Pourquoi "Get Out", le dernier carton d'Hollywood, est bien plus qu'un simple film d'horreur
Connu pour le duo comique qu'il forme avec Keegan-Michael Key, le comédien Jordan Peele vient de signer, avec son premier film, la critique sociale que personne n'avait vu venir.
Il ne sort dans les salles françaises que mercredi 3 mai mais Get Out est déjà "rentré dans l'histoire du cinéma". En quelques semaines, ce premier film du comédien Jordan Peele a tout simplement, "par son succès, redéfini le genre du film d'horreur". Avec son budget raisonnable (moins de 5 millions de dollars), il a même "détruit un mythe hollywoodien". Le magazine Forbes parle même d'un film "dont Hollywood – et l'Amérique – avait besoin". Rien que cela. Ce long-métrage, qui explore le sujet archi-sensible des relations interraciales aux Etats-Unis, a bluffé tant la critique (il a obtenu un score de 99% d'approbation sur le site spécialisé Rotten Tomatoes) que les spectateurs, amassant 100 millions de dollars au box-office, en seulement 16 jours d'exploitation.
Un miracle pour un film "d'horreur sociale" (selon l'expression choisie par son réalisateur) qui utilise la peur et l'humour pour exposer le racisme profondément ancré dans la société blanche (pas franchement le message le plus facile à faire passer à un très large public), qui plus est réalisé par un humoriste noir – la moitié du duo hilarant Key & Peele. Avec ce succès, Get Out se révèle être plus qu'un film d'horreur. Et même, bien plus qu'un film tout court.
Parce qu'il met en scène "un cauchemar hilarant"
Get Out raconte l'histoire de Chris et de Rose, un jeune couple mixte qui file le parfait amour. Lui est noir, elle est blanche. A l'occasion d'un week-end, Rose invite Chris à rencontrer sa famille dans la banlieue cossue où elle a grandi, élevée par des parents progressistes, volontiers présentés comme antiracistes. Ce pitch de départ, que Get Out partage avec le classique hollywoodien Devine qui vient dîner, avec Sidney Poitier, bascule officiellement dans l'horreur quand le jeune homme réalise avec effroi que sa belle-famille n'a pas l'intention de le laisser partir comme cela.
La plupart des journalistes noirs qui ont écrit sur le film s'accordent à dire que l'horreur commence bien avant les premiers sursauts. Evoquant sa propre expérience dans la famille d'un petit copain blanc, une auteure noire du South Seattle Emerald se demande "si Jordan Peele ne [l'a] pas secrètement suivie [pendant ce week-end dans sa famille]". "Et puis j'ai réalisé que non, c'est une histoire universelle, partagée par tous les Afro-Américains, mais dont personne ne parle", conclut-elle.
"Il y a eu un moment où, quand je rencontrais les parents de ma copine, j'étais nerveux parce qu'elle ne leur avait pas dit que j'étais noir", a raconté Jordan Peele, cité par The New Yorker, également auteur du scénario de Get Out. "Il s'agit bien de terreur. Et je ne l'avais encore jamais vue exprimée de la sorte", à travers le prisme de l'horreur, poursuit-il.
Une chroniqueuse de Slate résume le film ainsi : "Un classique instantané sur l'hilarant cauchemar que constitue le fait d'exister quand on est noir." De l'exaspération ressentie face au racisme ordinaire à ses expressions les plus brutales (violence, esclavage...), le film met le projecteur sur les peurs qui parcourent la société noire-américaine, rarement exploitées au cinéma. Parmi elles : la peur d'avoir à faire face à la police, alors que les meurtres de jeunes Noirs non armés par les forces de l'ordre ont fait la une de l'actualité ces dernières années. Une blessure noire, mais universelle, que l'on retrouve en France à travers les affaires Adama Traoré, Théo ou encore Zyed et Bouna.
Parce qu'il ne laisse personne indifférent
Mais attention, Get Out n'est pas un film destiné à une communauté, relèvent encore les critiques. En conviant des couples mixtes à voir le film ensemble, The New York Magazine propose une foule de points de vue – de Noirs, Blancs, Hispaniques, Juifs ou Maghrébins –, sur le long-métrage, vécu avec embarras, plaisir, terreur ou méfiance. Et avec indifférence ? Jamais. Les témoignages recueillis illustrent tous la stupéfaction : pour les Afro-Américains, celle de voir une profonde angoisse ainsi formulée à l'écran. Pour les Blancs, celle de la prise de conscience d'un racisme insidieux qu'ils peinent à repérer, donc à reconnaître.
