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Mémoire de la Grande guerre en 60 films à la Cinémathèque

Dans le cadre de la commémoration du centenaire de la Première guerre mondiale, la Cinémathèque française programme une rétrospective de 60 films, inaugurée mercredi, et qui court jusqu'au 5 mai. De "Cœur du monde" (1918) de D.W. Griffith, à "Cheval de guerre" (2010) de Steven Spielberg : la Grande guerre revisitée par le prisme du cinéma mondial.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
"La Chambre des officiers" de François Dupeyron (2000)
 (ARP Sélection)

Cette filmographie est répartie en trois grands thèmes : une vision spectaculaire du conflit, patriotique voire pacifiste, qui s'étend des années 1920 à 1939 ; des films transgressifs depuis la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu'au milieu des années 60 ; une évocation des répercutions individuelles ou collectives de la guerre dans les années 90.

Voir la guerre et s'en défendre
Ce n'est pas un paradoxe, c'est de l'immédiate après-Première guerre mondiale qu'est né le pacifisme. La révolution bolchévique d'octobre 1917 en Russie est issue en partie d’un discours pacifiste que relayait l'idéologie communiste. Sur le front de l'Ouest, les combattants survivants vont, eux, créer après-guerre des associations d'anciens combattants motivées par un discours pacificateurs.

Ces valeurs de paix vont s'expatrier au cinéma au cours des années 20, accompagnées d'une mise en images spectaculaire du conflit qui va combler le vide d'images d'actualité encore balbutiantes et rarement tournées sur le front. "La Grande parade" (1927) de King Vidor joue de la mise en scène des combats sur fond de romance, "Les Ailes" (1929) de William Wellman inaugure une série de films sur les prouesses des premiers aviateurs de guerre, avec des combats aériens homériques ; "Les Anges de l'enfer" (1930) d'Howard Hugues ou "La Patrouille de l'aube" (1931) d'Howard Hawks relèvent de la même veine.
En France, "Verdun, visions d'Histoire" (1928) de Léon Poirier est plus ambitieux dans son réalisme et son pacifisme. Le cinéaste a tourné sur les lieux mêmes de la bataille de Verdun, avec d'anciens poilus, et fait exploser de vrais obus dans le no man's land,  pour reconstituer ce qui s’avèrera la plus grande et meurtrière campagne de la Première guerre mondiale. Agrémenté de quelques images d'actualité et d'infographie de l'époque des plans de bataille, le film prend par moment un jour documentaire. Il est toutefois clairement du côté d'une reconstitution guerrière alors inédite à la gloire des "sacrifiés pour la France", à l'idéologie pacifiste, dont la mise en images influencera tous les films de guerre à venir.
Citons également dans cette catégorie : "Les Croix de bois" (1931, Roland Bernard)  adapté du roman de Roland Dorgelès ou "Quatre de l'infanterie" de Georg William Pabst.

Critiquer la guerre
La deuxième phase de la programmation recense des films plus critiques sur le fonctionnement de l'appareil militaires, ou l’érosion des valeurs morales que la permet la guerre. "Le Diable au corps" de Claude Autant-Lara voit ainsi en 1947 une infirmière (Micheline Presle) tomber amoureuse d'un lycéen (Gérard Phlipe) pendant que son mari est au front. Le message, moral, est simple : la guerre détruit le couple, sinon la famille, et ouvre à l’assouvissement des vices.
Mais les critiques les plus redondantes visent l’élite militaire par son incompétence à gérer le conflit et à considérer les pertes humaines comme subalternes. "Les Sentiers de la gloire" (1957) de Stanley Kubrick condense la tendance dans son évocation des fusillés pour l’exemple de soldats déserteurs. Le film critique ouvertement la stratégie du commandement français, qui fait fi des victimes tombés au "champ d’honneur", malgré les injonctions d’un capitaine (Kirk Douglas, également producteur du film), lors du procès des accusés.
Le film débarque sur les écrans trois ans après la fin de la Guerre de Corée (1950-1954), très critiquée pour ses lacunes structurelles,et la Guerre d’Indochine (1946-1954), avec sa stratégie catastrophique de Diem Bien Phu. Il sort également deux ans après le relais que prennent les Américains dans la région avec ce qui devient la Guerre du Vietnam (1955-1975) aux pertes humaines énormes, notamment issues des classes les plus défavorisées. Mais le film sort partout, ou presque, sauf en France, pour sa critique frontale de l’Etat-major français durant le premier conflit mondial. Il faudra attendre 1975 pour le voir sur le territoire national.

