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La sélection du 70e Festival de Cannes entre innovation et tradition
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Le Président du Festival de Cannes, Pierre Lescure, et son Délégué général, Thierry Frémaux, ont annoncé jeudi la sélection officielle du 70e Festival de Cannes qui se tient du 17 au 28 mai. Photographie à l’instant T de l’état du cinéma mondial, Cannes, émet toujours aussi un constat sur l’état de la planète, avec comme thème majeur cette année le "vivre ensemble", à l'heure des "migrants".
Temps suspendu
Le président Lescure a ouvert cette présentation de la 70e sélection cannoise sur ces mots, en insistant sur le fait que le Festival allait s’ouvrir trois jours après le second tour des élections présidentielles en France, et le surlendemain de l’annonce attendue d’un nouveau gouvernement, donc d’un nouveau (une nouvelle) ministre de la Culture. Un "temps suspendu", comme il l’a nommé, tout en espérant que l’actualité internationale (Syrie, attentats…) ne viendra pas perturber un 70e anniversaire qui se veut avant tout festif.Prenant le relais, Thierry Frémaux a fait comme chaque année le décompte des films visionnés pour concocter cette sélection officielle, soit 1930 films vus, contre 1675 en 2010. Quarante-neuf films, de vingt-neuf pays (contre 27 en 2015), figurent pour l’instant dans la liste, dont dix-huit sont en compétition. Chiffres qui prédisent l’annonce prochaine d’au moins deux films supplémentaires, la Compétition étant d’habitude de 20-21 films.
Enfin, révolution dans cette présentation, la présence de deux films Netflix, la plateforme de dffusion sur Internet, dans la compétition officielle. Il s'agit de "Okja" du Sud-Coréen Bong Joon-ho et "The Meyerowitz Stories" de l'Américain Noah Baumbach. Une "situation unique et inédite", a reconnu Thierry Frémaux. . Netflix avait déjà fait son entrée en 2015 dans un autre grand festival de cinéma, la Mostra de Venise, avec "Beasts of no nation", sur les enfants-soldats en Afrique, sorti en France uniquement sur la plateforme. "Si la Palme d'or devait passer sur Netflix un mois après sa sortie en salles, je pense que ce serait dévastateur" pour le cinéma, s'est emporté le distributeur et patron du Pacte, Jean Labadie
Sélection française
La France est représentée cette année par quatre films en compétition. "Rodin" de Jacques Doillon met en scène Vincent Lindon dans le rôle-titre du grand sculpteur en 1820, date de sa première commande officielle avec "La Porte de l’Enfer".Michel Hazanavicius "The Artist") vient pour la troisième fois à Cannes avec "Le Redoutable", avec Louis Garrel dans le rôle de Jean-Luc Godard, pris en pleine crise de création en 1967, avec l’échec de son film "La Chinoise" qui remet en cause son statut de star du cinéma français pour devenir "réalisateur maoïste".
François Ozon revient avec "L’Amant double", ou Marine Vatch découvre la double personnalité de son psy dont elle est tombée amoureuse.
Robin Campillo ("Eastern Boys", "Les Revenants") clôt cette sélection française avec "120 battements par minute", interprété par Nahuel Perez Biscayard et Adèle Haenel, sur la création du mouvement Act Up dans les années 90.
Hors compétition, sélectionné comme film d’ouverture le 17 mai : "Les fantômes d’Ismaël", d’un habitué de la Croisette, Arnaud Desplechin, avec Mathieu Amalric (acteur fétiche du cinéaste), Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg, Luis Garrel et Hyppolyte Girardot. Un drame, où la veille du tournage de son nouveau film, un réalisateur retrouve un amour perdu.
Les Européens
Michael Haneke fait le pont entre la France et l’international, puisque "Happy End" est une coproduction franco-autrichienne. Un "instantané" sur une famille bourgeoise européenne, selon le synopsis, avec Jean-Louis Trintignant, Isabelle Huppert et Mathieu Kassovitz. Thierry Frémaux, avare en informations, a toutefois précisé qu’il s’agissait d’un film où le lauréat de deux Palmes revisitait ses thèmes de prédilection.Autre coproduction, cette fois franco-allemande, "Dans le noir" du réalisateur turc Faith Atkin, avec Diane Kruger qui, elle, par ailleurs présentera son premier court-métrage, "Come Swim" hors compétition.
La France est une troisième fois coproductrice d’un film en compétition, avec "Loveless" (Sans amour) du réalisteur russe Andrey Zvyagintsev qui avait époustouflé le Festival avec "Leviathan", "seulement" Prix du scénario en 2014. Il s’agit ici d’un drame familial, où un enfant disparaît lors d’une dispute entre ses parents en instance de divorce, partis à sa recherche.
Coproduction gréco-britannique, du grec Yoros Lanthimos, "Mise à mort du cerf sacré" flirte avec le fantastique, soutenu par une belle distribution : Colin Farrell, Nicole Kidman, Alicia Silverstone et Bill Camp.