Une chroniqueuse noire du site Upworthy, mariée à une femme blanche, admet ainsi que son épouse "ne saura jamais ce que cela fait de se sentir si déphasée, de chercher un canot de survie [une autre personne noire] dans un océan de visages blancs. Aucun Blanc ne peut savoir cela. Mais dans ce cinéma, pendant 103 minutes, un film surprenant et novateur l'a aidée à approcher cela et à comprendre ce que cela fait", se réjouit-elle.
D'ailleurs, Get Out a cartonné dans tous les Etats-Unis, des zones au plus fort taux de mixité jusqu'à l'Amérique profonde. "Il marche super bien à 'Trumpland' [dans les zones ayant voté massivement pour Donald Trump], ainsi que sur la côte Est [plutôt démocrate]", précise Salon, citant une étude du sondeur comScore, spécialisé dans le cinéma. "Les spectateurs ne semblent pas se diviser en fonction de la couleur de peau, de la région, du genre ou de l'âge", s'étonne le magazine en ligne, relevant qu'en réalité, le film n'est pas interprété de la même manière que l'on soit un militant pro-Trump ou un cinéphile libéral. "Dans le film Get Out, de Jordan Peele, 'l'élite libérale' est le monstre", écrit par exemple le site d'extrême droite Breitbart News. "Dans le film Get Out, de Jordan Peele, l'humanité est le monstre", titre de son côté Vanity Fair.
Parce qu'il explore un racisme qui s'ignore
En réalité, "le méchant, c'est la société", a expliqué Jordan Peele au New Yorker. Mais si sa critique a trouvé un tel écho, c'est qu'elle ne vise pas une Amérique blanche ouvertement raciste, souvent caricaturée au cinéma. Ici, les bourreaux sont des progressistes, des Blancs qui clament avec fierté qu'ils auraient "voté une troisième fois pour Obama" s'ils le pouvaient. Bref, des gens qui se présentent comme des ennemis du racisme et de fidèles alliés des Noirs dans leur combat contre les inégalités.
"Dans Get Out, comme dans la vie, les commentaires en apparence inoffensifs que font les Blancs à Chris ne sont pas inoffensifs du tout, bien qu'ils soient présentés comme tels, explique le site Vox. Chris vis un calvaire social : une fête remplie de Blancs riches qui envahissent son espace, le touchent sans sa permission, le tapotent, l'objectifient de manière explicite, physiquement et sexuellement. Ils font cela en s'attendant à ce qu'il approuve ce qu'ils estiment être une démonstration de leur bienveillance vis-à-vis des Noirs." En montrant la violence de ces "micro-agressions" répétées, Jordan Peele met le doigt sur un racisme insidieux et dévastateur. A ce titre, "les Blancs qui se pensent 'bons' sont les pires", tranche une journaliste de Vice.
Homme noir élevé à New York par une mère blanche – la chanteuse folk Lucinda Williams – et marié à une comédienne blanche – l'humoriste Chelsea Peretti –, Jordan Peele pulvérise le mythe d'une Amérique "post-raciale", fantasmée pendant la présidence de Barack Obama, et dans laquelle le racisme aurait tout simplement disparu. Pour The New Yorker, Get Out marque ainsi "la fin de l'innocence raciale des Blancs", entretenue par ce mythe bien déculpabilisant. Avec Get Out, le réalisateur propose un difficile mais nécessaire moment d'autocritique initié par une bonne dose d'horreur et une pointe d'humour. Plus qu'une société qui refuse de voir les différences, Jordan Peele a d'ailleurs, à travers le duo comique qu'il forme avec Keegan-Michael Key (dans la vidéo ci-dessous) exploré un humour qui se moque, mais accepte l'existence d'identités noires et blanches.
Par son succès, Get Out fournit la preuve, comme l'écrit The Guardian, qu'"à un moment où le racisme décomplexé s'exprime – à travers les trolls sur internet, le soutien du Ku Klux Klan à Donald Trump et ses décrets discriminatoires – (...) le public demande un traitement plus nuancé de la question profonde des préjugés raciaux." Une opportunité qu'Hollywood ne devrait pas laisser filer.
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