"J’ai dû apprendre à dire non" : Juliette Binoche revisite sa carrière à la lumière de #metoo dans un long entretien au journal Libération

L'actrice Juliette Binoche revient sur ses débuts et relate les différentes épreuves qu'il lui a fallu traverser sur les tournages, et sur les castings.
Article rédigé par franceinfo Culture
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L'actrice Juliette Binoche, le 5 février 2024 lors de la présentation de la série Apple TV "The new look", (WILLY SANJUAN/AP/SIPA / SIPA)

Dans un long entretien publié par le journal Libération le vendredi 26 avril (article payant) Juliette Binoche décrit un chemin au cours duquel il lui a fallu supporter des situations gênantes, voire "humiliantes", des agressions, et aussi parfois de la maltraitance, avant d'apprendre à dire non. 

"Revisiter sans anachronisme ses débuts à la lumière de la révolution #MeToo : tel est le pari de cette rencontre avec Libération", souligne le journaliste en introduction de ce long récit que Juliette Binoche "a relu et peaufiné pour préciser certaines formulations ou détails".

Sans détour, l'actrice raconte avec précision certaines scènes, cite des noms, comme celui du réalisateur Pascal Kané. "Il m’invite à dîner à l’hôtel Nikko dans les hauteurs d’une tour pour me parler, m’avait-il assuré, d’un autre projet. Alors qu’il me désigne la vue sur le front de Seine, il se jette sur moi pour m’embrasser. Je l’ai repoussé vigoureusement" se souvient Juliette Binoche, alors jeune comédienne débutante.

"Je n'ai pas toujours su protéger mes camarades"

"Je n’en revenais pas. J’avais quelques repères de méfiance, une première fois pour avoir été touchée par un maître d’école à 7 ans qui m’apprenait à lire en caressant mon sexe derrière son bureau devant la classe", ajoute-t-elle.

Elle évoque également le tournage de L'insoutenable légèreté de l'être. "Sur ce film, le réalisateur est entré dans ma caravane pour me peloter. Je l’ai repoussé, il n’a pas insisté. Lena Olin, qui tenait l’autre rôle féminin, m’a dit qu’elle avait eu droit aux mêmes tentatives".

"Je n’ai pas toujours su protéger mes camarades", regrette la comédienne, qui se souvient de certaines scènes dont elle a pu être témoin au cours de sa carrière. "J’ai compris avec le recul, c’était à peine perceptible, qu’une figurante se faisait violer par un acteur dans les Enfants du siècle au cours d’une scène d’opium dans un bordel. J’ai aperçu la jeune femme partir sonnée une fois le tournage terminé, comme si elle avait reçu un coup de poing. J’avais la haine. Cet acteur est mort aujourd’hui.

"Il n’y avait pas un scénario sans une scène nue".

L'actrice se souvient de ces années 80-90 où la nudité était un passage quasi obligé, dans les castings, et sur les tournages. "Il ne m’échappait pas complètement que ce besoin effréné de corps nus au cinéma dans les années 80-90 ne concernait que les jeunes femmes, rarement les hommes, sauf avec Chéreau et par la suite Téchiné. Ça ne me révoltait pas, je prenais cette exigence en patience. Il n’y avait pas un scénario sans une scène nue".

Et puis au fil du temps, après des expériences particulièrement pénibles, l'actrice apprend à fixer les limites. "Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que je pouvais exiger quand les scènes l’imposent, un plateau fermé. Ou remettre en question dans un scénario une scène nue que je ne trouvais pas nécessaire".

Outre les violences sexuelles, la comédienne évoque un climat de maltraitance sur les plateaux de tournage, racontant comment elle a failli se noyer dans l'indifférence générale sur le tournage des Amants du Pont Neuf, de Léos Carax. "Ce jour-là, mes limites encore mal définies jusqu’alors sont devenues brusquement nettes".

"J’avais le sentiment d’appartenir à une caste"

"Quand la jeune actrice, mutante, hésitante se donne à travers un rôle, elle se tend vers son réalisateur pour avoir son approbation. Entière, elle est à lui, à elle-même, au monde. Cette demande de la jeune actrice ne donne-t-elle pas l’illusion au cinéaste que tout est pour lui ?" s'interroge Juliette Binoche.

"J’ai vécu dans une idéalisation du metteur en scène et défendu les cinéastes auteurs et indépendants. Avec une certaine soumission que j’associais à de la protection. J’avais le sentiment d’appartenir à une caste, d’approcher au plus près une forme artistique, nouvelle, vibrante" constate-t-elle.

"J’ai dû apprendre à dire non, à reconnaître ce que je devais quitter", insiste la comédienne, qui se dit "soulagée de voir et d’entendre les témoignages de femmes et d’hommes qui osent exposer les abus qu’elles et qu’ils ont subis. Ce n’est pas facile d’exposer sa vie intime, et nous devrions tous les remercier".

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