"Les Malheurs de Sophie" : pourquoi les conseils éducatifs de la comtesse de Ségur sont-ils toujours d'actualité ?
"Les Malheurs de Sophie", le roman à succès de la comtesse de Ségur, sont portés à l'écran par Christophe Honoré. Remplis de bêtises et de punitions, pourquoi les conseils éducatifs de la comtesse sont-ils toujours valables aujourd'hui ?
"Ne pleure pas, Sophie, et n’oublie pas qu’avouer tes fautes, c’est te les faire pardonner", une petite leçon que souffle Mme de Réan à sa fille pour la consoler d'avoir tué ses petits poissons. Une scène reprise dans le film Les Malheurs de Sophie, sorti en salles mercredi 20 avril. Christophe Honoré y met en scène les bêtises inventives de Sophie et de ses amis Paul, Camille, Madeleine et Marguerite en adaptant deux romans à succès de la comtesse de Ségur : Les Malheurs de Sophie et Les Petites Filles modèles (publiés au milieu du XIXe siècle). Le premier volume raconte la vie de Sophie auprès de sa mère tandis que le deuxième retrace ses aventures aux mains de sa belle-mère, Mme Fichini, après la mort de ses parents dans un naufrage.
La petite fille de cinq ans ne peut s'empêcher de voler, mentir et faire des bêtises. A la manière d'un manuel d'éducation, chaque épisode se clôt par une leçon de bonne conduite. En valorisant la bienveillance de la mère de Sophie ou en dénonçant les coups de fouet et les privations de nourriture de Mme Fichini, la comtesse de Ségur distille ses conseils en matière d'éducation des fillettes à l'usage de leurs parents.
Francetv info a interrogé des spécialistes de l'éducation pour savoir pourquoi ce manuel de bonnes manières était toujours à l'ordre du jour.
Parce qu'ils montrent bien plus qu'une enfant infernale
Si Sophie fait autant de bêtises, c'est pour une bonne raison. Dans un premier temps, cela lui permet d'être un personnage littéraire plus intéressant. "Les deux petites filles modèles [Camille et Madeleine, les amies de Sophie] sont bien trop obéissantes pour être amusantes", observe Isabelle Nières-Chevrel, professeur émérite de littérature à l'université de Rennes. Mais la psychologue pour enfants, Florence Millot, y voit surtout une forme de détresse.
Sophie cherche désespérément à attirer l'attention des adultes. Elle se sent délaissée.
Un ressenti que le réalisateur Christophe Honoré a choisi d'appuyer en présentant la mère de Sophie, Mme de Réan, comme une femme mélancolique et un peu absente. Et lorsque Sophie perd ses parents pour atterrir dans le giron de Mme Fichini, sa belle-mère, ce besoin ne fait qu'augmenter.
Une dimension de la psychologie enfantine qui rend Florence Millot presque admirative : "Finalement la comtesse de Ségur était avant-gardiste. Elle avait très bien compris la complexité des comportements des enfants. Encore aujourd'hui le besoin d'attention est très souvent la raison pour laquelle un enfant est turbulent et agressif."
Parce qu'ils dénoncent l'inutilité des châtiments corporels
Toujours est-il que les bêtises de Sophie ne restent jamais impunies, qu'elles soient graves comme le vol de la boîte à ouvrage de sa mère ou plus légères comme le bain de soleil que la fillette a fait prendre à sa poupée de cire. Il peut arriver à sa mère, Mme de Réan, de la fouetter. Mais c'est entre les mains de la marâtre, Mme Fichini, que Sophie subit le plus de violences. Il ne faudrait pourtant pas y voir une valorisation de l'éducation à la dure.
Ce personnage est un contre-modèle. En réalité, la comtesse de Ségur règle ses comptes avec sa propre mère à travers ce personnage."
