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"Kenji Mizoguchi pour l'amour des femmes", étude sur le cinéma du maître japonais

Kenji Mizoguchi (1886-1956) est un des plus grands maîtres du cinéma japonais. Il commença sa carrière dans les années 20 du temps du muet, et tourna jusqu’à l’année de sa mort en 1956. Son titre phare, "Les Contes de la lune vague après la pluie" (1953) demeure un chef-d’œuvre du cinéma mondial. Daniel Chocron lui consacre une étude film par film dans "Kenji Mizoguchi pour l'amour des femmes".
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Kenji Mizoguchi et Ayako Wakao sur le tournage des "Musiciens de Gion" (1953)
 (Photo12.com - Collection Cinema / Photo12)

Une vision de la société japonaise

Kenji Mizoguchi s’identifie au paradoxe du Japon, au croisement de la tradition et de la modernité. L'Archipel est resté fermé à la civilisation occidentale jusqu’au XIXe siècle. Le jeune Kenji Mizoguchi va bénéficier de l'ouverture du Japon au reste du monde en se passionnant pour Balzac, Zola ou Maupassant (dont il donnera une version de "Boulle de suif" dans "Oyuki, la vierge"), ou Tolstoï qu’il adaptera également. Extrêmement prolixe, s’il tourne quelque 70 films entre 1920 et 1930, seuls trois ont survécu. Heureusement, tous les autres, à partir de 1930, sont parvenus jusqu'à nous. Dès ses débuts, les deux thèmes majeurs de toute sa filmographie se font jour : la prostitution et les inégalités sociales dans la société japonaise qui touche particulièrement les femmes.
Issu d’une famille modeste, sa sœur a été vendue par son père comme geisha, un trauma pour Kenji qui ne cessera de traiter le sujet de la femme humiliée sous la férule des hommes ("La Fête à Gion", "Les Sœurs de Gion", "Femmes de la nuit", "La Vie d’O’Haru, femme galante", "La Rue de la honte"…). Il se passionne pour ces destins de femmes en lutte pour survivre dans une société très patriarcale, que cela soit pour vivre des amours interdits ou simplement rester en vie. Sujet sociétal, il est aussi social et Mizoguchi le traite de front dès son premier film de 1923 "Le Jour ou revit l’amour" où il filme une révolte paysanne contre les nantis, ce qui lui vaudra un retour de bâton de la censure. Il reviendra sur ces thèmes, dans des films historiques, comme contemporains.

Trop oublié

Daniel Chocron expose la cohérence de l’œuvre de Kenji Mizoguchi, en la reliant à la vie du cinéaste, d’un point de vue thématique et esthétique. Ainsi nombre de ses films se situent sous l’ère Meiji (1868-1912) qui correspond à celle de l’ouverture du Japon à l’Occident et à l’apprentissage du tout jeune Kenji. Epoque charnière de son pays, il en vivra les conséquences et cela se répercute dans son œuvre. Il n’en reste pas moins très attaché aux traditions artistiques japonaises. Dans l’ascétisme, l’épure de ses images et mises en scène, ses adaptations de textes classiques nippons, ses références au Kabuki, au théâtre Nô et au théâtre de marionnettes (bunraku), tout comme dans ses biographies de comédiens classiques.
Quelque peu oublié par rapport à un Akira Kurosawa ("Les 7 Samouraïs"), ou Yasujirö Ozu ("Le Voyage à Tokyo"), Kenji Mizoguchi mérite cette (trop) courte et foisonnante monographie, "Kenji Mizoguchi pour l'amour des femmes" (La Lucarne des Ecrivains) que signe Daniel Chocron. Il visite chronologiquement la filmographie du maître avec des choix stratégiques dans sa carrière, tout en la situant dans l’histoire japonaise (avec sa position d’artiste par rapport à la propagande nationaliste, ou l’après Seconde Guerre mondiale). Les nombreuses photos auraient toutefois mérité d'être mieux légendées et des imperfections dans la typographie demeurent. Mais cela n'enlève rien à l'analyse de chaque film qui suscite l’envie de les (re)voir, signe d’une passion de cinéphile naturellement partagée.
"Kenji Mizoguchi por l'amour des femmes" : 1re de couverture
 (La Lucarne des Ecrivains)

Kenji Mizoguchi pour l'amour des femmes
Daniel Chocron
La Lucarne des Ecrivains
128 pages illustrées, broché
19,90 euros

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