Reportage Fermeture de l'UGC Normandie sur les Champs-Elysées à Paris : l'heure de la dernière séance

Le mythique cinéma parisien de l'Avenue des Champs-Elysées ferme définitivement ses portes le 13 juin, après une dernière séance de cinéma la veille qui a ému nombre de ceux présents à la projection de "La La Land" de Damien Chazelle.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
La façade de l'UGC Normandie, à Paris, le 12 juin 2024. (FG/FRANCEINFO)

Louis, 16 ans, était là. En dépit de sa jambe cassée au foot et de ses deux béquilles, l'adolescent est venu assister mercredi 12 juin 2024, à la dernière séance ciné de l'UGC Normandie, salle de cinéma nonagénaire située sur la prestigieuse avenue des Champs-Elysées, à Paris. L'adolescent est venu voir La La Land de Damien Chazelle avec Ryan Gosling et Emma Stone, un film qu'il "adore".

"C'est la dernière séance d'un cinéma, un endroit mythique. Personnellement, je ne l'ai pas tant vécu. Mais mes parents m'ont raconté l'histoire de cet endroit. (Ils) ont vécu plein de moments ici. Nous sommes venus plusieurs fois ensemble. C'est plein de souvenirs", confie l'adolescent à Franceinfo Culture à la sortie d'une séance dont la fin était prévue pour 22h45. Pourtant, beaucoup de ceux qui y ont assisté sont restés encore quelques minutes devant la salle, le regard vague et nostalgique. Certains en ont profité pour prendre la pose, histoire de graver le moment sur une pellicule.

Vague à l'âme

L'UGC Normandie, qui a offert aux spectateurs de cette séance "un petit concert" de piano avant le lancement du film et "un petit clip de fin", a continué à interagir avec ses clients par écran à l'extérieur. Le générique de l'opération d'adieu de la salle, "Merci UGC : 1 mois pour 50 ans d'histoire", a ainsi défilé. Depuis le 1er mai, dans le cadre de cette programmation spéciale, le cinéma a présenté des grands chefs-d’œuvre du 7e art tous les soirs à 20h ainsi qu'une sélection dédiée aux enfants.

Sous le mot dièse #MerciUGC Normandie, nombreux sont ceux qui ont exprimé leur attachement à la salle de cinéma. Ils ont eu un mois et demi pour lui faire leurs adieux, une période pendant laquelle ils ont pu voir ou revoir Toy Story, Rocky, Barry Lindon, Casino, Laurence d'Arabie. Des oeuvres uniques et puis des sagas, les Harry Potter, la série des Matrix ainsi que celle du Parrain ou encore les films du récemment oscarisé Christopher Nolan – les Batman ainsi qu'Inception et Insterstellar. Cette période d'adieu est "normale", estime Erwan, 22 ans, qui a assisté à la projection de mercredi 12 juin. 

"C'est important, en plus le cinéma va de moins en moins bien. Si on peut le célébrer en grande pompe..."

Erwan

Franceinfo Culture

Comme nombre de ceux croisés à la sortie de la projection, il a trouvé judicieux le choix du long métrage de Damien Chazelle, pour lequel le cinéaste a décroché l'Oscar du meilleur réalisateur en 2017. "C'est un cinéma emblématique. Finir avec La La Land, qui est l'un des plus beaux films du monde, c'est quelque chose", affirme Erwan. "La la land pour la dernière, c'était le film qu'il fallait. Standing ovation pendant 10 minutes. C'était bien", confirme Eric, 50 ans, un autre habitué de la salle qui évolue dans l'industrie du cinéma. Des retours satisfaisants pour la direction de la salle. "Le principal, c'est de faire de cette fermeture un moment inoubliable et d'optimisme parce que le cinéma ne s'arrête pas ce soir", a confié à l'AFP Romain Domec, directeur du cinéma l'UGC Normandie. D'où le choix de ce "film joyeux".

De la joie, mais pas assez pour faire disparaître totalement le blues ambiant. "Ça fait mal au cœur", réagissait mercredi une spectatrice de 59 ans qui connaît bien la salle. Tristesse aussi pour Maria 23 ans, "d'origine russe", et ses amis : Noël, 25 ans, Suédois et Lauren, une Américaine de 25 ans. Tous trois vivent à Paris depuis trois ans et travaillent ensemble. "C'est 'notre' cinéma, explique Maria. Nous venions ici très souvent, presque chaque week-end." Ils en trouveront bien évidemment un autre après la fermeture, mais Noël souligne qu'ils pouvaient venir à pied regarder un film dans un lieu toujours ouvert.

"Notre cinéma" 

"Il n'y avait pas besoin de planifier les choses, poursuit-il. Il suffisait de marcher pour venir ici. Nous ne pourrons plus le faire et cela me rend vraiment triste. Si le jeune homme "croit comprendre" les raisons de cette décision, ce n'est pas pour autant que la pilule passe mieux.

