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Rencontre avec Hervé Bougon, directeur artistique du festival Close-Up consacré aux rapports entre cinéma, ville, architecture et paysage

Le festival Close-Up se déroule dans toute l'Ile-de-France du mardi 10 au mardi 17 octobre, avec plus de 50 films au programme, des avant-premières, rencontres et autres tables rondes.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
Hervé Bougon, co-créateur et directeur artistique du festival Close-Up, cinéma, ville, architecture et paysage, octobre 2023. (JACKY BORNET)

La troisième édition du festival Close-Up consacré comme chaque année aux rapports entre le cinéma, la ville, l'architecture et le paysage, se tient dans 22 lieux d'Ile-de-France du 10 au 17 octobre. Nous avons rencontré son co-créateur et directeur artistique Hervé Bougon pour qui "le sujet traverse par excellence tout le cinéma".

Franceinfo Culture : D’où vient l’idée d’un festival de cinéma autour de la ville, l’architecture et le paysage ? 

Hervé Bougon : Un de mes meilleurs amis est urbaniste et je suis de mon côté cinéphile depuis longtemps maintenant. Ce festival est né d’une discussion de comptoir que nous avons eue sur les rapports entre ville et cinéma autour de grands réalisateurs comme Antonioni, qui a une formation d'architecte, par exemple, et qui mettent la ville au cœur de leurs films. Et nous avons dressé le constat qu’il n’y avait pas grand-chose autour de ce thème. En réfléchissant sur cette matière, en se remémorant des films et comment en tirer des thèmes directeurs, nous avons décidé de monter ce festival. Nous avons commencé petit, à Nantes, et en prenant de l'importance nous sommes devenus Close-Up qui a maintenant trois ans d’existence et plus d’ambition. Le cinéma et la ville sont liés depuis la fin du XIXe siècle, quatre-vingt pour cent des films se déroulent dans l’espace urbain, et le cinéma pose la question du mouvement dans l’espace, ou de la vitesse qui l'imprègnent… Cette idée de festival s’est imposée comme une évidence. C’est presque le sujet qui traverse par excellence tout le cinéma.

Pourquoi l’appellation Close-up pour le festival ?

Il y a plusieurs raisons. Close-Up signifie gros plan en anglais. Le festival est pour nous un zoom, une focalisation sur le sujet. L’idée est de décrypter la ville, l’espace urbain, l’architecture urbaine, et son esthétique au cinéma. Nous avons décidé de zoomer sur ce sujet, de se focaliser par le prisme du cinéma dessus, qu’il soit fictionnel ou documentaire. C’est aussi un hommage à Abbas Kiarostami, en reprenant le titre de son film Close-up. Cinéaste iranien, il donne bonne place dans ses films aux paysages et à la ville. Même si c’est un anglicisme, "Close-Up", c’est court, ça sonne bien et le mot est intéressant d’un point de vue graphique.

L'affiche du 3e Festival Close-Up, octobre 2023. (CLOSE-UP)

Une des originalités du festival est de se dérouler dans toute l’Île de France. Qu'est-ce qui a motivé ce choix ?

L’idée du festival étant de se focaliser sur la ville, le paysage et les territoires, on ne voyait pas comment se cantonner à un festival situé dans le quartier latin, à Paris. Le fait de s’étendre, d’élargir le champ d’implantation et de diffusion s’est avéré plus logique. Ensuite, nous avons des partenaires comme la Métropole du Grand Paris et la Région Ile-de-France qui ont un intérêt à ce que l’on aille explorer leur territoire. Enfin, même si le festival est international, il y a chaque année un focus qui consiste à interroger notre territoire de proximité, c’est-à-dire Paris, le Grand Paris et plus largement la Région Ile-de-France. Cette année Close-Up est réparti sur 22 lieux, 22 salles de cinéma dispersées sur l’ensemble des départements de la petite couronne, voire un peu plus loin, puisque cette année Cergy-Pontoise nous a rejoints. Mais l’idée de fond est d’avoir un maillage assez important, dynamique et mouvant, avec des sociologies différentes, des publics, des salles et des professionnels qui ont aussi différentes méthodes de travail. On essaye de répartir la programmation dans tous ces lieux, en se posant la question de la nature du Grand Paris, à quoi va-t-il ressembler dans dix, vingt, trente, quarante ans ? Des cinéastes se posent ces questions. Je pense à Martin Jovat qui a réalisé Grand Paris l’an dernier par exemple. Mais au cœur de Close-Up, il y a toujours un focus sur les imaginaires du Grand Paris. 

Quels sont les temps forts de cette troisième édition ?

