"A Girl Walks Home Alone at Night" : vampire à l'iranienne
4 / 5 ★★★★☆
De Ana Lily Amirpour (Etats-Unis/Iran), avec : Sheila Vand, Arash Marandi, Marshall Manesh - 1h44 - Sortie : 14 janvier 2015
Synopsis : Dans la ville étrange de Bad City, lieu de tous les vices où suintent la mort et la solitude, les habitants n’imaginent pas qu’un vampire les surveille. Mais quand l’amour entre en jeu, la passion rouge sang éclate…
Film militant
Premier long-métrage d’Ana Lily Amirpour, "A Girl Walks Home Alone at Night", fut présenté au Festival de Sundance et celui de Deauville en compétition, faisant forte impression des deux côtés de l’Atlantique, et remportant le Prix de la Révélation Cartier dans la sation normande. La jeune réalisatrice, d'origine iranienne, a vécu son enfance en Grande-Bretagne, puis à immigré à Miami avec ses parents. Nourrie au cinéma fantastique par son père, elle réalise son premier film à l’âge de 12 ans, un court-métrage d’horreur, avant bien d’autres, qui se déroule lors d'une pyjama-party… Elle est également musicienne de rock, DJ, très versée dans la musique, ce qui se ressent dans son film. Ana Lily Amirpour n’est décidément pas comme les autres. Son film non plus.
Comment cette improbable coproduction américano-iranienne a-t-elle pu voir le jour ? Son sujet, ses thèmes sous-jacents, sont très sulfureux pour la République islamique de Téhéran. Le film est réalisé par une femme et traite en abîme de la condition féminine dans le pays des ayatollahs, sous une métaphore vampirique. La drogue y est également un thème majeur, tout comme les violences faites aux femmes, psychologiques et physiques, ainsi que la musique, interdite pendant des lustres en Iran. "La fille qui rentre seule chez elle la nuit", pour traduire le titre du film, est anonyme. Elle est donc toutes les femmes. Toutes ? Non, c’est une vampire et elle ne s’attaque qu’aux hommes. Hommes dont le machisme est pointé sans détours. Elle seule peut sortir la nuit non accompagnée, ce que réprouve la morale islamique (même de jour). Jusqu’à sa rencontre avec Arash qui va tout changer.
Expressionnisme
L’anonymat et la violence de la femme vampire renvoient à une revendication de la part des iraniennes. Solitaire, elle est à l’image du cow-boy vengeur des westerns italiens, la référence étant soulignée par l’usage d’une musique d’Ennio Morricone. Ce qui donne à ce film iconoclaste des allures de vampire spaghetti hors norme, allant dans le sens d’un Tarantino. L’usage de la musique n’est pas sans rappeler ce dernier d’ailleurs, ou Sofia Coppola ; par citations interposées, avec pour fonction de dynamiser une émotion, un état d’âme, une énergie, immédiatement perceptible. Ana Lily Amirpour passe de la pop au rock, la techno, la musique de films... La musique ne souligne pas l’action, elle y participe.
Les choix de mise en scène sont radicaux et élégants, ou drôle : un magnifique scope noir et blanc très contrasté, expressionniste, cite "Nosferatu" de Murnau sans ostentation, voire le Mario Bava du "Masque du démon", ou renvoie aux romans graphiques. La cinéaste pense d'ailleurs prolonger son film sous cette forme en six tomes ! Le tchador ouvert sur le devant, que revêt la vampire voilée, équivaut à la fameuse cape des grands nocturnes, avec un humour à la Monty-Python.
Le rythme est lent, comme dans le récent "Only Lovers Left Alive" de Jim Jarmush, car les vampires ont tout leur temps. Même si "les morts vont vite", comme l'a écrit Gottfried August Bürger dans son poème "Lénore", quand ils tuent. La cinéaste situe ses scènes dans des rues désertes, majoritairement la nuit, et des zones industrielles où prévalent une raffinerie et des forages pétroliers, première source économique en Iran.
Très sombre sur bien des aspects, "A Girl Walks Home Alone at Night" se finit bien, ce n’est pas grand secret de le dévoiler. Ce qui apparente le film non pas à l’immoralité, que d’aucuns lui reprocheront, pas même à l’amoralité, mais à la quête d'une moralité sociétale entre hommes et femmes.
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