"Les Champs-Elysées devraient être un lieu de culture, pas juste un endroit dédié au shopping. Quand je suis venu ici pour la première fois, enfant, il y avait plein de cinémas ici. Maintenant, après la fermeture de celui-ci, il n'en restera qu'un [le Publicis Cinema]". Lauren n'en pense pas moins. 

"Ce que j'apprécie en France, c'est qu'il y a toujours une attention particulière à la culture, à la façon de la rendre accessible à tous. Pour moi, [cette décision] n'a donc pas de sens".

Lauren

Franceinfo Culture

C'est en avril dernier que le groupe UGC a annoncé la fermeture du Normandie "après 90 années d'existence dont cinquante sous la bannière UGC", rappelait l'AFP. En cause, "la chute de la fréquentation" des cinémas sur les Champs-Elysées qui serait due "principalement à l'évolution touristique et événementielle" de la célèbre avenue.

Le phénomène aurait à son tour provoqué "une augmentation des loyers". "L'UGC Normandie occupe une place centrale dans l'histoire d'UGC et du cinéma en France et dans le monde", avait indiqué Samuel Loiseau, directeur général des opérations cinémas UGC, dans le communiqué annonçant la disparition de la salle. L'information n'a pas affecté que les spectateurs.

Un écran de l'UGC Normandie le 28 mai 2024, avant la projection du classique de Claude Lelouch, "Un homme et une femme", à Paris. (FG/FRANCEINFO)

Les dernières séances programmées dans le cinéma ont été précédées d'une intervention de l'équipe du film. Ainsi le 28 mai, avant Un homme et une femme, le public a pu partager l'émotion de Claude Lelouch. "Je suis à la fois très heureux ce soir parce que vous êtes nombreux pour voir ce film, qui a bientôt 60 ans, et je suis très triste parce que cette salle de cinéma, qui est l'une des plus belles salles de Paris, va disparaître. Je suis doublement triste parce (qu'elle) a le même âge que moi. Elle a été conçue en 1937, comme moi. Et donc, j'ai un peu le sentiment de mourir un petit peu avec cette salle", a déclaré le cinéaste chaleureusement applaudi à la fin de sa phrase. Souhaitant poursuivre sur une note plus gaie, le réalisateur français a annoncé la date de sortie de son 51e long métrage : le 13 novembre. Un film que l'on ne verrait "pas dans cette salle" mais dans toutes les autres en France. 

Au générique de "l'un des derniers films" de Lelouch, Kad Merad, Elsa Zylberstein, Françoise Fabian ou encore Barbara Pravi. Un casting "fantastique"pour un film qui, selon son auteur, a des points communs avec Un Homme et une femme. "C'est aussi un film très musical, a précisé Claude Lelouch en insistant sur l'importance de la musique pour lui. "J'ai le sentiment qu'elle parle à notre part d'irrationnel, un peu plus que le scénario", a-t-il expliqué. Il y a du divin dans la musique". "Le cinéma, a poursuivi Lelouch, est le plus bel endroit au monde pour rêver" dans "un monde très compliqué". Le rêve, pour le cinéaste, étant le moyen de "supporter l'insupportable""Allez souvent au cinéma ! ", a encore conseillé le cinéaste.

Il va peut-être "ressusciter" 

Conseil suivi par ceux qui sont (re)venus voir, en avant-première la version restaurée des 7 Samouraïs, le film du Japonais Akira Kurosawa, présenté à Cannes Classics et qui sort en salles le 3 juillet prochain. Outre la joie de (re)voir cette épique aventure de paysans arrivant à convaincre des guerriers de les protéger de bandits de grands chemins, ce fut l'occasion de (re)découvrir un entracte.

Une pause, aujourd'hui surannée, qui devrait peut-être revenir à la mode quand on songe à la longueur des films proposés actuellement dans les salles obscures (3h37 pour Les 7 Samouraïs). Avec la projection de ce film de Kurosawa en noir et blanc et dans ces conditions les spectateurs avaient déjà ressenti une pointe de nostalgie, portée à son paroxysme à la dernière séance. Mais Eric, 50 ans, se veut optimiste. "C'est la vie, dit-il. Mais c'est quand même un monument qui meurt. On vit, on meurt. Et puis peut-être qu'(il) va ressusciter."  

Un opéra, Carmen, sera encore diffusé dans la soirée du jeudi 13 juin. Quelques heures après la vente aux enchères des fauteuils mythiques de la salle, des lettres de l’enseigne actuelle de l’UGC Normandie ainsi que les photos d’acteurs et réalisateurs. Les bénéfices seront reversés à l'association Rêve de cinéma, avait indiqué un communiqué du groupe UGC. 

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