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La comédie musicale enchante la Philharmonie de Paris dans une exposition
Plutôt que la comédie musicale, ne devrait-on pas dire les comédies musicales ? Tant le genre connaît de multiples facettes, de styles musicaux différents - du jazz au rock, en passant par le disco -, tout en s’adaptant aux cultures des divers pays. C’est cette pluralité que permet de voir et entendre l’exposition "Comédies musicales – la joie de vivre du cinéma" à la Philharmonie de Paris.
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Après une désaffection certaine depuis les années 1970, la comédie musicale est revenue en force avec le carton foudroyant de "La La Land" de Damien Chazelle en 2016, couronné de cinq Oscars. Si le succès était au rendez-vous, il n’a toutefois guère eu de suite.
Cinéma en chantant
Avec la naissance du cinéma "parlant" en 1927 (arrivé en France en 1929), "Le Chanteur de jazz" (Alan Crosland) marque en même temps celle du cinéma chantant. Le genre connaît une expansion fulgurante dans les années 30, avec le duo Fred Astaire-Ginger Rogers. Son âge d’or se situe entre 1943 et 1955, notamment sous la houlette de Gene Kelly, puis il subit une désaffection dans les années 60, marquées toutefois par les immenses succès de "West Side Story" (Robert Wise, 1961) ou de "La Mélodie du bonheur" (Robert Wise, 1965).À forte dominante américaine, la comédie musicale s’est exportée dans le monde entier, dans des styles très différents. En France au premier chef, avec son remarquable représentant Jacques Demy ("Les Parapluies de Cherbourg", "Les Demoiselles de Rochefort", "Peau d’Âne"…). Mais son plus spectaculaire avatar demeure Bollywood, en Inde, où n’importe quel film est inenvisageable sans séquences musicales. Genre à part entière, à l’origine du premier producteur mondial de films, ce modèle indien s’est exporté en Égypte, en Turquie ou au Nigéria.
Les États-Unis n’en restent pas moins le fleuron et les fondateurs du modèle. Avec l’émergence du Nouvel Hollywood dans les années 60, sous l’influence de la contre-culture et de la guerre du Vietnam, le cinéma américain s’est désenchanté. Il n’en fut pas moins marqué par des films musicaux épars, non moins remarquables, tels que "Cabaret" (Bob Fosse, 1972), "Hair" (Milos Forman, 1979) ou "Coup de cœur" (Francis Ford Coppola, 1982).
Muséographie enchanteresse
L’exposition de la Philharmonie s’ouvre sur une salle dédiée à "Chantons sous la pluie" (Stanley Donen et Gene Kelly, 1952), considérée comme la meilleure comédie musicale de tous les temps. De plus, son histoire reconstitue le tournage d’un film à Hollywood, au moment du passage du muet au parlant. Il demeure la référence majeure de toute la comédie musicale, nombre de films y renvoyant par citations ou clins d’œil.À la Philharmonie de Paris, la très belle muséographie immersive signée Pierre Ginet privilégie un espace ouvert tendu de noir, où d’immenses panneaux reproduisent des photos emblématiques de films, de tournages, d’affiches, avec un lettrage très graphique, qui traduit la dynamique musicale.
Le point d’orgue de l’exposition, son centre névralgique, est constitué d’un mur d'écrans, où sont projetés des extraits de fleurons du genre, par thèmes et recoupements. Ainsi, un parallèle s’effectue entre Fred Astaire et Michael Jackson, dans leur art de la danse, New York apparaît sous un jour inédit sous la musique d’Elmer Bernstein dans "West Side Story", ou la "Chanson des jumelles" des "Demoiselles de Rochefort" met en parallèle les répétitions et la séquence finale. Beau, spectaculaire et instructif. L’écran se subdivise, provoquant une animation visuelle rythmée, harmonieuse, quasi-chorégraphique.
Des objets rares, tels que des scénarios, des partitions, ou le costume de Peau d’Âne et la robe couleur de soleil du film de Jacques Demy sont exposés. Nombre d’activités sont offertes aux familles. Ainsi des costumes sont prêtés aux enfants, une salle leur est particulièrement destinée et une initiation aux claquettes est proposée aux visiteurs par Fabien Ruiz, claquettiste de renommée mondiale.
