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"Amadeus Live", un ciné-concert à la Philharmonie de Paris pour entendre et voir Mozart

Film aux huit Oscars en 1985, "Amadeus" a reçu tous les honneurs, critiques et publics, en consacrant le mystère et le génie de Mozart. Le film de Milos Forman n’est pas un biopic, mais une réflexion sur la création, l’art, les artistes, à travers une biographie imaginaire de Mozart et Salieri. Exceptionnel : la Philharmonie de Paris donne trois ciné-concerts du film les 16, 17 et 18 décembre.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Tom Hulce dans "Amadeus" de Milos Forman
 (Warner Bros France)

Prélude

Avant d'être un film, "Amadeus", version Milos Forman, est une pièce de théâtre de Peter Shaffer, récemment décédé, créé à Londres en 1979, reprise notamment en 1981 à Varsovie, puis Paris, jouée et mise en scène par Roman Polanski dans le rôle-titre. Elle s'inspire du drame de Pouchkine "Mozart et Salieri" (1830) qu’adapte en 1897 Nikolaï Rimski-Korsakov dans son opéra éponyme, dont le livret est tiré pratiquement mot pour mot de sa source.

Le réalisateur américain d'origine tchèque Milos Forman ("Vol au-dessus d'un nid de coucou") voit la pièce dès sa création et décide, le soir même, de l'adapter à l'écran. Il contacte Peter Shaffer pour lui faire part de son projet, lui affirmant d'emblée : "On va tout changer".

En effet, la dramaturgie théâtrale n'a rien à voir avec celle du cinéma. Pour l'écran, les acteurs jouent plus du "réalisme" que de l'"emphase" propre à la scène, selon les mots de Forman. De plus, la musique est une des chevilles ouvrières du cinéma, pas du théâtre. D'autant plus quand le sujet du film est un musicien, et que ce musicien est Wolfgang Amadeus Mozart.

Shaffer et Forman écrivent pendant de longs mois le scénario de concert à New York. Comme le dit le metteur en scène, "L'avantage, c'est qu'on avait la musique à l'avance. Chaque jour, on passait des heures à écouter de la musique, la musique de Mozart. On choisissait des morceaux pour mettre sur telle ou telle scène. Ça rendait Peter Shaffer très humble. La musique le remettait à sa place. On écoutait la musique et je me mettais à lire des répliques (écrites pas Shaffer ndlr). Et Peter me suppliait : 'non, arrête de parler !" Cette prégnance musicale sur le film fera dire à Shaffer qu’""Amadeus" est le seul film à avoir comme troisième personnage la musique". 

"Amadeus" de Milos Forman
 (Warner bros. France)

Musicalité

Violoniste, chef d'orchestre, fondateur de l'Academy of Saint-Martin in the Fields, Neville Marriner est sollicité comme directeur musical d'"Amadeus". Il accepte à la seule condition de ne changer aucune note à la musique de Mozart, ce sur quoi Forman et Shaffer s'engagent fermement. Le musicien avait vu la pièce du dramaturge et se doutait que Forman en "ferait autre chose", d'où ses précautions prises à l'égard de la musique de Mozart.

De son côté, Peter Shaffer était intransigeant sur un point : "J'ai dit à Milos que je ne voulais pas de thème (musical ndlr) récurrent. Je ne voulais pas qu'on se limite à un seul morceau" qui traverserait tout le film. Ce qui s'entend à l'écoute du film. La musique de Mozart domine, avec notamment des extraits de la "Symphonie n°25", du "Concerto pour clarinette", de "L'Enlèvement au sérail", des "Noces de Figaro", de "Don Juan", de "La Flûte enchantée", du "Requiem"… Mais son contemporain, Salieri - son rival dans le film - participe de la partition avec le final d'"Axur", ainsi que le "Staba Mater" de Pergolèse. 

"Amadeus" : l'affiche américaine (détail)
 (Warner Bros.)

Le Requiem du Commandeur

La première image du film, extérieur nuit sous la neige, apparaît exactement à l'unisson avec le point d'orgue qui ouvre la scène du Commandeur de "Don Juan", l’opéra de Mozart créé en 1787. La voix off de Salieri retentit comme un cri dans la nuit, en contrepoint, quand il s'écrie "Mozart !", première parole du film. "Don Juan" et le "Requiem" constituent la colonne vertébrale musicale du film, partitions autour desquelles il est construit.

Le point d’orgue introductif de la scène du Commandeur renvoie à la dimension tragique du récit. On le retrouvera lors de l'arrivée chez Mozart de son père à Vienne, puis lors de l'apparition du mystérieux commanditaire du "Requiem", et dans la reconstitution de la représentation de l’opéra à Vienne dans le film (en réalité à Prague en 1787). Le Commandeur est une métaphore de Leopold Mozart, autoritaire et exigeant, et son "Don Juan" celle  de la culpabilité de Wolfgang, fils dissipé, envers son père rigoureux.

