"Passionnément de gauche" : Michel Piccoli engagé dans la vie et dans ses films
Michel Piccoli se déclarait "passionnément de gauche" et a joué dans de nombreux films politiques et contestataires.
Ancien compagnon de route du Parti communiste, Michel Piccoli qui se déclarait "passionnément de gauche", s'est engagé dans divers combats de société en France, comme à l'étranger, notamment contre le racisme et le "capitalisme débridé". Un engagement qui se reflète aussi dans ses films.
Un altruiste actif
Michel Piccoli affichait son militantisme discret, sans jamais militer au sein d'un parti, mais en défendant des causes en tant que "citoyen connu". Il se décelait aussi dans le choix de certains films comme La Grande bouffe (Marco Ferreri, 1973), Themroc (Claude Faraldo, 1973), ou La Plage noire (qu’il réalise en 2001). "Le métier que nous faisons dépend complètement de la politique et de l'économie. J'en connais qui vivent en égoïstes dans leur petit monde fermé. Moi, je ne veux pas", disait-il.
Défense des sans-papiers, pétition pour la parité homme-femme dans la vie publique, mobilisation contre le Front national : Michel Piccoli fut très actif au sein de SOS Racisme (créé en 1984) et aux côtés d'Amnesty International. La sensibilité de l’acteur à la question migratoire se reflète dans L’Emigré de Youssef Chahine en 1995, ou il y a 3000 ans, un jeune berger juif part en Egypte pour parfaire ses connaissances agricoles, en rencontrant l’hostilité de son père et des habitants du pays d’accueil.
Impliqué
L’intervention concrète de Michel Piccoli en politique s’est exprimée dans des échanges épistolaires avec des responsables d’Etat, des tribunes dans la presse et dans sa participation à des manifestations. Dans le désordre, on peut citer : une lettre adressée au président iranien et publiée en 1991 dans Le Monde pour réclamer la libération d'une militante des Moudjahidines du peuple ; son soutien, en 1981, au syndicat Solidarnosc en Pologne ; ses manifestations, avec Harlem Désir et les Klarsfeld, contre les conservateurs alliés au parti d'extrême droite autrichien de Jorg Haider en 2000…
Sa sensibilité de gauche se reflète sans sa répulsion épidermique à toutes les dictatures. Il en fera le sujet du film qu’il réalise en 2001, La Plage noire. Il y met en scène un pays imaginaire qui, après une période de dictature, apprend la démocratie. Un citoyen, fervent partisan de ce renouveau, est menacé de mort par les membres de l'ancien régime. Sa femme s’est réfugiée en France et il doit protéger sa fille de 12 ans, menacée.
Marqué par la Résistance
Il faut remonter à son enfance pour comprendre l’engagement de Michel Piccoli. Très marqué par les discours d'Hitler, il affirme avoir compris, dès le lendemain de la rafle du Vél' d'Hiv' (16 et 17 juillet 1942), le destin promis aux juifs. Dès lors, il n'accepte pas que les gens disent : "On ne savait pas !"
Ému par l'appel du 18 Juin qu'il entend en direct à la radio, l'adolescent de 14 ans se découvre d'abord des convictions gaullistes. Michel Piccoli deviendra ainsi Un homme de trop en 1967 dans le film de Costa Gavras. Engagé politique sur la même longueur d’onde que Piccoli, Gavras met en scène un groupe de résistants qui libère des compatriotes d’une exécution capitale par les nazis. Ils se retrouvent sans savoir qu’en faire d’un individu inconnu au bataillon (Piccoli).
Cette sensibilité à la Résistance, où les communistes sont très actifs, est confortée par le spectacle de sa propre famille "égoïste, raciste, franchouillarde" et va peser sur son rejet de la bourgeoisie. "Par sentimentalisme", il se rapproche naturellement des communistes. "Je croyais que c'était une philosophie exemplaire. C'était simple pendant la guerre", explique-t-il au Monde en 2007. Il adhère donc au Mouvement pour la Paix, une organisation pacifiste contre le fascisme récupérée par les communistes.