Et Christophe Honoré l'a bien compris puisqu'il met en scène une Mme Fichini excessive et souvent ridicule. La comtesse cherche plutôt à montrer les limites de cette méthode éducative. "L'enfant ne comprend pas sa bêtise donc c'est normal qu'il recommence !, renchérit la psychologue pour enfants Florence Millot. Si on le frappe, il associe simplement son acte à la douleur et à la peur de la punition. Mais comme il ne distingue pas le bien du mal, il fera une autre bêtise." Et ça n'a pas changé depuis le XIXe siècle de la comtesse de Ségur.
Aujourd'hui, il n'est plus question de fouet ou de privation de dîner. On privilégie une autre approche. "L'enfant est capable de comprendre ce qu'on lui dit. On cherche à comprendre ce qui lui est passé par la tête et on lui explique pourquoi il ne doit pas recommencer. Il vaut mieux, d'ailleurs, utiliser des récompenses que des châtiments", conseille Anne Lefebvre, psychologue pour enfants.
Parce qu'ils rappellent aux adultes la honte de leurs propres humiliations
Les Malheurs de Sophie et Les Petites Filles modèles ont été écrits pour les jeunes filles, mais pas seulement. En adoptant le point de vue de Sophie, la comtesse de Ségur rappelle aux adultes les effets des punitions et autres sermons. Lorsque sa bêtise est découverte, la fillette est toujours mise face à ses fautes et doit s'en repentir. Sa mère utilise alors tous les ressorts de la culpabilité pour lui faire comprendre sa bêtise. Comme lorsque Sophie prépare du thé à base d'eau salée et de trèfles pour ses amis : Mme de Réan préfère la laisser assumer la honte de sa bêtise en public plutôt que de la punir dans sa chambre.
"La plupart du temps, l'enfant ne comprend pas la leçon de morale qu'on lui fait. Il vaut mieux lui faire réparer sa bêtise plutôt que de le faire culpabiliser, affirme Florence Millot. C'est normal qu'un enfant fasse ses propres expériences, mais c'est à travers le regard de l'adulte qu'il découvrira les limites de ce qu'il peut faire et ce qui lui est interdit. Il faut rester bienveillant et le guider." Comme le fait Mme Fleurville, la mère des deux petites filles modèles, les amies de Sophie, qui incarne l'image de la mère idéale.
Parce qu'ils valorisent la liberté des enfants
Sophie est une petite fille difficile à gérer. Mais elle est aussi pleine de ressources et d'inventivité. Rien ne l'arrête, pas même la perspective d'une punition. "C'est une enfant rebelle qui fait un pied de nez aux adultes et continue de faire ce dont elle a envie", analyse la psychologue Florence Millot. Pour Isabelle Nières-Chevrel, c'est d'ailleurs ce qui plaît aux enfants. "Si Les Malheurs de Sophie sont encore lus aujourd'hui, c'est bien parce qu'ils y trouvent leur compte." Le Monde affirme même que "La Comtesse de Ségur prend un coup de jeune" avec l'adaptation de Christophe Honoré.
Cet espace de liberté plait même aux adultes. Sophie fait sûrement des bêtises qu'ils n'ont jamais osé faire. C'est pour cela qu'on s'attache à cette petite fille transgressive. En désobéissant, Sophie met la parole des adultes en doute. Elle a soif de liberté.
Une indépendance qui se retrouve à travers les différentes expériences qu'elle tente. Elle va même jusqu'à saler puis découper les poissons rouges de sa mère sans penser à mal. Et si cette vision de l'enfance paraît bien cruelle, Christophe Honoré préfère parler de "brutalité". "Pour moi, ce n'est en rien une perversion de l'enfance mais une manière d'explorer le monde", explique-t-il à Europe 1. D'ailleurs ces bêtises ne sortent pas de nulle part. Elles sont nées dans l'esprit de la petite Sophie de Ségur. "La grande majorité des histoires sont tirées de la propre enfance de la comtesse de Ségur, explique la professeure de littérature. C'est pour cela que les personnages sont si réels et complexes encore aujourd'hui."
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