Le "Requiem" occupe toute la dernière partie du film, où Mozart conclut alité, à l'agonie, l'écriture de son œuvre avec l'aide de Salieri. Cette partition majeure est commandée après la mort de Léopold, par un mystérieux mécène, toujours masqué, que l'on devine être Salieri, et que Mozart identifie au fantôme du père, annonciateur de sa mort prochaine. L’écriture du "Requiem" est ce qui la provoquera, selon le stratagème fomentée par Salieri pour éliminer Mozart, dans l’acte paradoxalement admirateur et annihilateur dont il s’accuse.

Lors du tournage de cette scène avec deux caméras (l’une sur Tom Hulce/Mozart, l’autre sur F. Murray Abraham/Salieri), les acteurs étaient munis d’une oreillette où était diffusée la partie du "Requiem" que Mozart écrit et que Salieri transcrit, pour qu’à l’écran, dictée, écriture et musique soient simultanées.

Tom Hulce (Mozart) et F. Murray Abrahams (Salieri) dans "Amadeus" de Milos Forman
 (Warner bros. France)

Fiction et réalité

A sa sortie, la polémique occupa tous les commentaires sur la version avancée par Forman et Shaffer quant à la véracité des rapports décrits entre Mozart et Salieri. Des diatribes stériles, puisque leurs laudateurs oubliaient au passage que le cinéaste et le dramaturge/scénariste puisaient leur inspiration à la source de deux fictions préexistantes, la pièce de Pouchkine et l’opéra de Rimski-Korsakov.

Toutefois, Forman et Shaffer fondent "Amadeus" sur une réalité solide. Mozart et Salieri étaient bien ensemble à Vienne au même moment, avec chacun un rôle distinct auprès de l’Empereur d’Autriche Joseph II ; musicien de l’Empire pour le premier, compositeur de la Cour, directeur de l’opéra italien, puis cumulant tous les postes élevés de la hiérarchie viennoise, pour le second. C’est dire s’ils n’étaient pas dans la même "cour", et les mêmes "papiers" auprès de l’empereur. Ce pourquoi, une concurrence, voire hostilité directe entre les deux hommes est peu probable. Toutefois, rester au plus près de la sphère impériale devait être un combat de tous les jours et mettre des bâtons dans les roues des prétendants, un lot quotidien.

Tom Hulce (Mozart) et F. Murray Abrahams (Salieri) dans "Amadeus" de Milos Forman
 (Warner bros. France)

Quant aux personnalités de Mozart et de Salieri décrites dans le film, rustre paillard pour le premier, puritain obséquieux pour le second, si elles sont caricaturales, elles recoupent les témoignages de l’époque. Elles participent également de la tonalité bouffonne, propre aux films de Forman et de la position de l’artiste envers Dieu, thème central du film. Salieri cherche obsessionnellement à en être adoubé, alors que Mozart, gnostique et franc-maçon, gagnera finalement la partie : ne dit-on pas "le divin Mozart" ?   

Mais c’est sans doute le succès de Mozart auprès du public viennois et son appréciation par Joseph II, alors que Salieri endossait un rôle officiel - reflet du génie de l’un et du talent de l’autre -, qui engendrèrent la fiction, chez Pouchkine, puis Rimski-Korsakov, Shaffer et Forman, d’une lutte fratricide entre les deux hommes. Comme souvent, la légende restera.

"Amadeus" de Milos Forman
 (Warner Bros. France)

Historicité

Reconstitution historique et métaphore sur la création artistique, "Amadeus" donne une grande importance à la première, par ses décors et costumes somptueux. Entièrement tourné en location à Prague, la capitale tchèque fut choisie pour ses quartiers restés quasiment en l’état du XVIIIe siècle. Les visiteurs de la "ville dorée" peuvent à ce titre aisément reconnaître des lieux qu’ils ont traversés, alors que l’action est censée se dérouler à Vienne.

Le décor majeur et clé du film reste l’opéra, où sont donnés des extraits et répétitions de "L’Enlèvement au sérail", "Le Mariage de Figaro", "Don Juan", "La Flûte enchantée", de Mozart ; le final d’"Axur" de Salieri, et celui d’un opéra-bouffe fictif. Ces scènes furent tournées dans l’opéra de Prague, bâtiment du plus pur style XVIIIe siècle, l’un des rares derniers d’Europe à avoir conservé ses structures et dôme en bois. Ce qui n’était pas sans danger avec la présence parfois de 500 figurants et des milliers de bougies allumées, sans parler du matériel électrique nécessaire à tout tournage.

Trente-deux ans après sa sortie, "Amadeus" n’a pas pris une ride et demeure le chef-d’œuvre vu à l"époque. Ce qui est rare, un film s’offrant souvent à une réévaluation, positive, ou négative, après sa découverte. Ici la constance demeure, en renouvelant à chaque vision la première surprise. Avec une interprétation en direct de l’orchestre et des chœurs, le ciné-concert d'Amadeus" renoue avec les premières représentations cinématographiques en présence des musiciens dans la salle et promet un spectacle total.

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