"Le Roman de Jim" : "C'est notre film le plus politique, mais il n'y a pas de militantisme", confient les frères Larrieu

Arnaud et Jean-Marie Larrieu sont de retour au cinéma avec le portrait d'un homme gentil, dans le sens le plus noble du terme, et un regard magnifique sur la paternité. Entretien.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12min
Les cinéastes français Jean-Marie et Arnaud Larrieu, le 27 juin 2024, à Paris. (FG / FRANCEINFO)

Florence (Laetitia Dosch) rencontre Aymeric (Karim Lekou) alors qu'elle est enceinte de Jim. Leur vie à trois bascule quand le père biologique de l'enfant fait son retour. Le Roman de Jim, le livre de Pierric Bailly, est désormais un film signé par les frères Larrieu. Les cinéastes racontent de l'intérieur leur nouvelle aventure cinématographique dont le résultat est à découvrir dans les salles obscures à compter du 14 août 2024.

Franceinfo Culture : Le Roman de Jim rassemble tout ce que vous aimez : la montagne, le couple… Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire le film et de vous lancer dans cette adaptation ?
Jean-Marie Larrieu : C'est l'auteur Pierric Bailly qui nous a fait parvenir son livre via la maison d'édition. C'est lui qui nous a choisis, à juste titre. Il est très cinéphile. Il connaît bien le cinéma et il connaissait nos films. Mais vous avez raison de commencer comme ça. Il y avait tout mais ce qui était nouveau, c'était un territoire très précis dans le roman, le Haut-Jura. Après, il y a ce ton réaliste, dans le sens contre-clichés, qui nous a plu : des gens à l'usine et qui remontaient le soir dans les prés. Du réalisme : pas de dire que les ouvriers sont malheureux et boivent, et là-haut, il y a des bergers qui font la fête… Tout ça est plus compliqué et plus vivant. C'est aussi un ton sur les personnages qui avancent à vue dans le quotidien et qui essaient de trouver des arrangements. Il y a ce réalisme-là et c'est trente ans de vie racontés en très peu de temps. Ce que nous n'avions jamais fait. En général, nos récits sont ramassés sur trois ou quatre jours. Si on prend le personnage de Jim, le récit porte sur les vingt-trois ans de sa vie.

Cela a été compliqué pour vous de travailler sur ce temps long ?
Arnaud Larrieu : Attirant et compliqué. Pour le scénario, il faut inventer toutes les séquences parce qu'elles ne sont pas écrites. Il faut raconter que la première fois qu'Aymeric rencontre Florence, il n'y aura qu'une nuit. La séquence suivante, c'est l'enjeu de rencontrer la mère, puis l'accouchement de Florence. Dans le roman, il y a une multitude d'étapes. En tout cas, nous avons décidé de raconter cette histoire comme ça. On ne fait pas passer les jours avec Jim : il naît, fête son premier anniversaire et il a ensuite 7 ans. Nous voulions que tout cela soit fluide. Je pense que le film marche bien sur les gens, nous les premiers, parce que nous savons tous de quoi ça parle : de ce fameux temps qui passe.

Le personnage principal est intérimaire. Il y a le milieu ouvrier, la paysannerie dans votre film. Le Roman de Jim est une aventure exceptionnelle mais les protagonistes sont Monsieur et Madame Toulemonde...

Jean-Marie Larrieu : Il y a un cadre plus réaliste, avec des gens plus réalistes effectivement. C'est un mélo plus réaliste et plus contemporain. Dans un sens, c'est notre film le plus politique mais il n'y a pas de militantisme. Les personnages ne sont ni méprisés ni snobés et ils portent le romanesque, les sentiments... Ils portent tout.

Peut-on dire que Le Roman de Jim est votre film le plus réaliste ? Quelle est sa place dans votre filmographie ?
Jean-Marie Larrieu : "Réaliste" avec tous les guillemets. Le réalisme consiste à casser les clichés. Comme quand on dit que les ouvriers sont tristes et alcooliques, ou que les gens racistes sont d'horribles gens, c'est en fait beaucoup plus compliqué. Karim tenait à ce qu'on garde par exemple les répliques racistes de la mère de Florence parce que les gens sont ainsi : il y a des gens très bien qui racontent des bêtises.