Les partitions d’un genre universel
Les stars, chanteurs comme danseurs, les choix musicaux, les décors, les costumes… tout participe de la création d’un monde enchanté, idéalisé. C’est du moins la vision originelle d’Hollywood. Il faudra attendre les années 60 pour que des thèmes sociaux apparaissent comme dans "West Side Story", ou en sous-texte, la guerre d’Algérie dans "Les Parapluies de Cherbourg", les luttes sociales dans "Une chambre en ville" (Jacques Demy, 1982). Déjà "A Star is Born" (George Cukor, 1955) traitait d’un drame de l’alcoolisme. Ce n’est pas un hasard si ce film est contemporain de la fin de l’âge d’or de la comédie musicale.Un univers féérique est toutefois dominant. Le chef-d’œuvre du genre, doublé d’un conte, est sans doute "Le Magicien d’Oz" (Victor Flemming, 1939). Le film est rerpésentatif des conséquences majeures de la comédie musicale, dans la popularisation des airs et chansons composés, comme le célèbre "Over the Rainbow", devenu un standard. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, le maréchal Montgomery fera précéder ses troupes allant à la rencontre de Rommel (surnommé The Wizard), par une fanfare interprétant "We’re off to See the Wizard" ! Dans le même ordre d’idées, les Londoniens chantèrent en chœur place Piccadilly "Ding Dong, the Witch is Dead" du même film, après l’annonce de la mort d’Hitler.
Les dessins animés de Walt Disney peuvent aussi s'identifier à des comédies musicales. Le réalisateur-producteur ne concevait pas ses films sans de nombreuses séquences musicales et/ou chantées, depuis ses "Silly Symphonies" jusqu’au "Livre de la jungle" (1967), dernier film qu’il supervisa de loin. La tradition est restée après lui, jusqu’encore récemment avec la musique de "La Reine des glaces", et son tube "Libérée".
À ce titre, La Philharmonie donne en ciné-concert "Mary Poppins" (Robert Stevenson, 1964) produit par Disney, avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, les samedi 3 et dimanche 4 novembre.
La comédie musicale américaine a contaminé le monde entier. Elle s’exporte dans l’opérette viennoise et française (Luis Mariano), la "sceneggiata" napolitaine, les "rumberas" mexicaines, les "chanchadas" brésiliennes, l’orientalisme égyptien… Jusqu’à l’Union soviétique qui récupéra le genre à la gloire du bolchévisme, et même l’Allemagne nazie imita Hollywood, alors qu’elle interdisait la diffusion de ses films…
De Hollywood à Bollywood
Mais c’est l’Inde qui s’avère dès l’apparition du "parlant" en 1931 dans le sous-continent, le pays phare de la comédie musicale, avec l’émergence du Bollywood (contraction de Bombay, capitale du cinéma indien, et de Hollywood).Le genre connaît différentes époques, avec un premier âge d’or dans les années 30, consacré à des mélodrames, comme l’incontournable "Devdas" (1935) aux multiples versions futures. Puis de 1940 à 60, s’installe un star-système embryonnaire proprement indien, avec la dynastie des Kapoor. Il éclatera à partir de 1960, alors qu’après les romances, le genre est adapté aux films d’action, voire noirs, avec des consonances politiques, qui vont élever les acteurs et actrices pratiquement au rang de dieux vivants.
Bollywood n’est pratiquement jamais descendu de son piédestal, avec ses acteurs, compositeurs, chorégraphes attitrés. Les années 2000 voient l’émergence d’un nouvel âge d’or, consécutif à une certaine occidentalisation des traitements. Le succès s’est exporté au-delà de l’Inde, des pays du sud-est asiatique et de l’Afrique, pour gagner de plus en plus de succès à l’Ouest.
Entrez dans la danse
Le champ (le chant) de la comédie musicale est vaste et multiple. Celle-ci touche tous les pays qui l’ont adaptée à chacune de leurs cultures et parfois à la politique. Elle a contaminé nombre de genres, comme le western ("Oklahoma !"), le film de prison ("Le Rock du bagne"), de gangsters (Bugsy Malone), le fantastique ("The Rocky Horror Picture Show")...Parfois décriée pour sa légèreté et sa superficialité, la comédie musicale est à la tête de nombreux chefs-d’œuvre et habitée de stars incontournables comme Fred Astaire, Ginger Rogers, Gene Kelly, Cyd Charisse, et a installé John Travolta ("Grease") au rang de star. De grands réalisateurs s’y sont essayé avec succès, ces films se prêtant à des exercices de mise en scène envisageables nulle part ailleurs : Busby Berkeley, qui l’a adaptée au ballet aquatique, Vincente Minnelli, Stanley Donnen, Robert Wise, Jacques Demy, Bob Fosse, Francis Ford Coppola…
Elle s’exporte aujourd’hui dans des karaokés géants, tels qu’en organise L’Ecran Pop, qui propose à un public enthousiaste de reprendre en chœur au cours de la projection, les airs de "Mamma Mia", "Les Demoiselles de Rochefort", ou "Grease", dans l’attente d’autres titres.
L'exposition "Comédies musicales - la joie de vivre du cinéma" balaye cet univers riche, sonore et coloré (même quand c’est en noir et blanc) sur un mode spectaculaire, ludique et instructif, à destination de toute la famille.
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