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Michael Bay, ou comment un enfant solitaire féru de trains électriques est devenu un "Hitler des plateaux"

Mercredi sort en salles son dernier film, "Transformers : The Last Knight". L'occasion pour franceinfo de dresser le portrait de ce réalisateur tyrannique, dont les blockbusters sont honnis des critiques, mais adorés par le public. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le réalisateur Michael Bay sur le tournage de "No Pain No Gain" en 2013. (PARAMOUNT PICTURES / ARCHIVES DU 7EME ART / AFP)

Chacun de ses films est accueilli par un déluge de critiques, toutes plus acerbes les unes que les autres. Transformers : The Last Knight, qui sort en France ce mercredi 24 juin, ne fait pas exception. Le blockbuster "pourrait rendre l'humanité juste un peu plus stupide", assène Uproxx*, car "il fait l'effet d'une poêle à frire à votre cerveau", commente Entertainment Weekly.

Qu'importe, ses superproductions séduisent toujours leur public (même s'il semble un peu se lasser). Le cinquième opus des aventures des voitures-robots, dérivées des jouets pour enfants Hasbro, a pris la tête du box-office aux Etats-Unis, où il a amassé en cinq jours 69 millions de dollars, et en Chine, où il a généré plus de 100 millions de dollars. 

L'artisan du succès de cette machine bien huilée se nomme Michael Bay. Le réalisateur aux vingt-deux ans de carrière, treize films et près de 6 milliards de dollars de recettes s'est imposé comme le héraut d'un cinéma populaire rentable. A 52 ans, ce grand blond (dont les chaussures ne sont pas toutes noires) est l'un des maîtres d'Hollywood.

Maquettes, pétards et Super 8

Enfant adoptif d'une famille juive de Santa Monica, dans la banlieue de Los Angeles (Californie), le jeune Michael voue une passion aux films à grand spectacle... et aux trains électriques. Ses maquettes miniatures et leurs décors si réalistes et délicats sont le cadre idéal pour les scénarios catastrophes qu'il imagine et réalise avec une petite caméra, comme son père spirituel, Steven Spielberg. 

Ses parents adoptifs, Jim le comptable et Harriet la pédopsychiatre, s'inquiètent de le voir si souvent rester seul à jouer dans sa chambre, raconte-t-il à USA Today

Je faisais des films amateurs. Je plaçais des petits pétards sur mon train électrique. Une fois, j'ai vraiment mis le feu à ma chambre. Les pompiers sont venus. C'était un petit film Super 8 dans lequel les extraterrestres envahissaient la Terre.

Michael Bay

à "USA Today"

Adolescent, il réalise le rêve de tous les fans de cinéma de son âge : il est stagiaire chez Lucasfilm, la maison de production fondée par George Lucas, le père de la saga Star Wars. Il passe l'été à archiver les storyboards des Aventuriers de l'arche perdue, le premier volet des aventures d'Indiana Jones, réalisé par Steven Spielberg, alors en préparation. "J'avais 15 ans. Et la première chose que j'ai dite à Steven c'était : 'Je pense vraiment que Les Aventuriers de l'arche perdue sera nul'", confie-t-il à GQ.

"West Side Story", "j'ai adoré"

Sûr de son destin, il s'inscrit à l'université Wesleyenne, une faculté d'arts privée fondée par des protestants méthodistes dans le très rural Connecticut. Il y suit les cours de cinéma de Jeanine Basinger, une professeure qui fait autorité aux Etats-Unis. Mais l'étudiant ne se sent pas à sa place.

"Wesleyenne était très chic. Tout le monde portait des vêtements sombres, et ils étaient toujours…. Beurk", se rappelle-t-il. "Nous disions haut et fort qu'il n'y avait rien de mal à faire des films commerciaux et nous avons certainement été ostracisés par certains de nos camarades de classe pour ça", explique son camarade et aujourd'hui associé, le producteur à succès Brad Fuller.