Ce film est-il un tournant dans notre filmographie ? La suite va le décider. En tout cas, il nous a permis de raconter des choses sociales plus directement ! On a toujours été très pudiques sur la question parce que nous nous disions que ce n'était pas notre domaine. Nous restions dans celui de l'imaginaire, de l'intériorité. On raconte des histoires d'un point de vue plus sentimental. Nous tenons à garder ça, mais en plus, à l'incarner socialement. Et c'est vrai que ce film constitue une étape, un tournant de maturité à suivre.

Votre film raconte que les pères sont finalement des mères comme les autres. Vous filmez un père déchiré, comme on le voit souvent au cinéma, mais ce sont plutôt des mères. Pourquoi vouliez-vous mettre l'accent sur cet aspect de la paternité ?
Jean-Marie Larrieu : C'est la deuxième partie du film, quand Aymeric est devenu père. Le roman, et le film après, raconte d'abord que tous les pères, naturels ou pas, adoptent leurs enfants. Ce qui nous a touchés aussi dans le roman, c'est ce portrait d'un garçon, d'un homme qui ne se sent légitime en rien. Il n'est jamais dans son bon droit et il ne le cherche pas non plus.

Nous n'avons pas creusé du côté des mères mais peut-être que ce n'est pas si naturel pour elles aussi. On commence à en parler. Il y a l'instinct maternel. L'instinct paternel, c'est plus compliqué. Mais peut-être que c'est finalement compliqué pour tout le monde.

Le fait de choisir Karim (Leklou), sa manière de jouer, son corps, sa gentillesse et celle du personnage, fait qu'il est père et un peu mère. La manière dont il vit l'arrachement aurait pu donner lieu à un stéréotype. Il va boire un coup au bar, il se "fait" une virée à moto avec ses amis et l'histoire de Jim est finie. Ce n'est pas le cas.

Il y a quelques mois, Karim Lekou nous confiait qu'il avait travaillé avec vous et qu'il ne pensait pas, un jour, faire partie de votre univers. Comment s'est déroulée votre rencontre et qu'est-ce qui vous a plu, tout de suite d'ailleurs, chez lui ?

Arnaud Larrieu : Nous avions rencontré plein de gens avant qui étaient très bien. Mais chaque fois, il manquait ce truc d'Aymeric : ce mélange de premier degré et du fait d'être concentré et très attentif. Et évidemment, la manière dont il nous a parlé du personnage : "Aymeric, je le comprends de bout en bout." La rencontre était tardive parce que nous avions procédé par élimination.

Jean-Marie Larrieu : De loin, on voyait sa photo et on se disait qu'il serait un peu mélancolique par rapport au personnage. Mais c'était sans compter sa présence ou sa puissance. Karim, on a tout de suite senti qu'il allait porter ça. Il avait envie de le porter et c'est lui qui devait le porter.

Florence le dit, les hommes gentils sont rares. On a l'impression qu'il y en a de moins en moins quand on pense à tous ces cas de violence sexuelle. Aviez-vous délibérément envie de parler d'un homme gentil ?
Jean-Marie Larrieu : Il y en a de moins en moins qui sont représentés. Nous nous sommes dit que, en tant que garçons, nous pouvions faire le job de dresser le portrait de ce type d'homme. Le livre de Pierric nous a parlé. Nous avons des enfants mais nous n'avons pas du tout vécu ces histoires. Mais il y a quelque chose dans la manière d'agir d'Aymeric, de réagir et de ressentir les choses dans laquelle nous nous reconnaissions.

C'est important de porter cela. Il peut y avoir des films de dénonciation mais il faut aussi montrer qu'il y a des réalités différentes. Ça peut faire du bien à tout le monde. Et puis, Aymeric rencontre de supers beaux personnages féminins qui sont contents de le rencontrer. Le plus terrible aurait été de faire le portrait d'un garçon gentil dont personne ne veut (rires). Mais bien sûr, ça a fait partie de nos motivations.

