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Après Renoir et Buñuel, Benoît Jacquot ouvre le "Journal d'une femme de chambre"
Adapté du roman éponyme d’Octave Mirbeau publié en 1900, "Journal d’une femme de chambre" de Benoît Jacquot fait suite à deux films majeurs, la version de Jean Renoir en 1948, avec Paulette Godard, et celle de Juan Buñuel de 1964, avec Jeanne Moreau. Cette nouvelle version ne démérite pas par rapport à ces prestigieux prédécesseurs, avec Léa Seydoux et Vincent Lindon.
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La note Culturebox
3 / 5 ★★★☆☆
3 / 5 ★★★☆☆
De Bénoît Jacquot (France), avec : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Clotilde Mollet, Hervé Pierre, Mélodie Valemberg, Patrick d'Assumçao, Vincent Lacoste, Joséphine Derenne - 1h35 - Sortie : 1er avril 2015
Synopsis : Début du XXe siècle, en Normandie. Très courtisée pour sa beauté, Célestine est une jeune femme de chambre nouvellement arrivée de Paris au service de la famille Lanlaire. Repoussant les avances de Monsieur, Célestine doit également faire face à la très stricte Madame Lanlaire qui régit la maison d’une main de fer. Elle y fait la rencontre de Joseph, l’énigmatique jardinier de la propriété, pour lequel elle éprouve une véritable fascination. Soumission
Si un des réalisateurs français les plus doués s’attaque à une nouvelle version du "Journal d’une femme de chambre", c’est qu’il estime le roman de Mirbeau en phase avec notre époque. Il le resitue dans son contexte d’origine, à la charnière des XIXe et XXe siècles sur fond d’affaire Dreyfus, et le contextualise très fortement dans une thématique de classes. Passionné par les rapports de soumission, plus ou moins consentis ("Dans les bois", "Les Adieux à la reine"), il creuse encore ce domaine d’une manière nouvelle en se fondant sur un classique.
Jean Renoir et Juan Buñuel dérivaient assez librement du texte originel, changeant les époques et parfois (Renoir) les motivations de Célestine, la femme de chambre. Benoît Jacquot revient à la source, en respectant l’époque et en étant plus fidèle au texte, écrit par un anarchiste anti 3e République et dreyfusard. Il n’en prend pas moins des libertés, inhérentes à l’adaptation pour resserrer l’action, le roman comprenant de nombreux flash-backs, et donnant plus d’importance au récit à la première personne par la voix off de Célestine/Léa Seydoux. Elle est également plus impliquée dans le larcin final que dans le roman. Rebelle
Le résultat convainc dans l’ensemble, avec sa sobre mais belle reconstitution historique, l’importance du thème dreyfusard, les rapports maîtres-serviteurs, la sexualité asservissante, l’aspiration à changer de classe, faisant de Célestine une rebelle… Toutefois, quelques flottements demeurent dans la narration, notamment dans l’intervention des trois retours en arrière du film, mal articulés, même s’ils sont plaisants : l’épisode comique du passage des douanes, celui du jeune tuberculeux, et la mère maquerelle qui tente d’embaucher Célestine. L'épisode du crime de l'enfant dans les bois vient également un peu comme un cheveu sur la soupe... Pas creusé, sans répercussions fécondes dans le récit. Le mérite majeur de Benoît Jacquot est de revenir au texte et l’accent mis sur sa contemporanéité avec des situations présentes. On sent toutefois un peu de précipitation dans la réalisation qui aurait gagné à être plus affinée dans la construction narrative, notamment le montage. Buñuel situait sa version dans les années 30, transposant le thème dreyfusard dans le contexte franquiste de l’époque qui le préoccupait en 1964. Jacquot garde ce sujet sous-jacent car il est d’actualité, avec les relents antisémites et autres d'aujourd'hui, tout comme le décrochage d’une frange de la population dans la délinquance, autre thème au cœur du "Journal d’une femme de chambre". Comme quoi une troisième version de Mirbeau n’est pas de trop.
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