Le programme est très dense. D’abord notre film d’ouverture mardi soir avec en avant-première le nouveau film de Wim Wenders, Perfect Days, une balade contemplative, fascinante dans Tokyo, parfait en ouverture. Wim Wenders, qui par le passé a été un grand cinéaste de la ville, puis l’a abandonnée, y revient aujourd’hui avec un film hyperurbain qui se déroule à Tokyo, où il développe une tendresse et une bienveillance pour son personnage et cette ville qu’il aime beaucoup, et où il avait déjà réalisé un film (Tokyo-Ga). Nous avons aussi l’avant-première du film de Ladg Ly Bâtiment 5. Émilie Deleuze vient avec son dernier film 5 hectares avec Lambert Wilson et Marina Ants qui se passe dans le Limousin et qui pose la question des néoruraux. Nous avons comme invité le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho, qui était juré à Cannes il y a quelques années, réalisateur des Bruits de récife, ou Aquarius. Il présentera son dernier film Portraits fantômes, qui était en séance spéciale à Cannes. C’est un formidable documentaire sur son cinéma, son rapport à la ville, très lié à l’architecture, très riche, intelligent, très bien écrit, et assez fascinant. Une nouveauté cette année, nous avons une exposition photo d’un photographe chilien sur un squat de São Paulo. Il y aura aussi des ciné-conférences avec des intellectuels, des universitaires, ou des architectes urbanistes, avec comme sujet par exemple la place des animaux dans la ville, y compris dans la science-fiction. Nous allons travailler sur la question des sous-sols dans les imaginaires du cinéma. Il y aura deux journalistes qui aborderont la question de la géographie, du décor et de l’espace au cinéma. Nous aurons aussi la présence de Thierry Jousse qui fera une ciné conférence musicale sur la question de la ville au cinéma avec un DJ, Jean-Yves Le Loup, qui mixera en live de la musique à la Maison de l’Architecture, rue des Récollets à Paris, suivi d’une soirée festive. Il y aura beaucoup d’activité pour le jeune public, avec des ciné-concerts burlesques entre autres.

Sur quels critères concevez-vous la programmation ?

Un de nos objectifs majeurs est de s’adresser à tous les publics. On ne veut pas que cela soit un festival ultra-pointu, exigeant, réservé aux architectes, urbanistes, aux gens de la "fabrique urbaine". Nos critères, sont d’abord la diversité, avec des propositions différentes, raison pour laquelle nous puisons autant dans la fiction que dans le documentaire, la réalité virtuelle, le court-métrage, même s’il est encore discret, les films d’animation… bref tous les formats, toutes les durées. Nous tenons aussi à faire le grand écart entre les genres. On peut retenir une grosse production de science-fiction, un polar urbain, comme avec Michael Mann il y a deux ans, jusqu’à des documentaires sur des sujets très pointus, voire exigeants et destinés à un public plus directement concerné, sensible et intéressé par les questions urbaines. Tous les formats sont acceptés. On vise aussi la nouveauté, des films récents, avec une quinzaine d'avant-premières cette année. D’autre part, notre exigence porte particulièrement sur l’architecture pour laquelle nous faisons un peu plus de recherches, avec comme angle le décryptage de ce que signifie filmer la ville, l’architecture, un bâtiment... Notre approche concerne l’architecture d’aujourd’hui, de demain, l’architecture durable, les transformations de nos villes. Nous mettons en perspective des questions liées à des grands projets architecturaux, au choix à effectuer entre des architectes stars ou plus modestes, avec des réalisations à plus petite échelle. Nous abordons une foule d’enjeux hyperimportants, liés aux questions environnementales, écologiques et climatiques. Il y a beaucoup de films sur ces sujets, certains confidentiels, d’autres moins. Nous avons également des partenariats avec des écoles d’architecture. Les professeurs et étudiants sont demandeurs de films, de propositions, de regards, parfois un peu technique, pour accompagner leur processus pédagogique. L’image, le cinéma, dans ce domaine et tant d’autres, c’est très important.

Percevez-vous des constances dans les films que vous avez sélectionnés cette année ou précédemment ?

Je suis très impressionné par le nombre de films qui concernent la ville au-delà de la prendre seulement pour cadre. Des constances émergent dans la quantité de plus en plus importante de films, notamment documentaires, qui interrogent les enjeux de la ville par rapport au climat. Ils proviennent de cinéastes mais d’architectes aussi qui s’essayent à la caméra. Parfois les deux forment un duo pour interroger ces questions d’architecture durable, de paysage, ou liées à notre rapport à la nature. Le festival est très axé sur cette question cette année, avec une section "Paysages en mutation". Ainsi abordons-nous le rapport ville-campagne et notre rapport au vivant, au paysage, à notre capacité à l’admirer, mais aussi à le détruire, à l’abîmer. De plus en plus de films se posent ces questions, avec pour certains une certaine inquiétude, voire un engagement sur notre nécessité absolue à changer la donne. Par contre il y a aussi beaucoup des cinéastes qui utilisent la ville comme simple terrain de jeu. Mais les principales problématiques émergentes sont l’environnement et cette capacité à apporter des changements importants pour penser et concevoir les villes de demain.

Décelez-vous des problématiques urbaines ou environnementales nouvelles depuis les trois années d’existence du festival ?

La dominante est l’interrogation sur le changement de paradigme dans notre rapport à la ville, il y a un changement de récit, de rhétorique, de vocabulaire important concernant notre rapport, notre regard, notre apport pour changer nos villes. Parce que l’on ne peut pas continuer comme cela, sinon on va tous finir comme dans Blade Runner. Pour éviter Blade Runner, pour simplifier, ou des ambiances anxiogènes, il faut que nous réfléchissions à tous ces sujets, comme modifier nos modes de vie, libérer la ville d’un certain nombre de poids, comme la voiture par exemple. Mais aussi ce qui a changé dans le regard des cinéastes sur la ville depuis les années 40, puis la Nouvelle vague, c'est pourquoi, comment ce regard a changé et par rapport à quoi.

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