Esprit libertaire
A 20 ans, il est électrisé par Saint-Germain-des-Prés, Sartre, Boris Vian et Juliette Gréco, "ces libertaires magnifiques". C’est l’époque des Zazous, ancêtres avant la lettre des Punks des années 80. Une provocation bon enfant est de mise dans la jeunesse parisienne qui retrouve la liberté après quatre ans d’Occupation.
Cet esprit libertaire, Michel Piccoli va l’incarner dans des films contestataires virulents des années 1970. Il est Themroc (Claude Faraldo, 1973), qui se barricade chez lui avec femme et enfant, puis qui bazarde tout son appartement dans sa cour d’immeuble pour protester contre l’hypocrisie des mœurs et l'hyper-consommation. Dans Grandeur nature (Luis Garcia Berlanga, 1974), il est un grand bourgeois marié tombé amoureux d’une poupée gonflable. Mais c’est surtout La Grande Bouffe de Marco Ferreri qui marque l’époque, où Piccoli se suicide dans une immense orgie dénonciatrice de la société de consommation, aux côtés de Marcello Mastroianni, Philippe Noiret et Ugo Tognazzi.
"Phobie pour le capitalisme"
Puis l'Histoire apporte la désillusion... mais il affirme en 1985 au Nouvel Observateur qu'il sera "toujours passionnément, obsessionnellement, lucidement de gauche". Si l'homme ne s'est jamais inscrit au Parti socialiste, il en a systématiquement soutenu les candidats à l'élection présidentielle, de François Mitterrand en 1981 à François Hollande en 2012. En 2007, il signe avec 150 intellectuels un texte appelant à voter Ségolène Royal, "contre une droite d'arrogance", "pour une gauche d'espérance".
Il nourrit une "phobie pour le capitalisme" et "les fausses richesses", s'élève contre la dictature de l'argent à la télévision : en 1991, il s'en prend vivement à Silvio Berlusconi, propriétaire de chaînes privées italiennes, l'accusant d'avoir "assassiné l'imaginaire en Italie". La même année, il manifeste encore pour consacrer "les funérailles de la télévision publique". Il adhère ainsi au film précurseur de Yves Boisset Le Prix du danger en 1978, où dans un futur proche, il incarne le présentateur d’un jeu de téléréalité truqué, dont le concurrent doit échapper à cinq tueurs contre une forte somme d’argent s'il en réchappe..
"La politique est devenue une catastrophe"
Ne lâchant jamais le nerf de la guerre, en mai 2009, Michel Piccoli enjoint à Martine Aubry, alors première secrétaire du PS, de "redevenir de gauche" dans une lettre pour inciter les députés à adopter la loi Hadopi contre le téléchargement illégal. "Vous étiez la résistance à la loi du plus fort qui assassine la diversité culturelle, vous êtes désormais les avocats du capitalisme débridé contre les droits des artistes à l'heure du numérique", lance-t-il.
Dès les années 2000, il affirme que "la politique est devenue une catastrophe". "Il n'y a plus d'idéologie possible, à part l'argent", déplore-t-il dans un entretien avec Libération. Dans ce qu'il décrit comme un marasme de désengagement politique, il concède que seul José Bové lui fait encore l'effet d'une "décharge électrique".
La filmographie de l'acteur est parcourue de nombreuses oeuvres où se retrouve avec cohérence son engagement politique. Citons Habemus Papam, L’Etat sauvage, Milou en mai, Nouvel ordre mondial, Y’a bon les blancs… Mais on pourrait également citer ses films avec Luis Buñuel, dans sa critique de la classe bourgeoise, où l’on retrouve les griefs du futur acteur, encore jeune, contre sa famille. Moins virulente, sa collaboration fructueuse avec Claude Sautet dépeint également cette classe, mais avec plus de charme et de nostalgie dans les années 1970.
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