D’autres films, que l’on peut qualifier d’antimilitaristes sortiront : "Johnny Got his Gun" (1973) que Dalton adapte pour l’écran d’après son roman, où un jeune engagé dans le premier conflit mondial, réduit à l’état d’homme-tronc, sourd et muet, mais conscient, se remémore sa vie passée, promise à un brillant avenir. "L’horizon" (1966) de Jacques Rouffio voit des soldats en doute envers un conflit sans fondement et un patriotisme obsolète.  "Le Pantalon" (1997), réalisé pour la télévision par Yves Boisset, voit un appelé muni d’un pantalon blanc au lieu du pantalon rouge de rigueur, faute de stock, et exécuté suite à des quiproquos de ce qui est considéré comme un affront contre l’armée. Joseph Losey ("Pour l’exemple" – 1964), ou Francesco Rossi ("Les Hommes contre" - 1970) vont dans le même sens.
Séquelles
Après une longue absence sur les écrans, les années 50 et 60 où est évoquée en priorité la Seconde guerre mondiale, toute une série de longs métrages convergent sur "14-18" dans les années 1990. Faut-il y voir une corrélation avec la guerre dans les Balkan qui éclate en 1992 ? Sans doute, l’origine de la Première Guerre Mondiale prenant source dans l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand, héritier de l’empire Austro-Hongrois, à Sarajevo. Les films, notamment français, sur le Premier conflit mondial, apparaissent comme des métaphores sur les conséquences que vont subirent les populations balkantes en raison de ce premier conflit en Europe depuis près de 40 ans.

"La Vie et rien d’autre" (1989) de Bertrand Tavernier est comme prémonitoire, sur la recherche du "soldat inconnu" par un officier (Philippe Noiret) destiné à commémorer les soldats tués de toutes les guerres sous l’Arc De Triomphe à Paris. Il est régulièrement relancé par une veuve en sursis (Sabine Azéma) recherchant le corps de son mari porté disparu. Un pseudo deuil individuel y est évoqué comme un deuil national. Ce qui va bientôt toucher la Bosnie-Herzégovine et toute la Yougoslavie.
Tavernier revient sur le sujet en 1997 avec "Capitaine Conan", qui plante le terrain des hostilités dans les Balkans, alors que l’Armistice de 1918 vient d’être signé et que les troupes locales ne sont pas démobilisées. Des exactions sont commises à Budapest par des Français vainqueurs d’une grande victoire dans les Dardanelles. Leur capitaine, Conan (Philippe Torreton), admiré de ses troupes, les défend à l’encontre d’un officier français, de ses amis, contraint à les mener au peloton d’exécution. Une situation très en écho au conflit bosniaque et de ll'instauration du tribunal international de La Hays sur les crimes de guerre.
Dans "Un Long dimanche de fiançailles" (2004) de Jean-Pierre Jeunet, Mathilde (Audrey Tautou), claudicante, part à la recherche de son grand amour, refusant de croire qu’il est mort au front. "La Chambre des officiers" (2001) de François Dupeyron évoque les "gueules cassées", ces innombrables soldats défigurés par blessures lors des combats, métaphores de pays, d’une société, d’une civilisation défigurés par la guerre. D’autres films vont dans le même sens.
Enfin, "Cheval de guerre" (2011) de Steven Spielberg, en adaptant le roman pour la jeunesse éponyme  de Roland Morpurgo, revient à la spectacularisation du conflit des origines, pour évoquer, à travers l’animal lancé malgré lui dans la guerre, la perte de l’innocence. La fin d’une époque et le début d’une autre, ce qu’incarne cette guerre de 1914-1918, où se condense tout le devenir des XXe et XXIe siècle, ce dont le cinéma rend aussi compte.
Toute la programmation de "Mémoire de la Grande Guerre au Cinéma"» sur le site de la cinémathèque française

Mémoire de la Grande Guerre au Cinéma
Cinémathèque française
Du 26 mars au 5 mai 2014
51, rue de Bercy, 75012 Paris    

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