En provenance de Hongrie, "La Lune de Jupiter" de Kornél Mundruczo joue également du fantastique pour aborder le sujet délicat des réfugiés, où l’un d’entre eux tente de franchir la frontière hongroise, doté du pouvoir de lévitation. Grave par le sujet, mais l'idée est drôle. Le fantastique parle toujours du réel.
Battant pavillon ukrainien en son réalisateur Sergei Loznitza, "A Gentle Creature" voit une femme de prisonnier traverser la Russie pour visiter son mari. Un road-movie semé d’humiliation, de violence et d’absurdité.
Coproduction anglo-américano-française, "You Were Never Really Here" représentera la Grande-Bretagne avec la réalisatrice Lynne Ramsay qui avait présenté en 2011 "We Need to Talk About Kevin". Joaquim Phoenix y incarne un vétéran de guerre qui tente d’extirper une jeune fille d’un trafic de traite des blanches.
Etats-Unis
Quatre films en provenance des Etats-Unis sont en compétition."The Meyerowitz Stories" voit le retour de Dustin Hoffmann à Cannes, aux côtés de Ben Stiller, Emma Thomson et Adam Sandler, sous la direction de Noah Baumbach. Tous se retrouvent à l’occasion de la rétrospective à New York du patriarche de la famille, l’artiste Harold.
Sofia Coppola revient également à Cannes avec "Les Proies", une nouvelle adaptation du roman ayant inspiré Don Siegel pour son film éponyme, avec Clint Eastwood, de 1971. Dans un pensionnat de jeunes filles coupé du monde en pleine guerre de Sécession, en 1864 en Virginie (Sud), Nicole Kidman, Kirsten Dunst et Elle Fanning recueillent un soldat nordiste blessé qui va créer la discorde au sein de la petite communauté.
Todd Haynes permet à Julianne Moore, prix d’interprétation féminine à Cannes en 2014 avec "Maps to the Stars" de David Cronenberg, de revenir à Cannes, dans "Wonderstruck", drame mettant en scène deux enfants sourds, l’un en 1927, l’autre en 1977, tous deux mystérieusement connectés à des années de distance.
"Good Time" de Benny et Jeff Safdie, voit également le retour à Cannes de Robert Pattinson et de Jennifer Jason Leigh, au côté de Barkhad Addi que l’on reverra bientôt dans "Blade Runner 2049" de Roland Villeneuve. Comédie dramatique, le film est présenté par son acteur principal comme une comédie de braquage ancrée dans le Queens de New York.
L’Asie
Coproduction entre la Corée-du-Sud et les Etats-Unis, "Okja" (sortie le 28 juin) est un conte fantastique et merveilleux où le réalisateur Bong Joon-Hoo renoue avec le gigantisme animal qu’il avait déjà mis en scène dans "The Host", présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2006. Mila, une fillette qui a vécu 10 ans avec Okja, un animal gigantesque devenu son ami, se le voit retiré et emmené à New York. Elle s’embarque dans une mission de sauvetage, confrontée aux multinationales capitalistes, manifestants et consommateurs…Egalement en provenance de Corée-du-sud, l’on ne sait rien du sujet de "The Day After", sinon qu’il s’agit d’un film en noir et blanc signé du grand réalisateur Hong Sang-soo ("In Another Country").
C’est enfin le retour de la réalisatrice Naomi Kawase, plusieurs fois sélectionnée à Cannes dans diverses sections, avec "Vers la lumière". Une jeune femme, audiodescriptrice de films pour aveugles y rencontre un photographe qui perd progressivement la vue.
Hors compétition, séances spéciales et de minuit
Alors que les années précédentes, des blockbusters, tels que les derniers Matrix, Star Wars, Indiana Jones ou Mad Max, aéraient un peu la tête des festivaliers en prise avec des films souvent difficiles, le cru du 70e anniversaire en est dépourvu, pas même un film d’animation Dreamworks à se mettre sous la dent.Il y aura tout de même un film de sabres fantastique signé du spécialiste chinois Takashi Miike adapté du manga éponyme de 1993 "Blade of the Immortal", où pour lever la malédiction qui pèse sur lui, un samouraï doit tuer 1000 adversaires. Sympa, merci pour eux..
La comédie de science-fiction "How to Talk to Girls at Parties" de John Cameron Mitchell égayera aussi le paysage, où dans le Londres de 1970 un adolescent timide, amateur de musique punk, et ses deux amies se rendent à une fête où ils rencontrent un groupe de femmes un peu à part. Pour cause : elles viennent d'un autre monde…
Les séries télévisées font pour la première fois leur entrée à Cannes. Si tel est le cas, c’est en raison de leurs auteurs, récompensés et président du jury par le passé à Cannes. Il s’agit de Jane Campion, avec la deuxième saison de "Top of the Lake : China Girl", et David Lynch qui présentera les deux premiers épisodes de la nouvelle série "Twin Peaks". Whow !
