"La pellicule cinéma est mon matériau de base" : Patrick Rimoux, l’"architecte de lumière" a rénové la tombe d'Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française
Trop peu connu des Français, Henri Langlois est un "dieu vivant" du monde du cinéma et des cinéphiles pour avoir été l’inventeur et cofondateur en 1936 de la Cinémathèque française – la première au monde -, avec le réalisateur Georges Franju et l’historien du cinéma Jean Mitry. Elle a fait des petits partout dans le monde depuis : quel pays n’a pas sa cinémathèque désormais ?
Créée par l’"architecte de lumière" Patrick Rimoux, qui œuvre en ce moment aux nouveaux éclairages de Notre-Dame de Paris, ce dernier vient d’inaugurer avec la famille Langlois sa tombe très particulière, rénovée par ses soins. Le matériau de prédilection de Patrick Rimoux : la pellicule de film. Drôle d’endroit pour une rencontre au cimetière Montparnasse, entre monument et cinéma. Patrick Rimoux nous dit comment il a créé et recrée ce monument magnifique commémorant le prince du patrimoine cinématographique mondial.
Franceinfo Culture : Comment avez-vous été amené à concevoir la tombe d’Henri Langlois ?
Patrick Rimoux : Quand j’étais encore étudiant aux Beaux-Arts, il y a eu un concours proposé aux écoles d’art de France et j’ai eu la chance de le remporter. J’étais en Equateur à l’époque et un de mes amis, producteur et distributeur de cinéma, me parle de la tombe de Langlois. Langlois, c’est la pellicule. Je lui ai demandé un rouleau de pellicule cinéma comme matériau de base pour faire la maquette. C’est tellement beau, alors que les bobines partent au pilon. C’est comme ça que j’ai découvert ce matériau merveilleux qui m’est resté et je réalise des tableaux à base de pellicule de films depuis. J'ai 400 copies de film à la maison. La tombe, elle, avait été conçue à l’époque avec une colle malheureusement hydrophile, qui aimait l’eau, elle gardait l’eau et dénaturait l’acétate, la matière pelliculaire, le film argentique. Donc, au bout de trente ans, l’eau a abimé les images, c’était d’ailleurs assez beau. C’est Jean-Patrick Langlois, frère d’Henri, décédé depuis, et le réalisateur Jacques Richard, qui avaient fait cette commande. Aujourd’hui (pour l'inauguration de la rénovation), il y avait Costa Gavras (président de la Cinémathèque), j’étais content qu’il soit là. Mais il y a trente-cinq ans, Marcel Carmé ou Samuel Fuller, Michel Lonsdale, tous disparus, et tant d’autres, étaient là. J’étais jeune étudiant à l’époque et de les rencontrer… c’était des mythes pour moi.
Quand le producteur italien Michael Fantauzzi, venu à Paris, s’est rendu sur la tombe et qu’il l’a découverte dans un tel état, il a décidé de mécéner sa restauration. Une fois le processus lancé, on a repris toutes les photos qui composent la dalle, refait tous les contrastes, de façon à avoir une définition bien meilleure qu’à l’origine. Et on l’a reconstituée. Maintenant on peut la plonger dans une piscine, elle ne bougera plus.
Comment avez-vous choisi les photos de la dalle ?
Je suis un fou de cinéma et quand j’ai fait le concours, je me suis documenté sur Langlois et me suis mis à chercher les films qu’il aimait. Je n’ai gardé que ses films préférés, quelques photos de lui et de proches. Il y a les films de Franju, Hitchcock avec lequel il était très ami, Fritz Lang qui lui a donné personnellement des accessoires de son film Métropolis, revenus au musée de la Cinémathèque, parce que c’était quelqu’un qui voulait avant tout partager. A l’époque, quand je me suis lancé sur le projet, je savais qui était Langlois, mais aujourd’hui, il est complètement oublié. Il a sauvé tellement de films, sans lui il y en a tellement qu’on n’aurait jamais pu voir.
Il n’y a pas de symbole religieux sur la tombe.
Il y en a un, forcément, avec une photo d’un film qu’il adorait et que j’adore, La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, avec Falconetti dans le rôle, mais c’est une photo de film, pas un symbole religieux. La croix est toutefois très visible, avec un moine qui la porte comme un étendard.
La stèle est très curieuse, qu’est-ce-ce qu’elle signifie ?
Quand on m’a passé la commande, la Cinémathèque et le Musée du Cinéma étaient encore au Palais de Chaillot. Pour moi, il y avait trois éléments importants pour la tombe : sa forme, et comme il était basé à Chaillot, j’ai fait une maquette du palais de Chaillot, parce que c’était son endroit. Deuxième élément : le montage de toutes ces photos de films qu’il adorait et iconiques. Et puis il y a le troisième temps, le plus important. Je me suis servi de sa vie. On le voit sur la stèle en train de regarder une pellicule entre ses mains, son geste décomposé sur 24 images, comme 24 images seconde, le rythme de défilement du film dans la caméra et à la projection. Mais j’ai dû retirer quelques images pour que l’on puisse voir le mouvement. C’était un geste qu’il aimait et faisait tout le temps, regarder le film directement sur la pellicule entre les mains. C’est tellement beau cette matière, c’est de la lumière.
Vous avez réalisé d’autres œuvres autour du cinéma ?
J’ai une actualité un peu triste en ce moment. La mairie de Bruxelles m’avait commandé une œuvre urbaine pour les 100 ans du cinéma. Comme il y avait une rue Joseph Plateau, inventeur du phénakistiscope (pré-cinéma), j’ai proposé de créer la place Joseph Plateau avec une sculpture, une arche avec un montage de photos de films. Aujourd’hui, la ville veut la démonter. Pour moi, il ne fallait surtout ne pas toucher à cette œuvre. Je suis donc en train de rassembler des personnes pour s’opposer à ce démontage et je suis dans une procédure. Mais bon, on en est pour le moment à ce qu’il la démonte proprement, la dépose et je cherche un endroit approprié pour l’exposer. J’ai contacté la Cinémathèque française, mais ils n’ont pas la place. L’affaire est en cours…
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