"A 21 ans, il faisait déjà du Michael Bay"

Bay suit les cours de Basinger sur les comédies musicales. Sans grande motivation. A mille lieues de ses films de prédilection, il a une révélation en étudiant West Side Story. "Ce film en particulier a capté son attention", assure Basinger. "J'ai adoré", reconnaît-il. "Le cours sur les comédies musicales m'a ouvert les yeux sur jusqu'où on peut pousser le médium cinéma en termes de montage et de technique", explique-t-il au New York Times.

Vous connaissez le film de fin d'études de Michael Bay ? Un court-métrage intitulé 'My Brother Benjamin' : l'histoire d'un ado à qui son frère offre pour son anniversaire une... Porsche jaune, qu'il conduit pied au plancher en ville. Il avait 21 ans et faisait déjà du Michael Bay.

Jeanine Basinger, professeure de cinéma

au "Point"

"J'étais le mec commercial"

Aussitôt diplômé, il fonce vers son avenir tout tracé. "Je savais exactement ce que j'allais faire. J'allais faire des clips – c'était l'époque où les clips étaient funs. Et après, des pubs."

A l'agence Propaganda Films, son voisin se nomme David Fincher, le futur réalisateur de Seven et Fight Club. Tout sépare leurs bureaux. "J'appelais le sien le 'bureau de la morosité et de la sinistrose' parce qu'il était tout le temps dans le noir. Et moi, j'étais le mec commercial", plaisante Bay. Le pubard signe des clips pour Tina Turner, Lionel Richie, Meat Loaf... et des publicités pour Nike, Reebok, Coca-Cola, Budweiser... 

"Maman, je suis payé pour faire ça, tu le crois ?"

Bay s'éclate dans son métier. Un jour, sa mère lui rend visite sur un plateau de tournage. En plein désert de Mojave, en Californie, son fils dirige une prise de vue avec un hélicoptère. Il a sous ses ordres 200 personnes. "Maman, je suis payé pour faire ça, tu le crois ?" lui lance-t-il.

Chemin faisant, il perfectionne son art. "Dans les publicités, vous devez communiquer si rapidement que vous devez accrocher l'œil du spectateur en une seconde et demi. Donc vous apprenez des petits trucs de caméra pour diriger le regard là où vous voulez", expose-t-il au New York Times. De la publicité, il a aussi gardé la science du placement de produits : 35 dans The Island, 47 dans Transformers 2. "J'ai économisé 3 millions de dollars sur le budget et cela ne prostitue pas le film", juge-t-il à propos de Transformers 4.

Fils rêvé de John Frankenheimer et Jerry Bruckheimer

Michael Bay a longtemps cherché ses parents biologiques. S'il a retrouvé sa mère naturelle, l'identité de son père est restée un mystère. Pendant un temps, son enquête a pointé en direction de John Frankenheimer, le réalisateur de films d'action devenus des classiques des années 1960. Des tests génétiques ont mis fin à ses espoirs, relate Variety.

Mais à Hollywood, Michael Bay a trouvé un mentor : le producteur star Jerry Bruckheimer, dont le nom figure aux génériques du Flic de Beverly Hills ou plus récemment des Pirates des Caraïbes et de la série Les Experts. Bruckheimer, qui a déjà repéré le pubard Tony Scott, réalisateur de Top Gun, flaire le talent de Bay.

Bad Boys, The Rock, Armageddon, Pearl Harbor… Avec une rigueur métronomique, le tandem Bay-Bruckheimer enchaîne les cartons au box-office du milieu des années 1990 au début des années 2000. Leur secret ? Ils conçoivent leurs films comme des produits commerciaux, quitte à s'attirer les foudres de ceux pour qui le cinéma est avant tout un art.

Je parlais à un des scénaristes de notre public cible et il se sentait insulté que j'utilise ce mot. Mais si on vous donne 60 millions de dollars pour faire un film, vous feriez mieux de savoir quel est votre public cible. C'est lui qui va rembourser vos factures.

Michael Bay

au "New York Times"

"Savant fou", "tyran", "enfoiré"... 