Autre première : l’arrivée à Cannes de la « réalité virtuelle » avec la diffusion (on ne peut parler dans ce cas de projection) d’un court de 7 minutes d’Alejandro Gonzalez Inarritu (« Babel »). « Carne y Arena » évoque le passage de la frontière américaine par un groupe d’immigrants mexicains (3e film de la sélection consacré à ce sujet).
Le Festival ne pouvait ignorer ce prolongement du cinéma qui remporte un succès grandissant, avec le développement de salles et d’expériences en V. R (Virtual Reality), à La Géode, au MK2 Bibliothèque, ou au Louxor, à Paris, pour ne citer qu’elles. L’an dernier, une telle proposition avait bien eu lieu, mais elle était commerciale, et non dans le cadre officiel du festival.
Un hommage sera rendu à Andrzej Wajda (Palme d’or pour "L’Homme de fer" en 1981), disparu en octobre 2016, en présence de son ami Lech Walesa. Un film expérimental de l’iranien Abbas Kiarostami, palme d’or 1997 avec "Le Goût de la cerise", sera projeté : "24 Frames"..
A retenir également, le film de Raymond Depardon, "12 Jours", documentaire dont le titre s'explique par la durée légale au terme de laquelle il convient de confirmer, ou non, l'internement d'un patient pour troubles psychiatriques. Autre documentaire français : "Villages, visages", d’Agnès Varda et JR, sur ces deux amoureux d’images, la première en réalisant des films, le second en créant des galeries de photographies en plein air.
Toujours un documentaire, avec "Un suite qui dérange - le temps d'agir" ( "An Inconvenient Sequel") de Banni Cohen et Jon Shenk, avec Al Gore. Une suite au retentissant "Une vérité qui dérange" de 2006 sur le dérèglement climatique de la planète.
Les séances de minuit qui sont consacrées aux films de genre, souvent violents, verront la projection du nouveau film du Français Jean-Stéphane Sauvaire ("Johnny Mad Dog"), réalisé aux Etats-Unis sous bannière américaine, "A Prayer Before Dawn", un thriller situé en prison, où un prisonnier apprend la boxe Muay Thai, voie de la rédemption.
Les deux autres films sont sud-coréens, décidément très présents cette année. Deux thrillers également : "Bulhangang" (sur lequel rien n’a encre percé) et "Ak-Nyeo" de Jung Byung-Gil, l'histoire d'une vengeance sans fin d'une femme mystérieuse, élevée comme une tueuse.
Un certain regard
La section Un certain regard est pour l’instant forte de 16 films, alors qu’elle en comporte généralement 18, ce qui augure de l’annonce prochaine de deux longs métrages supplémentaires.L’on retiendra notamment de cette sélection, le film d’ouverture, signé Mathieu Amalric, "Barbara", voué à la Dame en noir, interprétée par Jeanne Balibar, un choix des plus judicieux et qui, sur le papier aurait fait un beau film d'ouverture du festival lui-même. Le nouveau long métrage de Laurent Cantet, Palme d’or en 2008 pour "Entre les murs", "L’Atelier", est de la partie. Avec Marina Foïs, le film a pour sujet un atelier d’écriture destiné à la réinsertion des ouvriers des chantiers navals de La Ciotat.
Après "La Lune de Jupiter", en compétition, "Testona" (Etroitesse), premier film du Slovaque Kantemir Balagov, prend comme sujet les migrants, mais cette fois du côté des ouvriers obligés de s’expatrier à l’étranger pour trouver du travail.
Le Japonais Kiyochi Kurosawa joue une fois de plus de sa thématique favorite, aux frontières du réel et du fantastique, avec "Avant que nous disparaissions", où un homme en mauvais termes avec son épouse disparaît, puis réapparaît changé du tout au tout, agréable et avenant, alors qu’une famille est assassinée et qu’un événement surnaturel survient dans leur quartier.
Le scénariste de "Sicario" de Denis Villeneuve, Taylor Sheridan, présente "Wind River", avec Elisabeth Olsen et Jeremy Renner. Une enquête dans les paysage enneigés d’une réserve indienne du Wyoming.
"Après la guerre", de la réalisatrice italienne Annarita Zambrano, revisite les conséquences en France des années de plomb en Italie, quand François Mitterrand avait pris l’engagement verbal de ne pas extrader les anciens activistes d’extrême-gauche italiens réfugiés en France. La sélection Cinéclassique, consacrée aux films de patrimoine, sera largement consacré aux films ayant marqué les 70 sélections cannoises depuis 1939. Tué dans l’œuf, pour cause de déclaration de guerre, le Festival devait reprendre en 1946, seulement interrompu une fois en 1968. Cette 70e sélection s’annonce assez grave, avec tout de même des moments de fantaisie. Bon anniversaire Cannes !
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