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L'hommage vibrant du festival de Beaune à David Cronenberg : standing ovation !

Le festival international du film policier de Beaune a rendu un hommage enthousiaste au réalisateur canadien David Cronenberg vendredi soir. Le programmateur de la cinémathèque Jean-François Rauger, visiblement ému, a trouvé les mots justes pour évoquer son œuvre iconoclaste, et l’acteur Viggo Mortensen, qui apparaît dans trois de ses films, n'a pas non plus déçu : standing ovation !
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
David Cronenberg lors de son hommage au festival de Beaune 2018
 (FRANCK CASTEL / MAXPPP)

La nouvelle chair

C’est au programmateur de la Cinémathèque française qu’est revenu d’évoquer le parcours, la filmographie et la créativité de David Cronenberg. D’abord réalisateur de films expérimentaux ("Stereo", "Crimes of the Future"), le cinéaste sort son premier long métrage commercial en 1975, "Frissons", film d’horreur inaugural d’une série cohérente : "Rage", "Chromosome 3"et "Scanners" installent les thèmes majeurs du cinéaste.
Ils s’organisent autour des mutations du corps humain, avec une mise en images sans tabou, violente et gore. Ce processus se conclura par "Vidéodrome", où les métamorphoses émanent de l’exposition de son héros à des images de tortures sado masochistes, pour aboutir à ce que Cronenberg définit comme l’avènement de "la nouvelle chair". De ce point de vue, "Vidéodrome" clôt un cycle et peut être vu comme un manifeste.

Hollywood

Confiné dans le film de genre, d’horreur, le cinéaste canadien assume totalement son adhésion à un cinéma commercial, tout en lui apportant un style novateur. Ce qui permet à Jean François Rauger d’avancer que "le genre n’a de but que si l’on sait en sortir". Un parcours auquel s’est attaché Cronenberg en peaufinant son style horrifique jusqu’à son ultime incarnation dans "La Mouche".
Mais si le réalisateur atteint la consécration hollywoodienne avec ce film, c’est grâce au succès de "The Dead Zone", adapté de Stephen King. Pour la première fois il exacerbe les sentiments et a accès à une star : Christopher Walken . A sa sortie, le cinéaste considère son film comme le moins personnel. C’est en effet sa première adaptation d’un roman, ses précédents longs métrages reposant sur ses propres scénarios originaux.

Changement de cap

Si Cronenberg participe activement à l’écriture de ses films, c’est qu’il avait à l’origine une vocation littéraire et non cinématographique. Ses mentors sont William Burroughs (dont il adaptera librement "Le Festin nu"), Vladimir Nabokov et Samuel Becket. Mais il prendra le chemin du cinéma, sans aucune formation pour autant.
"La Mouche" représente un tournant en étant le remake sophistiqué d’un classique de la science-fiction des années 50, transformé en tragédie, où une femme assiste à l’autodestruction de l’homme qu’elle aime. Cronenberg va désormais se détacher de sa veine horrifique. Il enchaîne avec "Faux-semblant" qui introduit une construction plus expérimentale. Elle est encore plus développée dans "Le Festin nu", puis "Crash", d’après J. G. Ballard qui provoque un mini scandale à Cannes, où il reçoit le prix du jury. Entre les deux, "Mr. Buterfly" reste mineur tout en étant son tout premier film détaché de toute référence fantastique.
Il revient à la science-fiction dans "eXistenZ" en traitant des réalités virtuelles. Puis c’est "Spider" sur l’intériorité perturbé d’un schizophrène, d’après Patrick McGrath qui en signe le scénario. "A History of Violence" fait revenir Cronenberg au cinéma de genre, mais il s’agit d’un polar et son premier des trois films tournés avec Viggo Mortensen. Cronenberg le retrouve dans "Les Promesses de l’ombre" sur la présence des mafias russes à Londres.

Mutations

Nouveau changement de registre avec "A Dangerous Method", où Cronenberg reconstitue la relation triangulaire entre Sabrina Spielren (qui deviendra une des premières femmes psychanalystes), Jung et Freud. Le cinéaste vire encore de bord avec "Cosmopolis" qui évoque la fin chaotique de l’ère capitaliste. Puis c’est enfin "Maps to the Stars" sur une autre déconfiture, celle de grand Hollywood, où l’imaginaire et le réel se confondent. Pour son rôle, Julianne Moore remporte le prix d’interprétation féminine à Cannes en 2014.
Cronenberg fait alors une pause et revient à ses premières amours littéraires en publiant son premier roman "Consumé", autour du cannibalisme. Il est à nouveau attendu sur les écrans avec "Eastern Promises : Body Cross", une suite des "Promesses de l’aube", où se retrouveront Viggo Mortensen et Vincent Cassel.

Si le thème de la mutation est au cœur de la filmographie de David Cronenberg, il se vérifie aussi dans les métamorphoses de son cinéma, tout en restant d’une cohérence remarquable. Un cas unique, atypique dans le paysage cinématographique mondial. 

L’hommage de Viggo Mortensen

Plus qu’un acteur devenu fétiche de David Cronenberg, les deux hommes se sont déclarés liés par une réelle amitié. L’acteur a confié avoir eu envie de tourner avec le réalisateur dès 1983 quand il a découvert "Vidéodrome", puis "Dead Zone".
Viggo Mortensen et David Cronenberg (Beaune 2018)
 (BONY/SIPA )
Fasciné par ses univers, il estime que les mondes du réalisateur "ne font pas toujours envie, on y entre comme dans le château de Dracula". Décrivant sa direction d’acteurs, il juge qu’"il sait tirer le meilleur de nous-mêmes, sans répétition ni lecture préalable, en laissant toutes les portes ouvertes à l’interprète". Il obtient aussi "le meilleur de ses techniciens en les invitant dans son jeu".

Au yeux de Viggo Mortensen, David Cronenberg est "un grand artiste, capable de rire des tourments de la vie". "Il reste un éternel débutant, ce qui est rare chez tout un chacun", a-t-il conclu avant de lui remettre son prix d’honneur.

Les mots de Cronenberg

Dans ses remerciements, le cinéaste a déclaré avoir eu l’impression d’être "disséqué" dans l’analyse de son œuvre par Jean-François Rauger, assurant ne "rien savoir sur aucun de ses films".
David Cronenberg et son prix d'honneur décerné au festival de Beaune 2018
 (BONY/SIPA )
Selon lui, "exprimer les maux de la civilisation par l’art est le plus grand des crimes : la subversion dans l’art est nécessaire, essentielle". "Cette subversion est au cœur de mes films, dans ce que j’ai pu apporter pour exorciser les crimes de la civilisation". Crime contre crime : la boucle est bouclée.

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