Arnaud Larrieu : Mais ce n'était pas une revendication. Encore une fois, c'était un réalisme. On aime bien remettre un peu les choses en place. Tout n'est pas si simple.

Aymeric est gentil et Florence apparaît en comparaison un peu méchante quand on analyse ses actions. Il y a chez elle comme un égoïsme qui est un peu le reflet de notre époque où l'individualisme l'emporte sur tout. Vous avez pensé à cet aspect de son personnage ?
Arnaud Larrieu :
On y a pensé mais c'est comme Aymeric. Ce sont des gens qui ont des destins. Quand on entend des critiques sur elle, on attire toujours l'attention sur le fait que tous ces gens mènent leur vie avec ce qu'ils sont. Là-dessus, je pense qu'elle a raison et c'est pour ça d'ailleurs qu'elle exprime toujours très bien ses projets. Par contre, elle ne mesure jamais les conséquences que ça va avoir. Mais ce qu'elle essaie est raisonnable, possible, et elle le dit avec conviction. Ce n'est pas une méchante, ce n'est pas une perverse parce qu'elle ne cherche pas à faire le mal.

Jean-Marie Larrieu : Nous voulions qu'elle soit ni perverse ni calculatrice. Après, elle a ses limites. Le film est un peu complexe sur le sujet. Il y a des bonnes rencontres à un moment qui peuvent se transformer en mauvaises rencontres. C'est le cas pour Aymeric où c'était un peu dangereux de rencontrer cette fille. Mais chacun a ses raisons. Dans tous les cas, je commence à l'entendre mais Florence, qui est une femme un peu rock et excessive, n'a pas volontairement occasionné tous ces dégâts, que nous constatons après coup. 

Votre rapport aux paysages est aussi singulier. Vous avez déclaré que vous faites du cinéma pour eux...
Arnaud Larrieu : On a démarré comme ça. Oui, pour des lieux. On aime bien que les récits se déroulent dans des lieux forts, qui viennent même dépasser les personnages et les histoires.

Il y a aussi une superbe bande originale, très électro mais avec quelques classiques...
Jean-Marie Larrieu :
On la doit à Shane Copin, un jeune qu'on connaissait un peu. Nous lui avons d'abord demandé de remplacer des musiques dont on n'avait pas les droits. Après, il s'est lancé sur l'électro de manière très inspirée. Et puis, il y a aussi Lavilliers. Souchon, c'est Karim : "Il faut qu'il y ait La Ballade de Jim pour ce film à propos d'un Jim", nous a-t-il dit. La personne qui négocie les droits a réussi à les avoir.

Un mot sur ce duo artistique que vous formez avec votre frère ?
Arnaud Larrieu : C'est assez courant dans le cinéma parce que c'est très collectif. Nous sommes finalement le premier noyau, on tient l'origine du projet. Quand on se retrouve avec Pierric, il y a presque un petit trio et une complicité qui est née entre nous trois. Nous avons porté le projet ensemble. C'est une belle rencontre.

L'affiche du film "Le Roman de Jim". (PYRAMIDE DISTRIBUTION)

La fiche

Genre : Comédie dramatique
Réalisation : Jean-Marie et Arnaud Larrieu
Avec : Karim Leklou, Laetitia Dosch, Bertrand Belin, Sara Giraudeau et Eol Personne
Pays : France
Durée : 1h41
Sortie : 14 août 2024
Synopsis : Aymeric, le beau-père de Jim, a rencontré Florence, sa mère, alors qu'elle était enceinte de six mois. Tous les trois mènent une vie heureuse dans le Jura jusqu'à ce que le père biologique, Christophe, revienne suite à une tragédie personnelle. Aymeric ne trouve plus sa place et, éloigné de l'enfant, il décide de partir faire sa vie ailleurs. Mais des années plus tard, Jim, 23 ans, frappe à la porte d'Aymeric.

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