Sur ses plateaux de tournage, Michael Bay est un général despotique. Dès son premier film, Bad Boys, sorti en 1995, Bay s'oppose aux producteurs et rallonge le budget de 25 000 dollars, payés de sa poche, pour tourner une scène d'action avec Will Smith et Martin Lawrence comme il l'entend. Sur The Rock (1996), il force la légende du cinéma Sean Connery à retenir sa respiration sous l'eau, des nageurs des forces spéciales le maintenant immergé, pendant qu'une boule de feu passe à la surface. A la fin de la prise, le James Bond retraité, qui le gratifiait jusque-là d'un "gamin" condescendant, lui assène : "espèce d'enfoiré".

Le réalisateur Michael Bay sur le tournage de "Transformers : The Last Knight", en 2017. (MICHAEL BAY FILM / DI BONAVENTUR / AFP)

Michael Bay est "un savant fou", dit de lui Martin Lawrence, qui "hurle" dans son mégaphone pour se faire obéir, ajoute Will Smith. Mais il n'a pas le choix, analyse Shia LaBeouf : "Il doit être un enfoiré. Parce qu'il y a 90 personnes qui marchent au rythme de son tambour, et il ne peut y avoir aucune indécision." Megan Fox, la star féminine des deux premiers Transformers, en garde un très mauvais souvenir. "Il veut être Hitler sur ses plateaux et il l'est. C'est un cauchemar de travailler avec lui. (...) C'est un tyran."

L'intéressé réplique, acide : "Je suis désolé, Megan. Je suis désolé de t'avoir fait travailler douze heures par jour. Je suis désolé de t'avoir fait arriver à l'heure. Les films ne sont pas toujours chauds et moelleux." Bay est un bourreau de travail. "J'aime filmer douze heures par jour. J'aime que les journées soient bien remplies. Il faut avoir un rythme, sans ça, c'est horrible, c'est tellement ennuyeux. Si vous êtes sur un tournage lent, vous avez envie de vous suicider", lâche-t-il à Collider.

Si vous vous en sortez sur un tournage de Michael Bay, vous pouvez vous en sortir sur n'importe quel tournage.

Shia LaBeouf

à "GQ"

Le maître du chaos

Face à ses détracteurs, qui lui reprochent son style tape-à-l'œil et ses scénarios minimalistes, Michael Bay peut s'enorgueillir d'avoir obtenu la reconnaissance de ses pairs. "J'ai étudié ses films et déconstruit son style de prise de vue", déclare doctement dans GQ James Cameron, père de Terminator, Titanic et Avatar"Les films de Michael sont immédiatement identifiables", assure George Lucas. Quant à Steven Spielberg, qui a fait appel à lui pour diriger la franchise Transformers, il vante "le meilleur œil qui soit pour la pure adrénaline visuelle". "Michael est un véritable auteur dans le vrai sens du terme", clame l'acteur Ben Affleck, au générique d'Armageddon et de Pearl Harbor.

Un mot a même été inventé pour définir son style cinématographique : le "bayhem", qui mêle son patronyme et le "mayhem", le chaos en anglais. Les plans s'enchaînent avec frénésie et complexité. Le mouvement est omniprésent. Les figures masculines – forcément héroïques et un rien patriotiques et conservatrices, juge Mother Jones – sont filmées tels des colosses. Les femmes sont réduites à leur rôle de faire-valoir sexy. Les voitures filent à toute vitesse. Les armes crient beaucoup et détruisent énormément . Et bien sûr, il y a une surenchère d'explosions.

Sans cesse imité, jamais égalé : tel est Michael Bay. "Je ne change de style pour personne. Seules les gonzesses font ça", pérore-t-il dans Entertainment Weekly. "Je fais des films pour les adolescents. Oh mon dieu, quel crime !" se défend-il dans le New York Times. "Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à dépenser beaucoup d'argent pour faire des films d'action qui divertissent les gens. Le public aime les films pop-corn. Qu'y a-t-il de mal à ça ?" triomphe-t-il, ajoutant dans Esquire : "Les gens, les critiques en particulier, prennent les films trop au sérieux. Comment allez-vous comparer Armageddon à La Liste de Schindler ? Vous avez un opéra contre du rock'n roll." Quand on lui demande de se définir, Michael Bay répond simplement : "Je suis un vrai Américain."

* Tous les liens de médias renvoient sur des articles en anglais.

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