Retour sur le Festival de Cannes : et la musique de films dans tout ça ?
Playlist
Le prix Cannes Soundtrack est revenu cette année à "Leto" (L'Eté) du dissident russe Kirill Srebrennikov, dont la musique a été supervisée par Roma Zver, leader du groupe Zveri (Les Animaux), pour ce film consacré à la naissance des groupes rock dans les années 80 à Leningrad, dans ce qui était encore l'URSS. Aussi ne s’agit-il pas à proprement parler d’une musique originale (bande originale de film, B. O. F.), mais d’un "mix" de morceaux allant des Beatles à Talking Head, en passant par les compositions des formations rock russes de l’époque.Les choix musicaux recoupent les groupes qu’écoutaient les musiciens fondateurs de la scène rock naissante aux prémices de la Perestroïka, notamment T. Rex (Marc Bolan), David Bowie, Lou Reed, puis Sex Pistols et Talking Head. Ces choix s’avèrent des plus judicieux, tout en participant d’un sujet original et d’une mise en scène inventive. Ils témoignent de ce qu’écoutait la jeunesse soviétique à l’aube des années 80, avec 10 ans de retard par rapport aux occidentaux, progressivement rattrapés avec l’ouverture de plus en plus souple à l’Ouest.
La composition d’une "playlist" pour un film ne date pas d’hier. Stanley Kubrick en est l'initiateur en retenant en 1968 des compositions classiques et contemporaines préexistantes, allant de Richard Strauss à Ligeti pour "2001 : l’Odyssée de l’espace". La musique populaire prendra le relais et Martin Scorsese suivi par Quentin Tarantino se feront les chantres d’une telle approche, notamment pour ancrer leurs films dans les époques évoquées, ou transmettre les goûts musicaux de leurs protagonistes, pour suggérer leur personnalité.
Une sélection cannoise musicalement pauvre
Sur les 21 films en compétition officielle, seuls quatre avaient une composition musicale véritablement écrite pour le film : "Les Filles du soleil" (Morgan Kibby), "BlacKKKlansman" (Terence Blanchard), "En Guerre" (Bertrand Blessing) et "Under the Silver Lake" (David Robert Mitchell).La pauvreté est davantage une question de quantité que de qualité. Les quatre musiques citées s'avèrent intéressantes et bien exploitées (même si la musique d’"Under the Silver Lake" est un peu envahissante).
Pour tous les autres films, soit ils brillaient par leur absence total de musique, ce qui constitue un choix de mise en scène des plus défendables, soit ils faisaient appel à une "playlist", comme "Leto" ou à un seul leitmotiv, comme dans "Le Poirier sauvage", inspiré (sauf erreur) de l’"Ave Maria" de Gounod dans une interprétation pour orchestre : quelle originalité !
Cette tendance très symptomatique de la sélection cannoise reflète la problématique que constitue la place de la musique dans le film. Les cinéastes n’hésitent pas à confier que leurs rapports avec les compositeurs constituent un véritable enjeu, souvent difficile à gérer. Les conflits entre eux ne sont pas rares dans l’histoire du cinéma. Mais ils peuvent aussi former de fructueux tandems : Federico Fellini/Nino Rota, Sergio Leone/Ennio Moriconne, Steven Spielberg/John Williams ou Alfred Hitchcock/Bernard Hermann (même si leurs échanges furent véhéments jusqu’à la rupture après six collaborations), pour ne citer que les plus célèbres.
La musique de films écoutée par Les Inrockuptibles
Les Inrockuptibles viennent de publier un numéro hors-série consacré à "L’Histoire des musiques de films", où sont justement évoqués les rapports entre musiciens et cinéastes, musique et cinéma, films et choix musicaux. Toute la palette des approches sont abordées (musiques originales, playlists, orchestrations symphoniques, rock, électronique, Funk, Hip-Hop…).
Il en ressort une interaction intime entre l’image et la musique. Nombre de réalisateurs, comme Martin Scorsese, Quentin Tarantino ou Wong Kar-Wai confient n’avoir aucune vision de leur film avant d’en avoir une conception musicale.
Ce numéro hors-série exceptionnel aborde la musique de films dans tous ses états, sur le plan chronologique et des genres. Des interviews rares, de John Barry (identifié aux musiques des James Bond), Lalo Schifrin ("Mission : Impossible", "Bullitt"), Antoine Duhamel (Godard, Truffaut…), jusqu’au désormais incontournable Alexandre Desplat ("Harry Potter", "La Forme de l'eau"), émaillent les pages.
Des études sur Ennio Morricone, Georges Délerue, les discrets Eric Dermasan ("L’Armée des ombres") et Michel Colombier, le duo Jacques Demy-Michel Legrand, le cas Kubrick, les compositeurs italiens, la blackspoitation, Tarantino, Scorsese... permettent d’approfondir un sujet rarement abordé dans la grande presse. Seul regret : rien sur l'immense compositeur Jerry Goldschmith ("La Planète des singes" - 1967, "Alien", "Basic Instinct"...). Un Hors-série néanmoins fécond et passionnant.
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