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Les studios Cinecittà à Rome : la résistance s'organise

Une promenade dans les studios de Cinecittà à Rome -du Florence de la Renaissance au New-York du 19ème siècle- est un voyage à travers une histoire du cinéma mondial qui, selon ses employés en grève, est menacée de disparaître à jamais.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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"Cinecitta Occupée" annonce une banderole à l'entrée de la "cité du cinéma" italienne
 (A.SOLARO/AFP)

La façade légendaire des célèbres studios, datant des années 1930, a été recouverte d'une banderole géante "Cinecittà occupée", et des réalisateurs internationaux, du Britannique Ken Loach au Français Claude Lelouch, mènent campagne à leur côté.

L'objet du litige est un projet de modernisation prévoyant l'éclatement des studios en plusieurs points non loin de la capitale, avec un nombre croissant de sous-traitants, et la construction d'un hôtel destiné aux équipes de tournage. Une façon, selon les promoteurs du projet, de rendre à Cinecittà sa vocation internationale.

Des suppressions de postes envisagées

Mais selon les représentants des quelque 220 salariés des studios, le plan pourrait entraîner la suppression de postes d'ingénieurs du son, de concepteurs de décors et de costumiers qui ont des décennies d'expérience. Certains ont travaillé avec Federico Fellini qui tourna là de nombreux films, de Casanova à E la nave va..., ou Martin Scorsese, qui y a planté le décor de Gangs of New-York, dont certaines façades sont encore intactes.

"C'est un morceau d'Italie qui s'écroule. Ils utilisent la crise économique pour leurs propres intérêts", affirme Roberto Casula, 53 ans, ingénieur du son, employé de Cinecittà depuis 28 ans, en vendant des T-shirts devant le piquet de grève.

Les salariés en grève manifestent à l'entrée des studios
 (A.SOLARO/AFP)
Les protestataires, qui vivent sous des tentes devant le bâtiment, menacent de rester sur place jusqu'à ce que la direction abandonne son plan. Toutefois, l'activité -visite touristique des studios, tournage...-, continue sur le site de 40 hectares, avec des sous-traitants.

A l'angle d'une fausse rue de la Rome de la Renaissance, des dizaines de figurants, vêtus de haillons pour la célèbre série américaine "les Borgias", dévorent des sandwiches et fument pendant une pause.

Dans une autre zone, une équipe technique s'affaire autour des acteurs pour le tournage d'une scène du "Médecin de famille", un feuilleton télévisé très populaire en Italie, tourné à Cinecittà depuis 14 ans.

"Ils cherchent juste à nous mettre dehors"

Les studios de Cinecittà ont été construits en 1937 sur ordre du dictateur fasciste Benito Mussolini pour rivaliser avec les grands studios hollywoodiens d'alors. Ils ont connu leur plus grande gloire avec le tournage de grosses productions comme Ben Hur ou Cléopâtre, avec des milliers de figurants.

La zone est restée quasi inchangée depuis, les méthodes de travail artisanales de ses salariés sont jugées surannées par la direction, et de moins en moins de films -qu'il s'agisse de télévision ou de cinéma- y sont tournés.

Constructeur de décor, Francesco Mancini, 49 ans, a commencé à y travailler en 1984, avec Fellini. Il faisait alors partie d'une équipe de 45 personnes. Maintenant, ils ne sont plus que six. Et à présent, il est surtout appelé pour reconstruire des décors de supermarchés ou de parcs à thème. Rien à voir avec le cinéma.

"J'ai appris le métier avec quelqu'un de plus âgé que moi. Mais maintenant personne ne prendra ma suite, plus personne ne fera ce boulot", déplore-t-il. Selon lui, la direction veut se concentrer sur l'activité non cinématographique et déplacer l'activité hors de Rome avec des employés précaires. "Ils cherchent juste à nous mettre dehors", poursuit M. Mancini, qui gagne quelque 1.100 euros par mois.

Des touristes visitent les mythiques studios à Rome
 (A.SOLARO/AFP)
Moderniser pour attirer les tournages internationaux

Des allégations qualifiées d'"absolument fausses" par le patron des studios Cinecittà, Luigi Abete, qui est aussi président de BNL, l'une des plus importantes banques italiennes. "Si nous voulons rester sur le marché et attirer des productions internationales, nous devons développer nos services, comme les autres studios", déclarait dans une récente interview M. Abete, qui a acheté Cinecittà lors de sa privatisation dans les années 1990. Il défend sa décision de construire sur le site un hôtel et un centre de remise en forme.

"Ou nous restons en phase avec le monde extérieur, ou nous restons immobiles pendant que tout change dehors et nous risquons vraiment de fermer", argumente-t-il, jugeant la position des syndicats "absurde et rétrograde".

Une lettre ouverte au président italien

L'association des réalisateurs italiens a adressé une lettre ouverte au président de la République Giorgio Napolitano, signée par de grands metteurs en scène internationaux et louant "l'extraordinaire professionnalisme" des artisans de Cinecittà.

Pour Roberto Cappannelli, un ingénieur du son de 47 ans, qui a rejoint Cinecittà après avoir décroché son diplôme à l'Institut Rossellini à Rome, "c'est comme une famille ici. J'ai grandi dans ces studios".

"On défend nos emplois, mais on défend aussi une partie du patrimoine italien. Nous devons le sauver, pour l'Italie et pour tous les amoureux du cinéma dans le monde", plaide-t-il.

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