondant au nom d’Aquarius, où elle a grandi, où ses enfants aussi ont grandi. Et qu’elle n’est prête à céder pour rien au monde. La caméra se centre sur elle, perpétuellement, à la faveur de longs plans séquences fixes, plus sublimes les uns que les autres.
  (SBS)

Clara a vieilli. Le cancer qu’elle a connu meurtrit encore sa poitrine, comme le montre une image fugace, marque que la comédienne a elle aussi connu cette épreuve. Mais elle est restée belle. Le visage relevé et la tête emplie de souvenirs du passé. Car Clara est maintenant un peu seule. Ses grands enfants lui rendent visite, quelque fois. Trop rarement se dit-elle certainement. Quant à l’immeuble, il est désert. Tous ses voisins ont accepté de vendre leur appartement à un riche prometteur immobilier. Pas elle. Droite, fière, elle est bien décidée à ne pas céder face au harcèlement, voir à l’intimidation de ce dernier.
 

Classe moyenne

Dans "Les Bruits de Recife", sa première réalisation aux faux-airs de documentaire, Kleber Mendonça Filho, ancien journaliste et critique cinéma, nous proposait une radiographie touchante d’un quartier de la classe moyenne de la ville, à travers le regard de plusieurs de ses habitants. C’est à cette même classe moyenne que le cinéaste, qui rappelle souvent "n’avoir aucune expérience de vie dans la favela", s’attaque.

L’occasion d’un nouveau drame social, encore très éloigné des stéréotypes sur le Brésil. Mais cette fois, il le fait à partir de l’unique personnage de Clara, interprété par une Sônia Braga saisissante. La comédienne à la beauté ravageuse du "Dona Flor et ses deux maris" de Bruno Barreto réalisé en 1976, passé à la postérité au Brésil.

 
 

Zones d’ombre

40 ans plus tard, elle n’a rien perdu des ses désirs. N’hésitant pas, sur conseil d’une amie, à faire appel à un gigolo. Une femme faisant preuve aussi d’un certain égoïsme, surtout vis-à-vis de tous ses voisins, qui ne peuvent pas toucher l’argent de la vente de leur appartement tant qu’elle garde le sien.
 
Le portrait de cette femme n’est pas que complaisant. Encore moins celui du Brésil. Pays de la domination d’une certaine partie de la population sur une autre. Pays où la situation sociale dépend encore de la teinte de la peau. Constat implacable que n’hésite pas à rappeler à Clara, le promoteur immobilier, blanc.
 
On aurait toutefois aimé que le réalisateur souligne un peu plus ses intentions, ses critiques. Dans ce film à la lisière de l’impressionnisme, où les réflexions sont distillées un peu trop rarement et pas assez franchement, trop de zones d’ombre subsistent malheureusement.



LA FICHE

Drame de Kleber Mendonça Filho - Avec Sonia Braga, Humberto Carrão et Irandhir Santos. Durée : 2h20.
Sortie le 28 septembre 2016.
Synopsis : Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife, au Brésil. Elle vit dans un immeuble singulier, l'Aquarius construit dans les années 40, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l’océan. Un important promoteur a racheté tous les appartements mais elle, se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, son passé, ceux qu’elle aime.

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